Nous inaugurons cette nouvelle rubrique du site de Galilée.sp, « Le billet d’humeur », au moment de la tragique crise sanitaire mondiale du « coronavirus » qui entraîne le confinement de plus de la moitié de l’humanité et l’arrêt brutal d’une part importante de l’économie mondiale et nationale.
Ce n’est pourtant pas la première fois que nous connaissons une pandémie. Sans remonter à la « Grande peste noire de 1348 », qui n’était déjà pas la première et mit plusieurs années pour se répandre depuis la Chine – déjà ! – on cite souvent, comme une référence majeure la « Grippe espagnole de 1917-1918 ». Celle-ci, il est vrai, a fait autant de morts sur la planète – 50 millions – que la Grande Guerre elle-même en l’espace de deux à trois ans. Cependant, d’autres pandémies plus récentes sont trop facilement oubliées (grippe de Hong-Kong en 1957 et 1970, Ebola, grippe aviaire, VIH, SRAS, le H1N1, sans parler de la grippe ordinaire, cause de très nombreux décès…).
Crise sanitaire et droits fondamentaux…
Alors, quelles sont donc les spécificités si extraordinaires de la crise actuelle pour que la plupart des gouvernements mondiaux adoptent des mesures aussi drastiques que le confinement des populations (mesure en elle-même négatrice des droits de l’homme les plus élémentaires et inédite dans les démocraties occidentales, même en temps de guerre) ? Ou que l’arrêt presque complet des échanges et de la production ? …
Il semble bien que l’actuelle crise sanitaire soit en fait le révélateur d’autres crises structurelles, plus ou moins larvées, plus larges, et très préoccupantes. En effet, les spécificités dérivant directement de la crise sanitaire sont triples :
- c’est un virus qui semble, version officielle restant à vérifier, s’être diffusé à partir de la Chine (marché de Wuhan) ; peut-être, à vérifier également, à partir d’un monde animal bousculé par la déforestation (chauves-souris, pangolins …) ;
- sa nature est encore mal connue des scientifiques et apparemment caractérisée par une extrême contagiosité et un taux de létalité élevé ;
- l’incroyable rapidité de sa diffusion, en seulement deux ou trois mois, à la quasi-totalité de la planète.
Déjà, on peut constater qu’en elle-même, la crise strictement sanitaire soulève la question contemporaine de la transition écologique (préservation de la biodiversité…) et celle du développement anarchique des échanges internationaux dans une économie mondialisée non régulée.
Revoir le modèle économique…
La quatrième spécificité, sur laquelle je voudrais m’attarder plus longuement, c’est que la « crise sanitaire » risque de devenir une crise économique, sociale et géopolitique, sinon politique , nécessitant une révision majeure et définitive du modèle économique dominant depuis le début des années 1980, époque où M Reagan et Mme Thatcher décident de mettre en œuvre dans les politiques publiques les théories économiques ultra libérales de Milton Friedmann et Friedrich von Hayek marquant ainsi la naissance du « néo-libéralisme ». Notons cependant que le processus de remise en cause de l’idéologie économique dominante était déjà en cours depuis quelques années avec notamment le « non » Français au référendum européen de 2005, la montée des « populismes », des « souverainismes » et les élections de Donald Trump et Boris Johnson …
En effet, la crise actuelle est comparée pour ses conséquences potentielles avec la « Grande crise de 1929 » ! Pourtant, l’origine de la crise économique en cours, contrairement à celle de 1929, n’est pas immédiatement financière ; il s’agit d’une crise de l’économie réelle par le jeu d’une crise simultanée de l’offre (arrêt volontaire de la production) et de la demande (chômage, baisse des revenus etc…). Il semble, et c’est heureux, que les gouvernants mondiaux actuels ne répèteront pas les erreurs de leurs prédécesseurs des années trente qui, fidèles jusqu’au bout à l’orthodoxie économique dominante, ont tranquillement conduit des politiques déflationnistes jusqu’à l’arrivée de Hitler au pouvoir et la suite que l’on connaît…
Aujourd’hui, la situation est apparemment fort différente : les USA ont annoncé un grand plan de relance ; en Europe la BCE se montre hardie ainsi que, dans une moindre mesure, les autorités politiques européennes ; la Grande Bretagne met en place également un plan de relance avec l’aide d’une Banque d’Angleterre disposée à prêter directement au gouvernement !
… La France est bien évidemment dans la même dynamique. Tous les tabous de l’orthodoxie néo-libérale sont en train de tomber les uns après les autres : règle du plafond de 3 % du PIB de déficit public, règle des 60 % de la dette publique, interdiction des aides publiques aux entreprises, rôle restreint des banques centrales, même la planification et les nationalisations pourraient revenir à l’ordre du jour !…
En ce qui concerne la France, je me garderai de « tirer sur le pianiste » (encore moins, c’est le cas de le dire, sur les ambulances…). L’heure viendra vite du bilan de la gestion de la crise et de la préparation de « l’après ».
Cela étant, on ne peut s’empêcher de faire, dès à présent, plusieurs constatations, surprenantes seulement en apparence, très désagréables pour notre orgueil national et qui dépassent les clivages partisans classiques :
- Surprenante impréparation de la France, mais comme la plupart des autres pays, à affronter une telle crise. A tel point que le confinement général des personnes et le quasi-arrêt de l’économie s’imposent à tous comme seul moyen d’endiguement de l’épidémie ! … ;
- Surprenante soudaineté de la découverte que la France, comme la plupart des pays occidentaux, a délégué à des pays tels que la Chine ou l’Inde le soin de produire des biens vitaux pour la population (masques de protection respiratoire, matériels de réanimation et quantités incroyables de médicaments importants) … ;
- Surprenante soudaineté de la prise de conscience, notamment au travers de « l’affaire de l’hydroxychloroquine», que les « énormes dépenses de santé », tant stigmatisées naguère, profitent surtout à des entreprises et laboratoires privés internationaux, semblant mettre les pouvoirs publics sous leur coupe et la sécurité sociale en coupe réglée… ;
- Surprenante constatation qui affleure enfin soudainement à la conscience que le sous-investissement en matière de prévention de la santé s’avère catastrophique (moins de 5% des dépenses de santé !) et, de plus, marqué par l’impéritie, comme semble le montrer l’affaire de la « disparition des stocks de masques» ; on n’a toujours pas compris qu’il était beaucoup plus intelligent, et beaucoup moins coûteux, de “prévenir que de guérir” !!
- Surprenante révélation tout aussi soudaine que nos pourtant très proches voisins allemands, avec un niveau de dépenses publiques de santé comparable (environ 11% du PIB), affichent tranquillement environ 30 % de plus de lits d’hôpitaux, 2 ou 3 fois plus d’appareils respiratoires et peuvent pratiquer beaucoup plus des tests ! …
Chers amis et lecteurs de Galilée.sp, en 2017, avec Catherine Gras sous le pseudonyme de « Lucie des Monts » et moi-même sous celui de « Léon Garibaldi », nous avons écrit un ouvrage « Pour une nouvelle philosophie de l’action publique »… (Editions Arnaud Franel).
Nous soulignions les dangers du modèle économique dominant, et proposions de remédier à la tragique impuissance publique face aux grands enjeux de l’époque. Nous appelions de nos vœux la réhabilitation et la revitalisation des services publics, en mettant « les fonctions publiques au cœur de l’innovation », en se fondant sur les valeurs de la République et l’humanisme des Lumières.
Aujourd’hui, c’est le moment de le faire ou jamais …
Gilbert DELEUIL, Président du conseil d’administration de Galilée.sp