Tribune de Karine Lacombe
Cheffe de service des maladies infectieuses
à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris
Galilée.sp tient à remercier Madame Karine Lacombe pour son autorisation à reproduire sur notre site sa tribune parue dans le journal « la croix » du 3 janvier dernier
Il n’y a pas si longtemps, à peine un an, je commençais un stage de yoga dans le murmure des mantras, la campagne normande invitait à la méditation, nous ne nous disions rien de cette année qui s’annonçait, seul l’instant présent qui s’écoulait tranquillement, entre bienveillance et introspection, prenait sens en nous, les yeux fermés et le souffle ujjayi qui nous tenait comme un fil tendu vers la minute suivante.
De loin en loin je percevais un bruit confus qui arrivait de Chine, mais nous ne l’écoutions pas, noyés dans la brume du petit matin qui posait un voile translucide sur la rivière coulant au bout du champ.
Il n’y a pas si longtemps, un jour à peine, j’ai de nouveau fermé les yeux, retenu mon souffle et nettoyé mes pensées, essayé d’apaiser ce tumulte intérieur en sentant sur mon visage tomber la neige en flocons légers comme des plumes minuscules.
Entre les deux, dans cet espace entre un an et un jour, le temps s’est étiré comme un siècle, s’est contracté comme une seule et longue journée, où les jours se sont fondus dans les nuits, plus de semaine, plus de week-end, nous avons basculé dans un espace-temps où la pandémie due au coronavirus Sras-CoV-2 nous a submergés.
L’angoisse de l’inconnu
Ballotté au gré des informations, mésinformations, dysinformations, aninfomations (2), chacun d’entre nous, que l’on soit médecin, chercheur, personnage politique ou simple citoyen, a vécu la même succession de périodes de sidération, d’acceptation, de révolte, d’hyperactivité, de colère, d’abattement. Certains devant l’inexplicable ont cherché des coupables, d’autres ont cru trouver dans les chemins de traverse qui jalonnent les champs de la science des solutions bien simples à la crise subie.
Tellement simples que ne pas y adhérer est très vite apparu suspect à leurs yeux, alors qu’il leur semblait si logique de répondre à l’angoisse de l’inconnu (une nouvelle maladie dont on ne connaissait rien, même pas l’agent infectieux responsable, encore moins les modalités de transmission et pas du tout les traitements efficaces) par une solution thérapeutique rapide, fût-elle une illustration parfaite de la « pensée magique ».
Notre capacité de résistance quotidienne
Au cœur de la crise sanitaire est ainsi né le populisme scientifique, dont chacun d’entre nous a souffert, des médecins mis en cause dans leur pratique quotidienne aux citoyens que l’on a fait douter de leurs scientifiques. Mais au fil des mois, dans ce temps qui a paru si long et qui pourtant a coulé si vite, parce que la connaissance se construit pas à pas, ne part pas de rien et capitalise sur les travaux menés depuis des années par des scientifiques rarement dans la lumière, une issue à la pandémie s’est esquissée.
D’abord grâce à la compréhension des voies de transmission du virus qui a permis de savoir comment s’en protéger. Puis par la mise au point de traitements qui ont atténué les conséquences de la maladie chez les plus fragiles d’entre nous. Et enfin par la découverte d’une technologie peaufinée depuis dix ans qui allait conduire à l’élaboration d’un vaccin, et en prévenant les formes graves de Covid-19 et très probablement sa transmission, va poser le point final tant attendu à cette pandémie.
Si je regarde maintenant, à la veille de 2021, ce que l’on a traversé ensemble, chacun de ces 365 jours m’apparaissent comme autant de cailloux blancs témoins de notre capacité de résistance quotidienne. Les affrontements, les batailles, les humiliations, les mensonges, rien de cela ne sera oublié, mais au contraire absorbé, dilué et construira au final le socle de notre société solidaire. 2021, année vaccinale ? 2021, année résiliente !
Karine Lacombe
03/01/21
Karine Lacombe est l’auteure avec la dessinatrice Fiamma Luzzati du livre « La médecin » paru aux éditions Stock dans la collection Essais-Documents (novembre 2020)
(1) Karine Lacombe est également cheffe de service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Antoine.
(2) « Mé- », « dys- » et « a- » sont des préfixes couramment utilisés en science pour exprimer une variation du normal (déformation, disparition, absence), les néologismes ici utilisés appuient le caractère exceptionnel de la médiatisation qui a accompagné la pandémie durant toute cette année 2020.