Par Valérie Thorin
« Voltaire… le pourfendeur des religions, l’esprit libre, révolutionnaire, celui dont on a brûlé le dictionnaire philosophique dans le bûcher du chevalier de La Barre, l’auteur du Traité sur la tolérance et de la pièce de théâtre Le fanatisme, ou Mahomet le prophète que l’on n’ose plus jouer nulle part au monde, ou presque. Celui qui n’hésitait pas à affirmer, en un temps où cela entraînait la mort, l’enfermement ou l’exil, plus certainement qu’aujourd’hui, que le christianisme était la religion « la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais affecté le monde », ou encore « la superstition la plus infâme qui ait jamais abruti les hommes et désolé la terre ».
Ainsi osait-on parler des religions au XVIIIe siècle. Il est de ceux auxquels nous devons de vivre libres. Mais nous ne le savons plus, nous l’avons oublié. »
Richard Malka, Traité sur l’intolérance, Paris, 2023
Je viens aujourd’hui vous parler de laïcité, de radio et d’intérêt général car j’ai le bonheur de diriger, depuis quelques années, une radio associative qui a pour nom Fréquence Protestante, et qui est une radio « généraliste et laïque ». Quand on s’appelle Fréquence Protestante, je peux vous assurer que ces deux qualificatifs associés sont une gageure.
Quelques mots d’explication pour vous donner le contexte : nous avons pour nom Fréquence Protestante car la radio a été créée il a 40 ans, au moment de l’émergence des radios libres, par des pasteurs protestants. A l’époque, tous les amateurs de radio s’engouffraient dans cette nouvelle liberté, y compris bien sûr, les représentants des religions.
Très vite, il est apparu que ça n’allait pas être si simple de monter une petite radio car émettre en FM avait un certain coût, et même un coût certain. Les radios musicales ont mis en place, entre autres, un modèle économique basé sur la publicité, mais par exemple pour Fréquence Protestante, difficile de se dire qu’on allait faire de la pub pour la lessive ou les voitures.
Il y a donc eu regroupement par affinités. Les chrétiens semblaient pouvoir s’entendre : protestants, catholiques, orthodoxes et… scouts unionistes dans un premier temps. En fait, les orthodoxes ont décidé de ne pas participer. Les scouts n’avaient pas de moyens financiers suffisants, il est donc resté les catholiques et les protestants. Les finances des protestants ne sont cependant pas à équivalence avec celles des catholiques (et leur nombre non plus), le résultat a donc été un partage d’antenne 80/20 en faveur des catholiques, ce qui est plutôt favorable pour les protestants, qui ne sont pas en proportion aussi nombreux.
Cette explication vous permet de comprendre le paysage dans lequel nous évoluons : nous sommes en partage d’antenne avec Radio Notre-Dame, une radio religieuse, confessionnelle, qui ne propose que des programmes religieux : des prières, des questions de foi, des sujets bibliques, des rencontres et témoignages de foi, les JMJ, le pape à Marseille etc.
Et donc nous. Fréquence Protestante, une radio que nous affirmons généraliste et laïque. Nous sommes vraiment différents. Ce n’est pas nouveau, ça date de Luther en 1514 et ça ne s’est pas vraiment amélioré depuis…
Vous commencez peut-être à entrevoir le défi…
Pourquoi affirmer que FP est une radio laïque et en quoi FP est-elle laïque ?
Je vous ferai l’économie d’un long discours sur la laïcité. FP est portée par une association loi 1901. Elle est signataire de la Charte de la laïcité et des valeurs de la république, qui est un document administratif garantissant notre bailleur de fonds public que nous respectons les valeurs fondatrices de la république. Je vous cite les toutes premières phrases du préambule de cette charte, qui sont très éclairantes :
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, sur l’ensemble de son territoire, de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de sexe, d’orientation ou d’identité sexuelle, ou de religion. Elle garantit des droits égaux aux femmes et aux hommes.
La laïcité repose sur trois principes : la liberté de conscience et de culte, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions.
FP entre dans ce cadre légal. Elle n’est pas une organisation religieuse. Elle est dirigée par des laïcs, moi-même votre servante, je dirige l’antenne et l’association est présidée depuis le mois de juin dernier par Sylvie Hubac, ancienne Conseiller d’Etat. Son prédécesseur était Michel Vaquin, ancien haut dirigeant dans l’industrie, et sans remonter aux calendes grecques, le prédécesseur de Michel Vaquin était feu Jean-Noël Bouillane de Lacoste, ancien ambassadeur de France. Oui, nous avons été fondés par des pasteurs protestants, oui nous diffusons des programmes religieux, non nous ne sommes pas une radio confessionnelle, ni communautaire.
Ce n’est pas dans l’administration de la radio, même si au regard des pouvoirs publics notamment, c’est important, que l’on peut constater à quel point FP est laïque, mais bien dans les valeurs qu’elle véhicule et qu’elle promeut. Autrement dit : dans ses programmes.
Avant de vous parler de notre généralisme, je voudrais vous donner quelques éléments supplémentaires sur « qui sommes-nous » : nous sommes donc une radio associative (catégorie A), construite à partir de l’engagement de bénévoles. Il n’y a que deux salariés, le coordinateur de l’antenne et moi-même. Nous avons un ingénieur du son et un technicien qui sont tous deux des intermittents du spectacle. Par ailleurs, nous employons chaque année un ou une jeune en Service civique. Nous avons également un jeune journaliste apprenti en alternance. Bien sûr, nous accueillons des stagiaires, deux mois maximum par individu. Je les recrute en général au niveau Master, ou dernière année d’étude en école de journalisme.
Les animateurs sont donc tous bénévoles, ils sont 103 exactement, mais réussissent à animer 150 émissions différentes, ce qui donne, actuellement disponibles, 5 430 épisodes divers et variés, tous ré-écoutables. Les émissions sont toutes, à un moment donné de leur durée de vie, diffusées en FM et sur le DAB+, la version numérique de la radio FM. Elles sont aussi écoutables sur les box internet, sur les applis de radio comme RadioLine, que l’on peut avoir sur son téléphone portable. Elles sont évidemment disponibles sur notre site internet, frequence protestante.com et sur les grandes plateformes de podcast : Apple, Google, Deezer, Spotify, AmazonMusic et même, pour au moins l’une d’entre elles, sur la plateforme payante Audible, gérée par Amazon. Sans que nous ayons donné notre autorisation, d’ailleurs.
Pour en finir avec les statistiques : notre agrégateur, via lequel nous envoyons les émissions sur les plateformes de podcast, nous indique que nous avons eu 370 000 écoutes depuis un peu plus d’un an, avec un taux de complétion souvent voisin de 80 %. Cela signifie que lorsque quelqu’un se connecte à une émission, il écoute environ 80 % de ladite émission. Nous avons un bel engouement pour les formats longs, c’est-à-dire une heure, au détriment des formats courts, 15 minutes chez nous, voire très courts, 3 à 4 minutes. Le record absolu d’écoutes pour une série, est un format d’une heure qui totalise à lui seul près de 70 000 écoutes depuis qu’il est présent sur l’agrégateur actuel.
Côté FM, nous avons fait réaliser une enquête par Médiamétrie en 2022 qui a révélé une audience globale à 300 000 personnes, avec une augmentation significative de 12,5 % du nombre d’auditeurs quotidiens. Notre notoriété s’étale sur un peu plus d’un million de personnes. C’est une projection mathématique, bien sûr, cela signifie qu’il y a 1 million de Franciliens qui savent ce qu’est Fréquence Protestante.
Voilà… Petit, mais costaud !
Fréquence Protestante, radio généraliste
La meilleure façon d’être une radio qui s’adresse à tous, sans distinction, est de traiter de sujets qui peuvent concerner, ou intéresser un public le plus large possible. C’est pourquoi nous nous attachons désormais, notamment grâce à notre apprenti, à diffuser des émissions d’actualité, y compris politiques. Nous avons un programme hebdomadaire intitulé « Pile dans l’actu » qui a eu la chance de recevoir (et ce n’est pas exhaustif) : Robert Badinter, François Hollande, Manuel Valls, Jean-Pierre Raffarin, Pascal Boniface. Il a reçu aussi quelqu’un comme Christian Krieger, le président de la Fédération protestante de France (FPF), pour exprimer l’opinion de la commission mise en place dans la FPF sur la question de la fin de vie. Ce qui signifie que nous savons aussi aborder les questions délicates. Nous avons reçu, en son temps, Jean-Marc Sauvé, président de la commission chargée d’enquêter sur les abus dans l’Eglise, ou l’imam de Drancy Hassen Chalgoumi, ou encore Jacline Mouraud, figure des Gilets jaunes. Aucune question d’actualité ne nous fait peur. Être une radio généraliste, c’est aussi parler des manifestations, des émeutes, des problèmes de la société actuelle.
Nous avons aussi suivi les campagnes électorales : la présidentielle, les législatives, les sénatoriales, bientôt les européennes, en posant les questions sociétales qui relèvent des préoccupations de nos concitoyens. Nous ne sommes pas une simple caisse de résonance, ce serait inutile, nous sommes une bien trop petite radio pour y prétendre, en revanche nous pouvons interroger, entrer en débat. Notre façon de traiter l’actualité n’est pas dans l’immédiateté, dans le sensationnel, dans le scoop mais dans la question de fond, dans la réflexion. Recevoir un invité, c’est lui donne le temps de parler, d’aller au fond de sa pensée. Ce n’est pas 15 minutes au milieu d’une brochette d’invités, mais 50 minutes seul, pour bien s’expliquer.
C’est notre façon de traiter l’actualité, et d’être une radio généraliste.
Naturellement, comme toutes les stations, nous respectons la réglementation imposée par la loi sur les campagnes électorales, et nous rendons des comptes au régulateur, c’est-à-dire l’Arcom.
Nous diffusons aussi de nombreuses émissions culturelles. Il y a des musicales, qui revêtent plusieurs formes : des émissions d’actualité musicale avec les sorties d’enregistrements ; des émissions d’actualité de concerts et festivals, des émissions de culture musicale, qui privilégient l’écoute. Il y a de l’histoire de la musique, des vies et des répertoires entiers de compositeurs, des émissions coups de cœur, qui proposent des choix musicaux des animateurs.
Nous réalisons aussi des captations de concert. C’est un volet de notre activité que je souhaiterais développer davantage, bien qu’il soit un peu coûteux. J’ai pu conclure un partenariat avec l’association qui s’occupe des concerts donnés au Musée national de Port-Royal-des-Champs, à Saint-Quentin en Yvelines. Pour la saison d’automne et la saison de printemps, nous nous rendons sur place et captons, en « live », les récitals. Nous les diffusons ensuite selon des conditions définies par notre accord de partenariat. Pour préciser, nous réalisons notre prestation avec les artistes qui nous cèdent gratuitement leurs droits pour une diffusion unique. Il n’y a donc pas de paiement de droits via la Spedidam. Lorsque nous avons le droit de rediffuser – les artistes sont libres d’accepter ou non – nous les payons via la SACEM. Il en va de même pour la musique enregistrée que nous diffusons, ce n’est pas de la musique libre de droits. Je précise ceci parce que nous sommes une radio associative, mais pas une radio pirate. Nous respectons les droits des artistes, sur l’antenne et sur les podcasts.
Nous sommes aussi généralistes pour ce qui concerne le volet artistique, spectacle vivant, grandes ou petites expositions, salons etc. Littérature, bien sûr, et philosophie : nos animateurs reçoivent en studio ou chez elles des personnalités qui vont de Cynthia Fleury à Antoine Compagnon, en passant par Michelle Perrot, Régis Debray, Eric-Emmanuel Schmitt ou encore dans l’actualité Mazarine Pingeot. Bien sûr, nous nous intéressons aussi aux primo-romanciers, ceux dont les noms ne sont pas encore très connus, et nos animatrices ont parfois de l’intuition : deux d’entre elles, l’années passée, ont reçu avant même qu’ils aient décroché le prix, pour l’une Philibert Humm, Interallié 2022, et l’autre Sabyl Ghoussoub, Goncourt des lycéens.
Nous essayons de ne pas être des donneurs de leçons, mais de prendre le temps de réfléchir, et de faire réfléchir, dans le respect de l’invité et avec, en toile de fond nos valeurs éthiques, qui s’inscrivent dans la laïcité et le « parler à tous ».
Je ne vais bien sûr pas vous détailler ainsi tous nos programmes, ils sont disponibles sur notre site internet, frequence protestante.com. Vous y trouverez des émissions sur le cinéma, le théâtre, l’environnement, la transition écologique, les nouvelles technologies, la science, le paysage audiovisuel lui-même : nos confrères de la radio et de la télévision, etc.
Peut-on dire que FP est une radio engagée ? Oui, dans la mesure où, comme ligne de fond, elle défendra toujours les valeurs de liberté, de justice et de solidarité. Au risque de n’être pas d’accord avec les invités. Je vous citais Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. Les travaux de sa commission sur la fin de vie se sont prononcés contre l’autorisation de l’aide active à mourir, et j’ai défendu, en studio et comme intervieweur, l’avis contraire : le droit de mourir volontairement. Parce que ce n’était pas une question où j’étais impliquée, moi personnellement, mais où je pouvais dire ce qu’une frange de mes auditeurs aurait pu dire, ceux qui auraient pu être favorables à cet avis contraire. En ce sens, Fréquence Protestante est engagée. Nous nous adaptons à un public diversifié.
Fréquence Protestante, radio laïque
J’ai sous-titré cette communication : comment peut-on être laïc ? Pour paraphraser Montesquieu et son fameux « Comment peut-on être Persan ? » parce que c’est toujours un peu difficile et délicat de démontrer le quotidien, l’habituel, ce qui nous constitue mais qui, vu de l’extérieur, peut paraître étonnant.
Être une radio qui s’appelle Fréquence Protestante et dire que nous sommes une radio laïque constitue, en soi-même, un défi, comme je le mentionnais au début de cette intervention. Ou plus exactement, la concrétisation d’un défi lié à la laïcité : la tension permanente qui existe entre la liberté religieuse et la laïcité, surtout dans le contexte multiculturel qui est le nôtre actuellement. Le port des signes religieux a encore défrayé la chronique de la rentrée des classes, c’est tellement habituel aujourd’hui que cela devient, comme on dit, un « marronnier » à chaque rentrée. Un marronnier qui ne doit pas cacher la forêt constituée par tous les grignotages de la liberté individuelle qui sont commis à la fois par les tenants des religions que par les partisans de l’athéisme absolu.
Personne, absolument personne hormis une fois, une personnalité politique, n’a « officiellement » refusé de venir à la radio parce qu’elle s’appelle Fréquence Protestante. Ce qui tendrait à prouver soit que le souci d’apparaître dans l’espace médiatique transcende le fait que nous portions le nom d’une religion, soit – et c’est ce que je préfère croire – nous avons montré et démontré qu’au-delà de notre nom, le caractère universel de notre propos prouve que nous ne sommes ni une radio religieuse, ni une radio communautaire et encore moins une radio confessionnelle, qui ne s’adresserait donc qu’à une infime minorité de gens dans une minorité qui est celle des chrétiens affirmés.
Ce qui ne signifie pas pour autant que nous ne devions pas relever les défis qui sont ceux liés à la laïcité en général. Bien au contraire. Nous l’exprimons à travers nos émissions, mais les défis d’aujourd’hui sont aussi les nôtres :
- Il y a souvent conflit entre liberté religieuse et droits individuels, en particulier dans le domaine de la liberté d’expression, de l’égalité des sexes et des droits des minorités. A nous de donner la parole de façon équitable, sans privilégier ni les uns, ni les autres. Ce n’est pas si simple : imaginez une émission littéraire sur la littérature africaine francophone. L’animateur ou l’animatrice peut être tenté de donner la parole à tout auteur africain, au nom du fait qu’il vient d’un pays sensible, pauvre, discriminé etc. Mais si son livre est mauvais ? Pouvons-nous, au nom du fait que l’auteur est malien, éthiopien ou… de la planète mars, nous faire caisse de résonance à un ouvrage médiocre. Eh bien non. Il en va de notre crédibilité, et de celle de l’auteur. Un mauvais livre reste un mauvais livre, quelle que soit la nationalité ou l’origine de l’auteur. Nous nous bornerons donc à… n’en pas parler. Le silence est, même en radio, parfois en or !
- En ce qui concerne la diversité religieuse et culturelle, nous recevons à la radio des invités qui sont le reflet de cette diversité. Notre laïcité nous permet justement d’accueillir sur les ondes des juifs, des musulmans, des chrétiens et de les faire dialoguer entre eux. Nous avons des émissions qui leur sont spécialement dédiées (Nour al-islam, Talmud Torah, Partage biblique, Un livre, trois lectures) mais nous allons plus loin puisque nous parvenons aussi à mettre en dialogue les différentes sensibilités du protestantisme : les luthéro-réformés, les évangéliques (les baptistes notamment) tout en respectant une certaine limite : nous ne donnons pas la parole aux extrémistes comme les mouvements charismatiques, les Eglises indépendantes qui fleurtent avec la limite sectaire etc. Ce n’est pas simple, mais nous nous référons à la Charte de la laïcité dont nous sommes signataires et nous vérifions que, dans leurs statuts qui sont publics, ledit mouvement ne remet pas en question les principes tels que la neutralité de l’Etat, par exemple.
- En ce qui concerne le port de signes religieux, cela nous importe peu. Pour Talmud Torah, la rabbin Ann-Gaëlle Attias met sa kippa (car elle va parler de la Torah et c’est pour elle une prescription), ou nous avons des gens qui portent des croix, des croix huguenotes, des voiles, franchement, peu importe.
- Nous ne nous défaussons pas lorsqu’il s’agit d’évoquer les tensions interreligieuses. J’anime personnellement l’émission interreligieuse Un livre, trois lectures. C’est un microcosme à soi seul : je suis parvenue à créer suffisamment de complicité entre les trois intervenants, qui sont toujours les mêmes, que nous nous connaissons suffisamment pour parvenir à parler de choses qui fâchent. Et ce sont souvent des problèmes liés à l’islamophobie, un peu moins à l’antisémitisme, jamais à un quelconque antichristianisme. Ce sont les questions de notre société actuellement. L’affaire Civitas, l’association dissoute par le ministre de l’Intérieur la semaine passée, c’est pour nous presque transparent.
Fréquence Protestante dans la société
L’objectif de Fréquence Protestante est de diffuser des programmes d’intérêt local. Nous émettons depuis la tour Eiffel, donc sur l’ensemble de Paris et du Bassin parisien. L’intérêt local, c’est aussi la vie citoyenne. Fréquence Protestante a ceci de particulier, qu’elle donne aussi la parole aux associations. Là encore, pas 5 minutes au détour d’un journal télévisé, mais un vrai temps d’antenne. Je mentionnais les scouts qui auraient dû partager l’antenne au moment de notre création. Ces mêmes scouts ont une émission uniquement pour eux, qui s’intitule “Ça s’dit scout”, 45 minutes qui leur permettent, une fois par mois, d’expliquer ce qu’ils font, où, quand et comment. Pour eux, comme pour le Casp, centre d’action social protestant, ou la fondation des Diaconesses, ou la Cimade etc.
Nos détracteurs pourraient donc nous accuser de faire de « l’entrisme », de promouvoir nos idées non pas de façon directe, mais par l’intermédiaire d’organismes, de la parole de ces organismes. C’est vrai : nous leur donnons effectivement la parole, qui n’engage qu’eux. C’est aussi un entrisme vertueux, qui n’est que la mise en musique, la mise en onde plus précisément des valeurs qui sont les nôtres, et qui ne sont autres que celles de la république.
La laïcité, l’égalité hommes-femmes, l’éducation publique de qualité, la justice sociale, autant de phénomènes auxquels nous nous intéressons et pour lesquels les bénévoles, nos animateurs, s’engagent. Les contenus que nous diffusons encouragent la réflexion critique, l’ouverture d’esprit. Nous ne sommes pas une radio laïque « pour la laïcité pure, en tant que principe » mais parce que celle-ci peut créer un pont entre croyants et non-croyants, pour un dialogue à la fois constructif et respectueux.
Nous avons des émissions interreligieuses qui peuvent traiter des attentats de Paris, des actes antisémites dans les cimetières non pour se ranger du côté des gentils, ceux qui « n’ont rien fait », mais pour comprendre et faire comprendre ces actes, les personnes qui les commettent, les idéaux – quand ils existent – qui ont présidé à ces actes afin d’encourager au « plus jamais ça » de façon effective. On ne peut pas ne pas se poser la question du “pourquoi”.
Connaître l’autre, c’est ne plus en avoir peur, c’est faire la différence entre les actes éthiques et les actes répréhensibles car chez tout le monde, chez l’être humain en général il y a cette ambiguïté, cette tension entre le bien et le mal.
A la radio, c’est mon rôle que de gérer la diversité des contenus, les perspectives qui s’offrent à nous et la fidélité à nos valeurs, sans jouer le rôle de censeur, car la censure est mauvaise conseillère. Je mets une petite borne, c’est vrai, et je tiens bon. J’ai un animateur qui est parfois tenté et souhaiterait inviter des personnalités d’extrême-droite. Les idées de ces partis ne sont pas celles de nos fondateurs, de nos animateurs. Donc en dehors des campagnes électorales, ma réponse est : non. Je suis inflexible. Et c’est bien, et l’animateur n’a pas quitté Fréquence Protestante.
Cela dit j’ai peut-être tort, j’accepte d’avoir tort. Une radio généraliste ne devrait-elle pas plutôt susciter la réflexion critique en entretenant le débat ? Son impact ne serait-il pas plus grand ? Meilleur ? Peut-être oui, mais nous sommes encore trop petits. Impossible pour nous de faire face à un tel défi, tant parce que nous manquerions de journalistes politiquement suffisamment « capés » pour faire vivre un tel débat sans que cela tourne au pugilat. Et ce type de controverse est abondamment traité par nos confrères, nous ne serions qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Il est en effet important pour une radio associative comme la nôtre, qui est « une petite qui a tout d’une grande », de ne jamais oublier qu’elle est justement une « petite » radio. Il est inutile d’aller jouer dans la cour des grands, nous y avons trop de risques, trop de choses à perdre. Malgré tout, nous évoluons, nous progressons, nous entraînons chaque jour de nouveaux auditeurs dans des réflexions, ce n’est pas si mal…
En conclusion, je dirais que Fréquence Protestante incarne la richesse du dialogue et de la diversité, dans un paysage médiatique extrêmement dense. La laïcité de Fréquence Protestante s’exprime de trois manières : par la raison, car la radio le démontre à travers ses programmes, par la sensibilité car très profondément nous sommes des laïcs, des gens enracinés dans des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité et nous vivons ces valeurs, par notre accueil, notre façon d’être au monde. Sans cesse nous rappelons à tous que la communication peut transcender les différences, entraîner les hommes et les femmes à explorer, découvrir des horizons nouveaux. Si vous explorez, à votre tour, nos programmes, si vous participez par l’oreille aux discussions, cela ne peut que vous réjouir. Non, les protestants ne sont pas des gens tristes, rigides, dogmatiques et sourds à autrui. Ils ne sont pas le paysan et sa fille dans un tableau de Grant Wood.
Je vous remercie de m’avoir écoutée.
Valérie Thorin