D’une époque à une autre…
Le mot époque, d’usage très fréquent, réserve quelques surprises si l’on regarde de plus près son étymologie.
La racine indo-européenne *segh signifie « saisir, tenir » et se décline dans des champs très variés, qui vont de l’esquisse au sketch anglais, du schéma jusqu’à la savante entéléchie aristotélicienne, qui désigne l’énergie agissante et efficace qui maintient en vivacité.
Mais sait-on que l’eunuque, – de même racine, eh oui !-, est au sens propre celui « qui garde le lit des femmes », au prix bien douloureux de sa propre saisie par corps…? L’étymologie a parfois des détours étrangement facétieux…
Par ailleurs, qui se douterait que l’on est aussi dans la mouvance de l’école ? Le grec *skholè désigne l’arrêt, le répit, la tranquillité, le temps libre, essentiellement l’activité intellectuelle faite à loisir, puis l’étude, donc l’école. Ah, si seulement elle se définissait ainsi ! School en anglais, Schule en allemand.
Temps suspendu de l’époque, qui signifie l’arrêt, la cessation, l’interruption de toute action. Comme si on fixait l’observation sur un point du ciel où un astre atteindrait son apogée, une des acceptions astronomiques du mot *épokhè, dans l’antiquité grecque.
Pour traduire cette notion d’époque, le latin emploie judicieusement le pluriel du mot *tempus. Epoques de l’année, saisons, circonstances, les temps sont précis dans leur succession. Ô tempora ô mores ! ô époques, ô coutumes…
Quand Ambrogio Calepino, en 1502 à Bergame, rédige son Dictionnaire de langue latine, il offre un condensé des sciences de l’époque au travers du latin, du grec, de l’hébreu. Dans ce calepin qu’il inaugure, il emporte partout avec lui ce que lui fournit comme informations son époque précise. Et grâce à son invention, la recension de notes perdure pour chacun. L’instant T saisi, fixé.
Dans l’accélération ambiante, on se prend à rêver de notre « époque » rendue collectivement à son originelle signification, qui ferait peut-être prendre conscience de la confusion temporelle généralisée dans laquelle tout se dilue.
Stop ! Pouce, ne passons pas ! Accordons-nous l’espace momentané d’un regard studieux, le répit de sa réflexion et de son intelligence.
Annick Drogou
Galilée.sp, mai 2022