Pour une éducation citoyenne humaniste orientée ».
VISIO-CONFERENCE DU 31 MAI 2021 AVEC JEAN-WILLIAM WALLET
Merci à Jean-William Wallet qui a mis le texte de sa visio-conférence du 31 mai dernier à la disposition de Galilée.sp. Nous reproduisons donc ici l’intégralité de ce document accompagné d’une bibliographie conséquente.
Un exposé en 3 points
L’exposé que je vous propose comporte trois points essentiels : premièrement des considérations générales psychologiques, neuropsychologiques, anthropologiques et culturelles relatives aux formes radicales de pensée, deuxièmement des considérations psychosociales et individuelles qui ont déterminé ma démarche clinique d’approche individuelle de trois types essentiels de sujets radicalisés, troisièmement comment une formation éducative et culturelle citoyenne humaniste orientée peut contribuer à réguler, en conscience, les phénomènes de radicalité.
Les « grandes questions »…
Chez l’homme, l’avènement de la conscience est corrélative de l’apparition de questionnements existentiels individuels et collectifs qui ont traversé et traversent les espaces et les temps : « Que suis-je ? », « Qui suis-je ? », « Pourquoi suis-je ? », « Que sommes-nous ? », « Qui sommes-nous ? », « Pourquoi sommes- nous ? », «Où suis-je ? », « Où sommes-nous ? », « Comment suis-je ? », « comment sommes-nous ? », mais également de manière beaucoup moins évidente mais cependant primordiale « Que sais-je ? », « Comment sais-je ? », « Que savons-nous ? », « Comment savons-nous ? ».
Selon Ariès (1978), à ce sujet existent deux logiques : celle d’un inconscient collectif « favorisé par les cultures orales » et celle d’un inconscient collectif « refoulé par les cultures écrites ». En fait selon moi, toutes deux coexistent et se superposent dans l’inconscient individuel de chacun de nous. Elles influencent notre conscience et expliquent l’ambivalence de nombre de nos comportements. Comme chacun sait, l’homme est un être doté de trois cerveaux superposés : un cerveau archaïque reptilien qui engendre ses réactions instinctives agressives ou non, un cerveau limbique sous-cortical émotionnel qui a « engrammé » avec le temps des valeurs, des croyances, des façons d’être qui proviennent du milieu et font rechercher des satisfactions, un cerveau cortical qui permet d’apprendre, de penser en conscience. Toutes les réponses apportées par les humains au fil du temps en termes de significations des phénomènes perçus ou vécus par eux le sont sur la base d’expériences pratiques dont les résultantes reçurent à l’origine des interprétations binaires d’ordre magique et qui instaurèrent au fil du temps, des croyances, des coutumes, des mythes, des systèmes de valeurs le plus souvent fortement ritualisés et intégrés dans notre cerveau limbique.
La radicalité : un état naturel originel binaire
Se poser le problème de l’éducation des hommes face à toutes les formes de radicalité politique, sociale, religieuse et autres, nécessite d’avoir constamment à l’esprit, que celles-ci interrogent fondamentalement dans l’univers, l’existence et la non existence, le chaos et l’ordre, l’inorganisé et l’organisé, la vie et la mort. Dans la nature, au sein des espèces vivantes comme chez l’homme, il s’agit trivialement à la base de manger ou être mangé, de dominer ou être dominé… à la limite d’être ou ne pas être. La radicalité est un phénomène relationnel présent dans le règne animal et qui interroge le sens de l’existence humaine en termes d’absolu et de relatif, de domination et de soumission, de fond et de forme, d’autorité et de hiérarchie. La radicalité est un état naturel originel binaire, dont témoigne la genèse psychologique de la personne et de l’identité humaine ; ce, même dès avant la naissance. Les récentes découvertes neuroscientifiques rapportées par l’ouvrage de Catherine Gueguen (2014) : « Pour une enfance heureuse. Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau » met l’accent sur la notion fondamentale d’empathie en distinguant, comme le fait Decety (2010) d’un point de vue neurophysiologique, l’empathie cognitive active dans le cortex préfrontal qui permet la compréhension des intentions d’autrui, de l’empathie affective, sous-corticale, présente chez les animaux supérieurs, plus archaïque qui porte sur l’aptitude à sentir, à partager les intuitions et les sentiments d’autrui. – C’est sur cette dernière que jouent les humains pour conditionner les animaux domestiques ou entretenir avec eux des rapports chaleureux ou non-.
Empathie émotionnelle et empathie cognitive
Chez l’homme « être social biologiquement », selon l’expression d’Henri Wallon, l’empathie est primordiale pour créer l’aptitude à communiquer, à se comprendre, à échanger sur tout ce qui concerne les conjonctures et les structures qui encadrent et jalonnent son existence ; sachant qu’en arrière fond de toute la pensée humaine demeurent les croyances grégaires anciennes mythologiques et religieuses : l’homme est un être de culture. A la limite, comme l’a envisagé Desmond Morris (1968), c’est un néoténique, une sorte de prématuré qui n’est viable qu’après une longue période de protection et d’éducation par le groupe. L’empathie émotionnelle et affective est tributaire de ces croyances archaïques profondes, ces habitus, mais de surplus, elle rend sensible l’homme à des influences conjoncturelles : dans le présent, celles des médias et des réseaux sociaux ou celles qui jouent par exemple sur le partage émotionnel dans un stade ou lors d’une manifestation de groupe. L’empathie cognitive fait appel à la réflexion, à l’intelligence et la compréhension au sens strict du terme : c’est-à-dire à la capacité d’envisager en partage ou non les modes de structuration et la structure des phénomènes. L’empathie cognitive est éducable, elle doit permettre de réguler l’empathie émotionnelle qui demeure à tendance binaire. Lorsqu’un sujet est soumis à des situations émotionnelles intuitives sous corticales perçues comme anormales, la première réponse fournie est réactionnelle et radicale. Elle est le plus souvent stérile parce que celle-ci ne fait appel qu’à l’archaïsme de l’imaginaire humain magique ou syncrétique, selon des apparences qui peuvent conduire à des actions et d’excessifs passages à l’acte.
Benslama, dans son dernier ouvrage « Le saut épique ou le basculement dans le jihâd » (2021) écrit que contrairement à ce que croyait Freud, c’est « l’excès de sens » pris par des récits et des actions et non « l’absence » psychique de sens qui engendrent les passages extrémistes à l’acte. En réalité, il me semble que ce soit, chez la majorité des sujets, une tentative inconsciente de réalisation de soi par l’inscription dans une sorte d’épopée factice fondée sur la pensée magique syncrétique. Benslama constate d’ailleurs que souvent les jihadistes commencent par changer de nom comme si cet acte leur permettait de changer une identité dénuée de valeur identificatoire personnelle. Cette attitude immature infantile, fondée sur l’imaginaire du faire semblant, leur permet de se prendre au jeu d’une confusion entre réalité, fiction, virtualité, rêve de plus en plus fréquente chez les jeunes et les moins jeunes. Celle-ci est le plus souvent occasionnée par l’abus du recours aux réseaux sociaux et aux jeux virtuels proposés, avec un cortège de dérives individuelles et psychosociales qui reflètent foncièrement un mal être psychique provenant de difficultés identificatoires et identitaires.
Etre ou ne pas être…
Communiquer pour l’Homme pose toujours le problème de l’équilibration dynamique des deux tendances empathiques ; ce dont témoigne par exemple la référence à Caïn et Abel dans la Bible, les interrogations dramatiques d’Hamlet de Shakespeare, le poème la Conscience d’Hugo, mais aussi la référence au Mythe de Sisyphe de Camus. Tous ces auteurs traduisent l’éternelle question de l’identité humaine : de l’être et du non être, de l’avoir et du paraître dans un monde à l’origine inintelligible, mais que l’humanité s’est toujours efforcé de décoder : de manière intuitive magique au départ, avec la croyance naïve en la puissance de chefs. Lévi-Strauss, dans « Tristes Tropiques » (1968) analyse le fonctionnement hiérarchique au sein de clans primitifs : leurs pratiques, leurs rites et leurs organisations y sont immuables, dans « Le totémisme aujourd’hui » (1980), il conclut, sur le fait que celui-ci « se réduit à une illusion particulière de certains modes de réflexion ». Au sein des sociétés anciennes plus élargies sont apparues des explications du monde fondées sur l’existence de totems divins à la puissance supérieure; ce avant l’avènement de la croyance en un seul dieu tout puissant dans les sociétés élargies encore plus avancées.
S’ouvrir par l’éducation à la diversité des cultures
Avec le temps, l’homme est entré, depuis quelques siècles seulement, dans une modernité humaniste de pensée, mais il se réfère toujours inconsciemment aux « structures anthropologiques de l’imaginaire » collectif archaïque analysées par Gilbert Durand. Passée désormais dans la post modernité devenue hypermodernité, comme le montre Maffesoli (1982), la grande majorité de l’humanité est tiraillée entre cette tendance humaniste responsable de fond et un désir archaïque univoque de retour à un ordre mythologique dirigiste ancien fondé sur une puissance absolue ; ce qui explique, entre autres constats, la tendance au retour à des bandes soudées par le partage émotionnel. Adorno (2017), à l’issue de la deuxième guerre mondiale, analysant l’avènement d’une personnalité autoritaire en Allemagne, a montré que les difficultés éprouvées au niveau émotionnel par les allemands, pour se situer et se gérer au cours d’une période historique troublée, a conduit au nazisme. Un chef charismatique a détourné les questions relatives aux rapports entre soi à autrui pour devenir une sorte de recours quasi providentiel dans un pays désemparé. De la vacance ou de la faiblesse d’un pouvoir résulte immanquablement une captation des esprits contraire au fait que l’humain doive apprendre par l’éducation et les cultures à ne plus se référer à des valeurs et à des vérités éternelles univoques religieuses ou quasi religieuses. L’Homme doit s’ouvrir, par l’éducation, à la diversité des cultures, ce qui a fait dire à Saint Exupéry que les hommes doivent s’enrichir de leurs différences et non se combattre de manière stérile. C’est aussi le sens profond du Mythe de Sisyphe de Camus :
L’Homme est condamné au travail sans cesse renouvelé pour faire évoluer ses représentations de l’univers, de lui-même et des sociétés. Comme l’a décrit Jérôme Bruner (1990), père de la psychologie cognitive : « La culture donne forme à l’esprit » et influence nos façons d’appréhender tous les phénomènes de notre existence. Avec l’éducation, elles sont indispensables pour faire de l’homme un être conscient de ce que, seule une solidarité humaine réfléchie, peut réguler les relations interindividuelles et sociales ; ce, en distinguant bien dans l’éducation, ce qui a trait, depuis Durkheim (1897), à une « solidarité mécanique » archaïque grégaire fondée sur l’empathie affective, d’une « solidarité organique » que l’on peut considérer comme s’appuyant sur une empathie cognitive éduquée acquise. Cette dernière permet à l’homme une meilleure compréhension corrélative du monde et de soi. L’essentiel des faits actuels de radicalité provient de ce que des Hommes veulent continuer à vivre ou retourner à un ordre ancien univoque alors que la majorité des humains a choisi de jouer le jeu de l’évolution de l’aventure humaine : jouer au deux sens du terme, ludique créatif d’une part, avec des degrés réfléchis de liberté d’autre part. Tout jeu comporte immanquablement des règles.
Le processus de radicalisation
La radicalisation est un processus qui rend compte des difficultés humaines de changement, éventuellement transgressif et/ou de retour au passé. Chez les sujets radicalisés le sentiment d’appartenance est soit défaillant, soit déviant, conjoint au rejet ou au refus de ce que la majorité désigne comme étant la civilisation. Celle-ci est caractérisée dans les sociétés, élargies complexes qui sont les nôtres par l’appartenance à la citoyenneté. Un concept né au sein des cités grecques antiques et propre au sujet mâle qui a droit de cité. Celui-ci est entouré de serviteurs, d’esclaves instruits le plus souvent qui l’aident à penser. La femme y jouit d’un rôle secondaire.
L’évolution des réflexions philosophiques lors de la Renaissance a progressivement fait jaillir une conscience humaniste permettant à l’Homme de se placer au centre de ses propres préoccupations, ce qui est contraire à l’état d’esprit religieux.
Ainsi, Alvin Toffler, dans son ouvrage « Le choc du futur » (1970), mais surtout dans « Les Nouveaux Pouvoirs… » (1990) rappelle que Saint Augustin demandait aux chrétiens de se tenir à l’écart de ceux qui savent additionner ou soustraire : ceux-là ont de toute évidence, je cite : « fait un pacte avec le diable pour obscurcir l’esprit et retenir l’homme prisonnier des liens de l’enfer ». Combien de crimes, d’exactions et d’atrocités commises au nom des religions et des pouvoirs absolus ? Dans les sociétés actuelles où une puissance d’Etat est appuyée sur une constitution reconnue et où la religion n’est plus à la base de coutumes et de croyances, mais aussi des hiérarchies et des organisations univoques inégalitaires, souvent anti citoyennes , la radicalité devrait être moindre. S’il n’en va pas ainsi, c’est que la société hypermoderne complexe actuelle brouille des consciences non préparées à y vivre parce qu’en décalage avec les réalités complexes et mouvantes actuelles. Dans les années 80 du siècle dernier, Bourdieu (1979, 1993) dénonçait la tendance encore présente à une reproduction sociale et éducative élitiste en décalage avec les réalités du moment. Après Mai 68 en France, Margaret Mead (1971) évoquait « Le fossé des générations », Mendel (1968) décrivait « la révolte contre le père », Ziegler (1969) analysait les causes des phénomènes de contestation et un désir juvénile mondial de transgression.
La transformation des relations intergénérationnelles
De plus, dans la société médiatisée actuelle, circulent, dans l’instant, des informations paradoxales ou fausses qui engendrent des peurs et provoquent une recherche accrue de sécurité. Dans le même temps, accroissant leur mal-être, ce qu’a décrit Merton (1965), la société devenue hypersélective, assigne aux hommes des buts de plus en plus élevés pour connaître la réussite sans toujours leur donner les moyens d’y parvenir. Des phénomènes de modes très valorisés, présentés comme indispensables pour assurer la réussite et une bonne appartenance sociale, faussent les représentations du réel. Tarde (1890), sociologue de la deuxième moitié du 19ème siècle mais aussi juge instructeur, avait déjà constaté que les phénomènes de mode qu’il qualifiait d’imitation dans l’espace les opposant aux coutumes : imitation dans le temps, provoquaient souvent chez ceux qui se percevaient comme exclus, soit des réactions déviantes, voire criminelles, soit des réactions de dépréciation de soi ; ce, avec une tendance marquée à rechercher de manière brutale et magique la solution de leurs problèmes. L’évolution sociale et familiale du siècle dernier a transformé les rapports intergénérationnels, engendré des recompositions familiales, l’effondrement des rites et des coutumes, provoqué des déracinements migratoires internes et externes, et a engendré, comme en ont témoigné alors depuis les travaux de MJ. Chombart de Lauwe (1976) ou de Kaés (1993) une véritable « psychopathologie des grands ensembles » faite de réponses individuelles et sociales le plus souvent radicales addictives, déviantes, auto ou hétéro agressives.
La réponse politique et sociale, c’est désormais un constat admis, a engendré la prolifération de textes et de directives stérile, d’experts patentés, de coaches dans tous les domaines mais « Le malaise dans la culture » décrit dans l’ouvrage de Freud (2010), traduit en français comme un « malaise dans la civilisation » entre les deux guerres 1914-1918 persiste ; ancestral, il a seulement changé de nature au fil des temps (cf. Freud 1975, 1986 ou Gould et al 1984) avec des effets pathogènes semblables ou nouveaux déjà envisagés ; ce, d’autant plus que le statut accordé aux générations a beaucoup évolué. Le petit enfant s’est vu reconnaître un statut essentiel de « personne ». En ont découlé, d’une part un phénomène de mode relatif à la considération particulière donnée à la préservation de la jeunesse qui a touché toutes les générations, d’autre part, heureusement, des recherches scientifiques portant sur la prime enfance. Ces dernières, avec les travaux comme ceux de Spitz (1962), Mélanie Klein (1959), Laing (1970, 1980), Lapassade, (1972), Bion (1979), Winnicott (2000, 2011), Stern (2003), ont révélé le rôle déterminant de l’accordage affectif précoce entre jeune enfant et adulte pour modeler la souplesse psychique adaptative de toute l’existence humaine ; à commencer par la distinction entre le « oui et non », le « jeu et la réalité ». Faute d’un accordage affectif favorable à la détermination d’un potentiel cérébral empathique équilibré, l’homme demeure plus ou moins binaire dans ses réactions… Dans le langage désormais, on parle de sujet bipolaire. D’un point de vue critique, notre société apparaît elle-même avec une forte tendance binaire. – Par exemple, d’un côté, des parents croient avoir engendré des Mozart ou des Einstein, comme en témoigne le nombre de demandes de consultations de parents qui considèrent que leur enfant est HPI (Haut Potentiel Intellectuel) alors qu’il ne s’agit tout bonnement que d’un enfant intuitif (on parle de manière syncrétique d’intelligence émotionnelle), d’un autre côté des enfants décrits comme « dysharmonieux » ou à « l’intelligence troublée » par Gibello (2009), inadaptés au système scolaire et social, évoluent vers des conduites déviantes ou délinquantes alors que leur potentiel émotionnel et cognitif est seulement déséquilibré parce que troublé par des contenants de pensée narcissiques et fantasmatiques -.
La démarche psychologique d’approche
Toutes les considérations envisagées précédemment ont déterminé la démarche psychologique d’approche mise au point des phénomènes normaux mais aussi plus ou moins pathologiques de l’identité et de la socialisation est utilisée lors de recherches et d’expertises. L’examen classique commence par un entretien anamnestique du vécu conscient de l’existence de la personne : son enfance et ses premiers souvenirs, sa scolarité, l’évolution des situations vécues aux niveaux familial, social, migratoire le cas échéant, ainsi que l’évocation des souvenirs les plus agréables comme les plus déplaisants ou traumatisants, l’éveil à la sexualité, la connaissance de celle-ci, les projets humains et professionnels, leur niveau de réalisation, les causes de satisfaction et d’insatisfaction de l’existence personnelle au sein de la société, les attentes et les projets personnels, enfin les moyens prévus pour les réaliser. Cette première phase permet de situer le vécu, le positionnement de soi et de responsabilisation personnelle du sujet. Le recours à des tests classiques d’intelligence cognitive, constitue la deuxième étape de l’examen ; non pour déterminer un quelconque quotient intellectuel, mais pour, d’une part, appréhender les aptitudes et les capacités stratégiques de résolution de problèmes, d’autre part, percevoir les éventuels déficits ou biais spécifiques dans la manière d’appréhender ceux-ci et de les résoudre.- Il est en effet très fréquent qu’un sujet, enfant, adolescent ou adulte, pourtant doté de réelles potentialités intellectuelles, échoue intellectuellement, scolairement, voire professionnellement, du seul fait d’un déficit ou d’un biais perceptif spécifique relatif à l’espace et au temps. Le plus souvent d’ailleurs, celui-ci aurait pu être aisé à combler pour éviter des échecs et des orientations scolaires malencontreuses, qui engendrent une dévalorisation de soi ou un vécu d’éviction et de rejet susceptibles de contribuer, de façon défensive inconsciente, à nourrir la radicalité-.
Les tests projectifs
Cette approche est indispensable avant d’aborder la troisième phase de l’examen qui porte d’abord sur la personnalité inconsciente abordée à l’aide de tests projectifs pour adultes et enfants : Rorschach, Thematic Apperception Test pour adolescents et adultes, Test des 3 personnages pour sujets de tous âges, Test de Patte noire, Thematic Apperception Test pour enfants… Ceux-ci permettent de déterminer le mode de structuration et la structure inconsciente de la personnalité et de saisir des mécanismes de défense en jeu d’une part, le ou les modes stratégiques de gestion de soi et au prix de quelle dépense d’énergie psychique d’autre part. Ils sont complétés par un ou des tests de locus de contrôle pour estimer le niveau de responsabilité que s’attribue le sujet dans les faits de son existence (locus interne), ou la projection plus ou moins systématique de la responsabilité de ceux-ci sur l’environnement ou le sort (locus externe). Enfin, des tests de coping renseignent sur la capacité stratégique personnelle de faire face aux situations rencontrées en faisant appel de manière équilibrée ou non, soit au domaine réactionnel émotionnel, soit au domaine de la réflexion cognitive intellectuelle. Dans un quatrième temps, la personnalité consciente est à nouveau sollicitée à l’aide de questionnaires dont certains contiennent une échelle de mensonge. Celle-ci traduit soit une intention délibérée de fausser l’examen, soit un dérèglement inconscient de la pensée vécue.
L’examen se termine par une seconde phase d’entretien au cours de laquelle la perception du monde et des sociétés actuelles est abordée en termes de valeurs, de symboles, de croyances, de coutumes, sous influence religieuse ou non. L’objectif global de la synthèse clinique réalisée vise à tenter de comprendre les décalages qui existent dans les fonctionnements intellectuel et mental conscient et inconscient en recourant à l’interprétation clinique des mécanismes de défense et des capacités stratégiques de coping pour faire face aux situations rencontrées. Le mode de gestion du locus de contrôle et de résistance à la frustration contribue à déterminer le mode et le type d’aptitude à entrer ou non en résilience… Le plus souvent, comme l’a décrit Freud (1968) est perçue alors la manière plus ou moins ambivalente dont « l’Autre entre dans nos existences comme modèle, objet et adversaire ».
Les différentes formes de radicalité
L’examen psychologique de sujets radicalisés ou sensibles à différentes formes de radicalité ne présentent pas réellement de structure mentale pathologique, mais ils ont néanmoins des traits psychiques spécifiques qui permettent de les classer en trois types essentiels. Ils doivent être envisagés au cas par cas pour tenter de comprendre la nature, la genèse de leur entrée en radicalité mais aussi pour déterminer comment ils sont susceptibles d’être pris en charge.
Les extrémistes
Les véritables extrémistes adultes sont les moins nombreux. Ils présentent un profil intellectuel qui révèle une forte intelligence intuitive, laquelle parfois n’a pas été confirmée par une véritable réussite scolaire ou universitaire. Leur personnalité consciente est caractérisée par une forte assurance charismatique alors qu’en fait leur relation avec autrui est altérée sans toutefois être rompue. Ils sont méfiants et manifestent des jugements systématiques, souvent avec une tendance accusatrice dénuée de toute capacité de remise en cause d’eux-mêmes. Leur personnalité inconsciente repose sur un mal-être psychique ancien et profond fait de peurs archaïques stressantes qu’ils cherchent souvent à endiguer et à dissimuler par une omnipotence défensive rigide, assimilable à des traits paranoïaques plus ou moins structurés psycho et/ou sociopathiques. Lors de l’examen, ils sont très vigilants et manifestent un moi hypertrophié fait d’autophylie, d’obstination suffisante et de mépris d’autrui. Même sous des dehors qui peuvent être séducteurs et très polis, ils ne se départissent jamais d’une insensibilité et d’un autoritarisme égocentriques qui peuvent aller jusqu’à la cruauté. Réticents pour ce qui est d’admettre leurs peurs, leurs difficultés relationnelles ou scolaires, voire leurs addictions ou leur vie dissolue passée ; tout en se présentant souvent par stratégie comme des victimes incomprises, ils sont méfiants et suspicieux et peuvent brutalement devenir agressifs, menaçants et sadiques. Alors se révèle leur incapacité de décentration personnelle par rapport aux faits de leur existence. D’un point de vue psychique défensif, ils tendent à projeter sur autrui la responsabilité de difficultés, d’injustices vécues ou supposées très fréquemment en se sentant persécutés. Dans le déni de la réalité objective, ils tendent à idéaliser, en le privilégiant, leur propre point de vue ou celui d’une puissance supérieure qu’ils considèrent comme parfaite. Ils manifestent sans cesse le besoin d’affirmer une assurance personnelle qui en fait dissimule un manque inconscient précoce de confiance en soi.
Les nihilistes
A contrario, un autre type de sujets radicalisés peut être défini comme nihiliste. Leur personnalité inconsciente est labile, ostentatoire, à la limite du théâtralisme, caractérisée par des traits hystériques faits d’exagération des émotions, de falsifications des réalités, le plus souvent et en alternance, soit majorées, soit minorées, en éprouvant des difficultés à distinguer réalité, virtualité, fiction, rêve… Au cours des entretiens, le vocabulaire apparaît comme excessif. Les désirs, les projets tiennent peu compte des réalités objectives. En fait, ces sujets recourent à l’imaginaire pour combler et contrecarrer des insatisfactions affectives précoces qui les maintiennent dans le doute de soi et une angoisse floue. Dans la relation à l’Autre et aux autres ils cherchent, pour compenser leur vécu insatisfaisant, à se rassurer sans y parvenir. Leurs comportements ostentatoires exagérés et de leurs réactions puériles de prestance gênent souvent l’établissement de relations normales avec autrui. Le plus souvent dans l’excès, au niveau des idées mais aussi de leurs comportements alimentaires ou vestimentaires par exemple, ils manifestent un désir d’absolu et de perfection. C’est au cours de périodes anxieuses d’acmé de leur existence dues, soit aux frustrations éprouvées, soit à leurs exigences narcissiques non satisfaites en relation avec une culpabilisation portant sur des désirs sexuels non assumés, que leur tension psychique devient telle qu’ils sont susceptibles de passages à l’acte. – Croyant par exemple, qu’étant promis à devenir martyrs, ils trouveront dans l’au-delà soixante-dix vierges soumises pour satisfaire leurs pulsions-. Chez eux, les périodes de crise existentielle conduisent à la péjoration d’une vie insatisfaisante sensible dans les tests. Celle-ci repose sur un grand décalage entre le « qui suis-je ? », celui de la recherche de satisfaction des attentes identitaires relatives à « l’être » et le « que suis-je ? », celui de la recherche de « l’avoir » possessif, et « du paraître » prédominant. Les mécanismes de défense des nihilistes montrent qu’ils sont inconsciemment, souvent en le déniant, en quête d’une relation sécurisante qu’ils refoulent, oscillant tour à tour entre attraction et répulsion vis-à-vis d’autrui.
Les suivistes
Le type de radicalisés suivistes est le plus fréquent et le plus difficile à cerner du fait que la personnalité de surface de ces sujets est en décalage avec leur personnalité de fond et qu’ils apparaissent le plus souvent à leur environnement comme des sujets bien intégrés dans la société. Cependant toutefois, avant leur entrée dans la radicalisation, des changements notables sont souvent intervenus par rapport à leurs habitudes antérieures de vie, en particulier pour tout ce qui concerne les signes politiques, religieux et sociaux. L’examen clinique de leur personnalité inconsciente révèle chez eux l’existence de traits névrotiques divers : phobiques, obsessionnels, psycho ou sociopathiques et un fond d’anxiété existentielle qui déclenche les changements notés précédemment.
Le plus souvent, les troubles pathologiques présents chez les sujets aux caractéristiques phobiques ne sont ni permanents, ni systématiques, ni stables et ne surviennent que lors de périodes anxieuses de crises plus ou moins durables ; par exemple du fait d’un deuil, d’une rupture sentimentale, d’un épisode de chômage, de craintes phobiques de maladie ou de la mort, voire de la crise de milieu de vie chez les plus âgés. – C’est ainsi qu’un sujet parti pour commettre un attentat s’arrête au cours de son exécution du fait qu’il a, entre temps, été capable de reprendre le contrôle de soi alors qu’il était prêt à déplacer son angoisse jusqu’alors paralysante vers un autre objet extérieur-. Un tel sujet passe le plus souvent inaperçu aux yeux de son entourage aussi longtemps qu’il ne manifeste pas, du fait de son angoisse intérieure, d’engagement particulier : familial, social, religieux. C’est à partir du moment où il opte pour un comportement de défi activiste, souvent sensible qu’il est à une suggestion venant de l’extérieur qui lui permet de déplacer un temps son angoisse sur le milieu, qu’il cherche à renverser tous les obstacles psychiques paralysants qui étaient les siens et qu’il se met alors à ignorer la vigilance phobique habituelle. De tels sujets, normalement plutôt passifs du fait de leurs craintes vis-à-vis de tout engagement agissent lorsque leurs mécanismes de défense ne lui permettent plus d’isoler les causes inconscientes de leur anxiété et qu’ils répondent à des défis de passages à l’acte qui leur sont présentés comme libérateurs.
Il en va différemment chez les sujets qui présentent des traits de caractère obsessionnels organisés et qui, jusqu’au moment où ils se radicalisent, avaient été en mesure de contenir le versant obsédant de leurs craintes relatives à des sentiments d’obligation (religieuse ou autre) vis-à-vis d’idées compulsives, d’affects épuisants, de représentations, de conduites inconscientes coercitives et itératives. Les tests projectifs révèlent que le Surmoi de ces sujets est exigeant, inexorable et cruel et que leur psychisme est influencé par l’idée de mort : celle d’autrui vis-à-vis duquel ils se montrent de manière ambivalente à la fois sadiques et coupables ; la leur propre pour mettre fin à une lutte intérieure contre les contraintes psychiques vécues. Au niveau comportemental conscient, le plus souvent il s’agit de sujets fondamentalement méticuleux, soignés, obstinés, alternant des phases de sociabilité correcte avec des phases de retrait quelque peu agressif. C’est le plus souvent lors d’une aggravation de son agressivité pour tenter de masquer des traits de dépression qu’un sujet a recours au religieux de façon magique et qu’il conceptualise des faits mineurs de manière univoque pseudo philosophique pour tenter de soulager ses craintes obsessionnelles inconscientes. Les tests projectifs révèlent qu’il s’agit de sujets constamment dans le doute anxieux compulsif, qui intellectualisent sur des détails isolés en fragmentant leur réflexion et en présentant des attitudes excessives et inverses, par exemple tour à tour polis et mesurés puis tenant des propos scatologiques teintés de sadisme, respectueux de l’autorité puis se rebellant contre elle.
Les sujets radicalisés à tendance psychopathique et/ou sociopathique présentent le plus souvent depuis l’enfance, d’une part, un comportement troublé allié à des traits de caractère déséquilibrés, impulsifs et morbides, d’autre part, une tendance inconsciente à projeter leurs fantasmes mythomaniaques sur l’extérieur sensible dans les tests de locus de contrôle. Ils éprouvent plaisir à faire souffrir les autres par des allusions verbales ou par des actes pervers. Dans leur comportement extérieur instable et dans leurs réponses aux tests qui font appel à la conscience, ils oscillent entre deux tendances émotionnelles : soit ils cherchent à se montrer affectueux et séducteurs pour donner une bonne image d’eux-mêmes, soit en particulier lors d’accès émotifs ils s’avèrent impulsifs, brutaux, agressifs et dénués de sens moral ; ce qu’illustrent les faits de leur parcours de vie chaotique tant au niveau social que familial avec des délits divers, des perversions et des addictions. Lors de l’examen et des tests de personnalité consciente et inconsciente, apparaît chez eux le clivage du moi et leur besoin compulsif de manipuler et de tromper pour contrôler en fait une angoisse précoce inconsciente. Ils raisonnent de manière falsifiée souvent en rationalisant pour tenter de se valoriser et de justifier leurs désirs au travers de fantasmes car leur appréhension du réel est troublée. Mis en face de leurs contradictions, ils fuient dans le déni s’identifiant à autrui pour se valoriser selon des processus de pseudo identification. Ils adhèrent à des rôles extrémistes de manière consciente, mais en fait inconsciemment ils agissent en demeurant dans la simulation sur la base d’émotions, d’affects et de pensées fantasmées.
Par ailleurs et d’un point de vue plus général, les sujets féminins jeunes se radicalisent souvent par amour, suivisme, rivalité, esprit de revanche, voire par désir inconscient d’égaler, en les surpassant, les sujets masculins. Les mères jouent un rôle inconscient ou conscient déterminant dans la transmission de la radicalité : porteuses de traditions, elles influencent le plus souvent de façon inconsciente leur progéniture en faisant appel au domaine émotionnel ; parfois de manière plus consciente par esprit de revanche personnelle féminine. Elles utilisent, via un rôle dominant ou sacrificiel projeté, un ou plusieurs de leurs fils comme vecteur(s). Les pères, souvent après un temps de vie « normalo névrotique » à l’occidentale, sont repris par les aspects culturels religieux de leur jeunesse, lors de leur crise existentielle de milieu de vie. Chez eux le respect des impératifs religieux est alors essentiellement fait de peurs et d’angoisses syncrétiques. Les recruteurs fondamentalistes, souvent des extrémistes religieux avec des visées politiques, exercent une influence intuitive sur des sujets qu’ils perçoivent en état de faiblesse psychique par sentiment de détresse passagère, d’abandon, de perte, de non reconnaissance de soi, de deuil… Ils se présentent de manière persuasive disant en quelque sorte : « Nous sommes le Bien, tous les autres sont le Mal ».
« Accaparer la part de cerveau disponible »…
Les actes extrémistes actuels de tous ordres, mis en avant dans les faits divers avec des passages à l’acte criminels, sont présentés comme étant surtout d’ordre religieux, mais les sujets incriminés ne sont pas les seuls à prétendre détenir ou vouloir rétablir le bien, le beau, le bon. Les réactions violentes désormais omniprésentes dans la société actuelle et en particulier chez des sujets très jeunes résultent d’une société qui a tendance à cliver les humains en s’appuyant d’une part sur la pensée magique émotionnelle, d’autre part sur le syncrétisme mental souvent entretenu par les médias. Ainsi il est désormais fait appel à des animateurs et/ou des « influenceurs » dont le but et d’accaparer « la part de cerveau disponible » de sujets gavés et submergés par des émissions qui promeuvent l’impression de facilité ou des informations conjoncturelles dont le caractère émotionnel se doit d’être surtout exempt de toute considération intellectuelle et culturelle.
Pour une éducation citoyenne humaniste orientée
Seule une formation éducative et culturelle orientée, citoyenne humaniste des jeunes et des moins jeunes peut contribuer à réguler, en conscience, les phénomènes évolutifs de radicalité. C’est ce que, selon moi avait en filigrane conçu le plan Langevin-Wallon de 1945 à 1947, issu des travaux du Conseil National de la Résistance de 1943 en insistant sur la nécessaire « Observation continue » de l’évolution de chaque jeune ; en particulier pour prévenir contre les sentiments potentiels ou réels d’exclusion, d’abandon de la jeunesse résultant de la période de guerre. Le plan Langevin Wallon n’est même jamais venu en discussion devant les assemblées, or il prévoyait une véritable éducation de la personne à laïcité et à la citoyenneté à côté des nécessaires de savoirs dont des acquis sociaux et moraux. Notre société, avec son versant élitiste clivant a, de manière paradoxale, d’une part tendance à infantiliser les jeunes en les soumettant à des techniques qui les dépassent, d’autre part à leur inculquer l’idée qu’ils ont la science infuse ; d’où des désillusions dramatiques sources de radicalisation de pensée. Les exemples éducatifs des maîtres de la Silicon Valley aux Etats-Unis qui interdisent, et pour longtemps, à leurs enfants d’utiliser les jeux qu’ils produisent et de pays comme la Finlande ou la Lettonie pour ne parler que de l’Europe, qui respectent les constats relatifs à l’évolution de l’enfance, montrent que le respect des processus de socialisation de l’enfant conduit à des résultats positifs tant au niveau de l’acquisition des savoirs que des modalités d’intégration sociale et morale. Bien peu d’enseignements ont été tirés des apports anciens de Maria Montessori (2018, 2019) ou de Freinet (1956, 1966), pour n’évoquer qu’eux en matière d’accompagnement des enfants dans l’appropriation des savoirs. Bien peu d’applications ont été faites des travaux de Piaget ou de Gardner relatifs aux différentes formes de nos appétences intellectuelles. Que dire des préconisations conjointes de Lipman (2006) et Ann Margaret Sharp (1998) ou encore de Galichet (2014, 2014) ou d’Obin (2005, 2020) relatives à l’intérêt naturel des enfants pour tout ce qui a trait aux partages, aux échanges ; des voies à cultiver pour développer réellement l’articulation de l’individuel et du social dans le respect d’une éthique et d’une morale universelles dont l’appropriation par l’enfant et l’adolescent doit être accompagnée et guidée comme le décrit Kohlberg .
A chacun son rôle…
Au lieu de véritables questions concrètes et orientées d’éducation et de culture, il est presque toujours fait appel à des slogans prônant le « vivre ensemble » dans une « société inclusive », oui mais comment ? : Tout d’abord par la formation à la parentalité . – « C’est quoi un papa ? » me demandait un enfant dont la mère avait 5 enfants de 4 pères différents-. Par une réelle formation générale de la population pour répondre aux questions existentielles philosophiques, anthropologiques, historiques, religieuses, mais aussi scientifiques, sociologiques, psychologiques et pédagogiques des temps présent et futur. Celles-ci interrogent des consciences angoissées par des questions de compréhension du monde, de préservation de l’environnement, etc… Faute de débats et d’informations tangibles, désorientés, les humains compensent souvent des conduites addictives, déviantes ou agressives d’une part, des attitudes dépitées, blasées ou dépressives d’autre part. Un phénomène qui affecte de plus en plus des sujets jeunes et adultes comme en témoigne l’explosion des passages à l’acte violents auto ou hétéro agressifs, l’utilisation névrotique des jeux, l’adhésion syncrétique aux réseaux sociaux, les attitudes de fuite en avant. Les enseignants, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les services de gendarmerie, de police et de justice mais aussi les décideurs politiques et administratifs, quelquefois enfermés de manière défensive dans des préjugés, se révèlent inaptes à eux seuls pour endiguer des difficultés individuelles et sociales qui vont croissantes. Le plus souvent, eux-mêmes ne sont pas formés culturellement pour affronter la complexité du monde actuel.
A l’écoute…
Au niveau éducatif global, notre société, tend d’une part à infantiliser ses enfants par des attitudes de surprotection qui aboutissent à les rendre apragmatiques et irresponsables, d’autre part, nombre de parents laxistes, fréquemment en difficulté personnelle, laissent à leur progéniture le choix de décisions qui ne sont pas de leur ressort. Faute de connaissances de fond relatives aux devoirs parentaux, des enfants sont laissés à eux-mêmes avec des sentiments contradictoires et nuisibles d’abandon ou de toute-puissance qui engendrent quasi systématiquement des réponses radicales. Or l’écoute des préoccupations des enfants dès leur plus jeune âge, comme elle se pratique en Finlande par exemple, permet de percevoir la profondeur émotionnelle intuitive de leurs questionnements intimes et culturels. Même de très jeunes sujets s’interrogent sur les différences humaines qu’ils perçoivent, dont celles qui portent sur les différences d’origine, de croyances, de coutumes, de modes de vie qu’ils constatent, souhaitant partager, être entendus, compris lors d’échanges entre eux mais aussi avec des adultes référents compréhensifs. Les travaux des auteurs cités précédemment, Lipman et Sharp mais aussi Galichet, ont révélé des capacités enfantines surprenantes, sur fond ludique, d’appréhension, de compréhension, d’auto organisation, d’animation, de formulation, de reformulation, mais aussi de synthèse des phénomènes. En particulier, ils aiment comprendre pourquoi, comme l’a décrit Bachelard, leurs seules intuitions peuvent se révéler trompeuses. -J’ai, maintes fois à l’issue d’examens psychologiques proposé en matière de conclusion et comme un jeu aux enfants ou adolescents de réfléchir sur une pensée complexe comme celle d’Einstein : « N’essayez pas de devenir un homme (ou une femme) qui a du succès. Essayez plutôt de devenir un homme (ou une femme) qui a de la valeur ». Par leurs réponses parfois surprenantes, les jeunes m’ont montré alors la qualité de leur potentiel réflexif et critique, ou déjà leur adhésion au laisser-faire, laisser-aller de recherche de profits immédiats-.
Et pour conclure…
En conclusion, la radicalité est un phénomène naturel transgressif qui doit être régulé et peut alors devenir bénéfique socialement : nombre de progrès humains sont dus à des transgressions de l’ordre établi. Nous vivons dans une société complexe qui promeut la normalité comme l’a analysé Canguilhem (1966, 1992). Tout en mettant l’accent sur la créativité, elle laisse en fait peu de place naturelle à l’expression des transgressions humaines et semble se complaire dans une fuite en avant matérialiste et consumériste qui risque d’abêtir la réflexion individuelle et collective. Le plus souvent, plutôt que de rechercher les significations profondes des phénomènes, elle en traite seulement les symptômes visibles. En réaction, s’expriment de manière syncrétiques des sentiments individuels et collectifs d’insatisfaction qui engendrent des réactions radicales, elles aussi éloignées de questions existentielles de fond qui continuent d’interroger les consciences quant au devenir de l’humanité. Comme l’ont par le passé montré Freud et Adorno, plus récemment Lapassade (1983), Guénon (1994), Cazeneuve (1995), Augé (1997) et enfin Piketty (2019), l’Homme, être inachevé éducable à la naissance, peut et doit être orienté pour mieux vivre de manière harmonieuse en société, savoir gérer les frustrations qui sont les siennes, pouvoir se positionner avec une meilleure conscience dans les rapports entre soi et autrui.
Nature et culture
L’éducation ne peut faire l’impasse sur une approche anthropologique, philosophique, religieuse et sociale de l’humain pour permettre à chacun de saisir le sens du respect dû à la nature d’une part, à la diversité des cultures d’autre part. La tendance globale de rupture avec la nature et la diversité culturelle par un recours accru à la normalisation et à l’uniformisation tend à restreindre, comme l’a analysé Lévi-Strauss (1980), la liberté humaine de choix. Elle provoque immanquablement des réactions radicales de tous ordres, le plus souvent défensives émotionnelles, inconscientes et inappropriées. Il s’agit de faire en sorte que, chez des humains éduqués, l’entendement illusoire des mythes totémiques essentiellement matériels et consuméristes de notre temps puisse être intellectualisé d’une manière non univoque ouverte à la diversité.
Jean-William Wallet
BIBLIOGRAPHIE :
Adorno TW., Etudes sur la personnalité autoritaire, Paris, Allia, 2017.
Ariès P., 1978, L’histoire des mentalités, in Le Goff J., La nouvelle histoire, Paris, Retz. p. 423.
Augé M., 1997, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier (Champs Flammarion).
Balandier G., 1967, Anthropologie politique, Paris, PUF.
Balandier G., 1965, La vie quotidienne au royaume du Kongo, Paris, Hachette.
Benslama F., 2021, Le saut épique ou le basculement dans le Jihâd, Paris, Actes Sud.
Bion R.W, 1979, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF.
Bourdieu P., 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit.
Bourdieu P., et al. 1997, La misère du monde, Paris, Seuil.
Brewer M.B., Gardner W., 1996, Qui est ce « nous » ? Niveaux d’identité collective et représentation de soi, in Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, 71, (1), pp.83-93.
Bruner J. ; 1990, Car la culture donne forme à l‘esprit. De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Paris, Retz.
Camilleri C. et al., 1990, Stratégies identitaires, Paris, PUF.
Canguilhem M., 1966, Le Normal et le Pathologique, Paris, PUF. ED. orig. 1943.
Canguilhem M., 1992, La connaissance de la vie, Paris Vrin. Ed. orig. 1952.
Cazeneuve J., 1995, La personne et la société, Paris, PUF.
Chombart de Lauwe M.J., 1976, Espaces d’enfants : la relation enfant environnement, ses conflits. Paris, CNRS, EPHE, Centre d’ethnologie sociale et de psychosociologie.
Durand G., 2016, Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale. Paris, Dunod, Ed. orig. 1960.
Durkheim E., 1897, Le suicide, Paris, Alcan.
Foucault M., 1975, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard.
Freinet C., 1956, Les méthodes naturelles dans la pédagogie moderne, Paris, Bourrelier
Freinet C., 1966, Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation, Paris, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé
Freud S., 1968, Psychologie collective et analyse du moi, Paris, Payot. Ed. orig. 1921.
Freud S., 1975, Totem et Tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Paris, Payot. Ed. orig. 1912.
Freud S., 2010, Malaise dans la civilisation, Paris, Payot. Ed. orig. 1930.
Freud S., 1986, Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard. Ed. orig. 1939.
Galichet F., 2014, L’émancipation. Se libérer des dominations, Lyon, Chronique Sociale.
Galichet F., 2014, Philosopher à tout âge. Approche interprétative du philosopher, Paris, Vrin.
Gibello B., 2009, L’enfant à l’intelligence troublée, Paris, Dunod.
Gould S.J., 1984, Darwin et les grandes énigmes de la vie, Paris, Seuil.
Guénon R., 1994, La crise du monde moderne, Paris, Gallimard. (Ed. orig. Bossard 1925).
Harari Y.R., 2015, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin Michel.
Kaes R., et al., 1993, Transmission de la vie psychique entre générations, Paris, Dunod.
Klein M., 1959, La psychanalyse des enfants, Paris, PUF.
Lacan J., 1962, Les complexes familiaux dans la formation de l’individu. Essais d’analyse d’une fonction en psychologie, in Autres Ecrits, Paris, Seuil, pp.23-84.
Laing R.D., 1970, Le Moi divisé. De la santé mentale à la folie, Paris, Stock.
Laing R.D., Cooper D.G., 1972, Raison et violence. Dix ans de la philosophie de Sartre (1950 – 1960), Paris, Payot.
Laing R.D., 1980, Soi et les Autres, Paris, Gallimard.
Lapassade G., 1972, L’entrée dans la vie : essai sur l’inachèvement de l’homme, Paris, Union Générale d’éditions.
Lévi-Strauss C., 1977, L’identité, Paris, Grasset.
Lévi-Strauss C., 1980, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF.
Lipovetsky G., 1983, L’ère du vide : Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, Essais.
Maffesoli M., 1982, Le retour de Dionysos, pour une société de l’orgie, Paris, Méridiens/ Anthropos.
Mead M., 1971, Le fossé des générations, Paris, Gonthier Denoël.
Mendel G., 1968, La révolte contre le père. Une introduction à la sociopsychanalyse. Paris, Payot.
Merton R.K, 1965, Eléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon.
Muhlman W.E., 1968, Messianismes révolutionnaires du Tiers Monde, Paris, Gallimard.
Piketty T., 2019, Capital et Idéologie, Paris, Seuil.
Spitz R.A., 1962, Le non et le oui : la genèse de la communication humaine, Paris, PUF.
Stern D., 2003, Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF.
Toffler A., 1970, Le choc du futur, Paris, Fayard.
Toffler A., 1990, Les Nouveaux Pouvoirs. Savoirs, richesse et violence à la veille du XXIème siècle, Paris, Fayard.
Winnicott D.W., 2000, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris, Gallimard.
Winnicot D. W., 2011, La relation parent – nourrisson, Paris, Payot.
Ziegler J., 1969, Sociologie et contestation. Essai sur la société mythique. Paris, Gallimard.
Consultations d’articles sur internet :
Document d’analyse du RSR/RAN du 04/01/2016 : Les causes profondes de l’extrémisme violent/ références à :
Ranstorp M., Hyllengren P., 2013, Förefyggande av valdsbejakande extremism I tredjeland (Collège de défense suédois)
Roy O., 2015, Conférence d’automne du BKA, 18-19 novembre, « What is the driving force behind jihadist terrorism ? – A scientific perspective on the causes/ circumstances of joining the scene », International terrorism : How can prevention and repression keep peace ?
ONU Femmes Maroc, Janvier 2019 « Penser le genre dans les réponses à l’extrémisme en Tunisie – Enjeux conceptuels, état des lieux, pistes d’actions ».