Avoir réponse à tout ? Oh non ! Surtout pas ! Il serait si souhaitable d’avoir question à quelque chose, beaucoup de questions à beaucoup de « quelque chose »…
Alors commencer par la réponse ou par la question ? On pourrait s’étonner d’une telle formulation qui poserait, semble-t-il, le problème à l’envers. Néanmoins, le spectacle réitéré de l’incohérence généralisée alentour offre matière à perplexité. Le physicien Étienne Klein, grand maître ès-anagrammes, est sans illusion : « Question sans réponse = enquêtons sans espoir. »
L’étymologie, toujours elle, permet quelques regards d’une saine déconcertation.
Aux temps, si peu bénis, de la pandémie, qui affecte tant les corps que les cerveaux, nous assistons à une déferlante de réponses tous azimuts. Avec la bénédiction successive et contrastée des avis qui se prétendent autorisés.
Pourquoi insister sur ce vocabulaire religieux ? Justement parce que, par sa nature étymologique, la réponse en est empreinte.
L’indo-européen *spend- ressortit au domaine du religieux et du juridique et exprime l’idée de libation.
Le grec, initialement, désigne ainsi le rituel par lequel on consacre une convention entre deux individus, deux parties privées ou publiques, par une offrande liquide en liaison avec le serment prêté aux dieux pris à témoins, qui contribueront ainsi à prémunir d’un danger. Le mot étendra ensuite son domaine au pacte de sécurité réciproque que les deux contractants s’engagent à respecter, en se prenant mutuellement comme garants. Tel est aussi le sens politique et juridique que l’on retrouve en latin. Il s’agit donc d’une garantie échangée, que renforce la correspondance. Puisque *sponsus désigne le (ou la) fiancé(e), on s’engage dans le mariage, preuve tangible d’épousailles mûrement réfléchies. Du moins l’espère-t-on… D’où aussi le sponsor, garant, caution. Et il ne faudrait surtout pas voir dans la spontanéité de l’éventuelle riposte une attitude irréfléchie, mais au contraire une action menée, une parole proférée, de sa propre volonté.
Et voici la réponse, qui est un engagement solennellement pris, religieusement comme en témoignent les réponses des oracles consultés à titre privé ou public. Avoir du répondant authentifie la validité de l’engagement et rend responsable celui qui le prend. En toute connaissance de cause.
Car il en va du sort de l’irresponsable, qui se serait montré inconséquent dans son attitude. Le sort est justement, chez les Latins, la petite tablette de bois sur laquelle la réponse prophétique de l’oracle est inscrite, ou avec laquelle on tire au sort les magistratures. Sortilège de sorcier ? Point de légèreté inconsidérée dans cet accord. Épouser, n’est-ce pas devenir consorts ?
La question, quant à elle, est strictement latine dans son origine sémantique. Sans doute parce qu’elle n’a rien d’abstrait ni de conceptuel. Elle est la démarche de quelqu’un qui cherche à se procurer une chose matérielle, un avantage concret nécessaire à la vie ou à l’activité. Un gain, la quête d’un moyen d’assurer son existence. Il s’agit d’un objet, bien plus que d’un renseignement. Le questeur est le juge d’instruction, magistrat chargé des enquêtes criminelles, puis des fonctions financières et de la gestion des comptes du trésor.
Assorti de nombreux préfixes, le sémantisme ouvre un champ très prolifique, qui va de l’acquisition au conquérant. De l’enquête à l’inquisition de sinistre mémoire. Rien d’exquis dans la perquisition ou le réquisitoire à charge.
Revenons au duo question-réponse.
Le monde en général, médiatique en particulier, offre l’affligeant spectacle d’un brouhaha où s’entrecroisent, se choquent, se bousculent sans s’excuser, des myriades de mots censés contribuer à organiser une réflexion cohérente. Questions lancées à la cantonade, réponses immédiates sans recul ou compétence reconnue. Les vrais sages, c’est bien connu, s’accordent toujours le temps de latence. De quoi se demander si la néfaste bestiole n’atteint pas chez nombre de parleurs publics le cerveau lui-même.
Quand on sait qu’il faut 190 millièmes de seconde aux réflexes pour entrer en action et à l’esprit pour comprendre la nature du problème et y répondre, on saisit mieux les causes profondes de cette cacophonie.
Pourquoi tant de détenteurs, patentés ou auto-proclamés, d’avis prétendument autorisés ont-ils oublié que la pensée devrait précéder la parole ? Or penser par soi-même c’est dialogueravec soi, se livrer en silence à un jeu intelligent de questions-réponses. Avec la révérence incontournable que l’on doit à la responsabilité de ses actes et de ses paroles. Surtout quand celles-ci se voient immédiatement réverbérées dans le miroir déformant des réseaux de communication. On est, hélas, témoin des effets désastreux qu’elles induisent trop souvent au coeur de nos sociétés, qui se livrent à l’immédiateté d’un jeu de ping-pong verbal sur n’importe quel sujet, scandé au rythme des rumeurs toxiques.
À cette vaste entreprise de décérébration collective, de décervelage entretenu, Victor Hugo avait déjà lucidement répondu : « On pourra sans doute me monter sur le dos, mais on ne parviendra jamais à me monter sur la cervelle »…
Annick Drogou, Galilée.sp, décembre 2020