Petit déjeuner « ZOOM » du 25 janvier 2021
avec Paul-Hubert des Mesnards
CONSTRUIRE UNE VISION INSPIRATRICE : POUR QUOI ? COMMENT ?
La parole à Paul-Hubert des Mesnards, notre invité du jour pour sa présentation du thème :
Construire une vision inspiratrice : pour quoi ? Comment ?
Nous reproduisons ci-dessous la présentation de Paul-Hubert accompagnée des « diapositives » choisies pour illustrer ses propos et animer cette séance avec les participants à ces « petits déjeuners Zoom » devenus l’une des « spécialités » de Galilée.sp
Bonjour, et merci d’être là.
Je me présente rapidement, beaucoup me connaissent.
Donc je suis ingénieur ET pianiste, j’insiste sur le ET, cerveau gauche ET cerveau droit comme l’on dit.
J’ai derrière moi une carrière de consultant en créativité et innovation, au sein du cabinet Créargie, où j’ai aidé pendant 40 ans des organismes (entreprises, administrations, associations, …) à innover en appliquant des méthodes collaboratives ; et, maintenant en retraite, je suis président de l’unité Créativité de Galilée.sp (on dit UPR, Unité de Partenariat et de Recherche).
Le thème de ce petit déjeuner c’est donc : Construire une vision inspiratrice, pour quoi ? Comment ? La vision étant l’une des démarches que j’ai pu appliquer, je vous propose de partager mon expérience autour de trois questions : une vision pour quoi ? Une vision, c’est quoi ? Une vision, comment ? Et pour cette dernière question, je m’appuierai entre autres sur un exemple, celui d’ALTERMAKERS. Jean FOX, qui a animé le dernier petit déjeuner sur l’Altercapitalisme, et qui est le fondateur d’ALTERMAKERS, un collectif de conseil alternatif, ainsi qu’il se désigne, m’avait fait l’honneur et l’amitié de me demander d’animer la vision d’ALTERMAKERS.
Un récit…
D’abord, je voudrais raconter comment j’en suis venu à m’intéresser à la vision, et à créer cette démarche que j’applique.
Ce n’est pas récent : en 1994, un confrère, consultant en management dans un autre cabinet de conseil, à qui j’avais présenté les méthodes de créativité, me demande : « Est-ce que vos méthodes de créativité s’appliquent à la stratégie d’entreprise ? ». Surpris, je lui réponds : Je ne sais pas, il faut voir ! Il m’explique qu’il a une demande de la part des dirigeants d’une importante association qui gère des maisons de retraite, et qui a vécu des changements importants récents : organiser un séminaire de cohésion d’équipe pour le comité de direction. Il pense, comme moi, qu’on ne fait pas de cohésion d’équipe comme ça, qu’il faut s’appuyer sur un projet. Mais l’idée de faire un séminaire de stratégie ne l’emballe pas : trop intellectuel, trop de chiffres, rien d’enthousiasmant. Or, il a entendu parler d’une démarche qui se pratique aux Etats Unis, qui s’appelle « visioning », dans laquelle on fait rêver les gens à l’entreprise idéale. Alors pourquoi ne pas créer notre propre démarche en introduisant de la créativité ? C’est ce que nous avons fait, et le séminaire a eu lieu. Alors là, ils ont eu leur dose de créativité : ils ont improvisé des sketches, ils se sont montés les uns sur les autres pour franchir un mur électrifié (symboliquement), ils ont imaginé les situations les pires (inversion !), ils ont fait des découpages d’images, … Ce fut un grand moment, surprenant, mais très efficace. D’ailleurs ils nous ont dit : « on voit bien que vous avez l’habitude d’animer ensemble ! ».
Enhardis, nous avons proposé la démarche à d’autres organismes, accumulé de l’expérience, validé la démarche lors d’un voyage en Californie où nous avons rencontré des gourous du visioning, et décidé d’écrire un livre : « Le management par la vision, mettre du rêve dans la stratégie ».
Ce livre, en 2000 a été refusé par les principaux éditeurs spécialisés (Dunod, Eyrolles, etc…) : « ce n’est pas dans notre politique éditoriale, ce n’est pas un thème porteur, … » et c’est Créargie qui l’a édité. Il est maintenant épuisé !
Aujourd’hui, plus de 20 ans après, à l’heure où la loi PACTE a introduit la notion d’ « entreprise à mission », où l’on parle de plus en plus de RSE (responsabilité sociale ou sociétale d’entreprise), eh bien il n’a pas vieilli, il est toujours d’actualité.
Maintenant, je vais vous faire travailler.
Je vais vous poser trois questions, auxquelles vous pouvez répondre (il n’y a pas d’obligation), spontanément, en écrivant vos réponses dans la rubrique « Discussion »
- Première question : quels mots associez-vous à « Vision » ?
avenir, perspective, projet, yeux, stratégie, guide, vue, edelweiss, horizon, réussite, voir loin, vue lointaine, projet, projection, prospective, regard, voir en profondeur, , ambition, inspiration, long terme, partagée
- Deuxième question : quel serait le contraire de « vision » ?
court-termisme, aveuglement, obscurité, le mur, étroitesse d’esprit, manque d’ambition, courte vue, noir, conservatisme, court terme, flou, fermeture, profit immédiat, imprévisible, trou noir, poids, opportunisme, manque de stratégie
- Troisième question : une vision, ça sert à quoi ?
Avancer, fédérer, réunir, rendre visible, préparer l’avenir, se motiver et réunir, vivre un lien social, embellir, exprimer la stratégie, préparer, réaliser, construire, viser juste, anticiper, travailler, être bien, prévoir, mobiliser vers un but, voir l’autre, rêver, diriger, savoir où aller, prendre du recul, savoir où l’on va, embarquer, mettre des mots sur ce que l’on souhaite faire, pourquoi et pour quoi, why and for what, c’est un rêve traduit en principes, en valeurs et en actions.
Une vision pour quoi ?
J’ai écrit pour quoi en deux mots.
Commençons par un petit sketch.
Vous emmenez votre enfant de 8 ans à l’école. Vous constatez qu’il pleut et vous prenez un parapluie. Votre enfant vous demande : « Papa, Maman, pourquoi tu prends un parapluie ? »
« Parce qu’il pleut »
Que répondez-vous ?
Bing ! Eh bien non, ce n’est pas la bonne réponse
« Pour me protéger de la pluie », ou « Pour rester au sec »
Bingo ! C’est la bonne réponse
Attention à la confusion entre la cause et le but, entre causalité (il pleut) et finalité (je veux rester au sec).
Et le français est ambigu avec la question pourquoi en un ou deux mots. Votre enfant aurait dû vous dire « Dans quel but prends-tu un parapluie ? » Je reconnais qu’à 8 ans …
L’anglais distingue why et what for.
Alors la vision, pour quoi ?
La vision est une réponse à une quadruple demande.
D’abord une demande de sens, dans les deux acceptions du terme : direction, où va-t-on ? et signification, pourquoi y va-t-on ? J’en ai une autre que j’expliquerai dans quelques instants. Alors là, cette demande de sens, c’est devenu une obsession lancinante aujourd’hui, il n’y a qu’à lire la presse, écouter la radio, … Cette demande de sens correspond à une demande d’utilité : à quoi je sers ? Et l’on sait que la définition la plus couramment admise de l’exclusion c’est le sentiment d’inutilité, et on en connaît les conséquences dramatiques. Cette demande de sens est elle-même porteuse de trois autres demandes.
Une demande de mobilisation. On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance, disait-on à la fin des années 70. Aujourd’hui on pourrait dire : on ne tombe pas amoureux d’un tableau Excel ou d’un indicateur chiffré d’efficacité. Et pourtant c’est avec cela que les organisations veulent mobiliser ! Pour mobiliser, il ne suffit pas de satisfaire la tête, il faut aussi engager le cœur et les tripes. C’est la troisième acception du mot sens, qui renvoie aux 5 sens, aux sensations, voire aux sentiments.
Une demande de créativité et d’innovation. Face à l’imprévisibilité croissante du futur, les réponses habituelles ne suffisent plus. Trop souvent elles sont dans l’extrapolation de la situation existante, du replâtrage. C’est ce que les spécialistes du changement appellent le changement de niveau 1 : on prend les mêmes et on recommence, plus de la même chose. Alors que dans le changement de niveau 2 on change les règles du jeu.
Et enfin une demande de cohésion, qui est exprimée aussi bien par les employés que par l’organisation qui les emploie. Faute de cohésion, les énergies s’annulent, voire augmentent le désordre et l’inefficacité.
Demande de sens, de mobilisation, de créativité – innovation, de cohésion, voilà à quoi la vision se propose de répondre.
Elle s’inscrit dans la logique de l’histoire bien connue des tailleurs de pierre, attribuée – à tort paraît-il – à Charles Péguy.
Sur un chantier au Moyen Âge, un journaliste interroge quatre tailleurs de pierre sur leur travail. Le premier : « je taille une pierre en obéissant aux ordres du contremaître », le deuxième : « Je sculpte une gargouille », le troisième : « Je construis une cathédrale », et le quatrième : « j’œuvre à la gloire de Dieu »
Cette histoire a d’ailleurs été actualisée récemment chez SPACE X , la société d’Elon Musk, qui construit des fusées pour aller dans l’espace. Il paraît qu’un journaliste faisant un reportage interviewait les employés, et demande à un homme de ménage ce qu’il fait. Réponse : « Je participe à la conquête de Mars ». Etonnement du journaliste. L’homme de ménage continue : « Eh oui, les ingénieurs apprécient d’avoir leur écran d’ordinateur propre, leur corbeille vidée, leur bureau rangé. Comme ça ils sont plus créatifs. C’est comme ça que je participe à la conquête de Mars, et j’en suis fier ». C’est presque trop beau pour être vrai ! Le mot important, c’est « je participe, ou je contribue ».
La vision est ainsi une recherche permanente du « pour quoi », du but, et mieux encore, du but du but.
Une vision, c’est quoi ?
Je définis une vision comme : L’IMAGE IDÉALE VOULE DU FUTUR RÊVÉ D’UN ORGANISME
Elle s’applique à un organisme, quelle que soit sa taille, ses dimensions, sa nature, pourvu qu’il mette en œuvre une activité humaine, qu’il soit vivant, évolutif et qu’il échange avec le monde extérieur.
Ce peut être une entreprise, une institution, une organisation, une association, une direction, un service, une équipe, voire même une personne.
Les points importants de cette définition :
La vision exprime la raison d’être, la vocation, le pour quoi de l’organisme.
Elle exprime une volonté, elle résulte d’un choix et non d’un constat désabusé. On peut vouloir rester ce que l’on est ou vouloir changer, il est en tout cas interdit de subir.
Elle exprime un idéal, un rêve. Elle ne fixe pas un objectif, au sens traditionnel d’un but à atteindre dans un certain délai. Elle exprime une orientation, un cap vers lequel l’organisme décide de s’orienter. J’ai l’image de l’étoile du berger : on sait qu’on ne l’atteindra jamais (du moins dans l’état actuel de la technologie) mais elle nous guide.
« Si tu veux tracer ton sillon droit, attache ta charrue à une étoile ». Proverbe berbère.
Mais attention, ce n’est ni un rêve désincarné, ni un catalogue d’actions désordonnées : il y a toujours un lien fort entre rêve et action ; j’ai l’image d’un élastique qui relie rêve et action.
« La tête dans les étoiles et les pieds dans la glaise »
La vision est tournée vers le futur et un futur au-delà de l’horizon visible (sinon ce ne serait qu’une extrapolation de la situation existante)
« Le futur n’est pas un endroit où nous allons, mais un lieu que nous créons. Les chemins ne sont pas à trouver, mais à construire ». Citation de John Schaar qui résonne particulièrement aujourd’hui.
La vision engage non seulement la tête mais aussi le cœur et les tripes. Elle engage les composantes émotionnelles et affectives en plus de l’intellect. Elle est source de motivation et d’engagement.
Ainsi la vision est une boussole qui permet à chacun, individuellement et collectivement, de donner du sens à l’action, de mobiliser les énergies vers un rêve tellement puissant qu’on ne peut plus l’oublier tous les jours.
Quelle forme donner à la vision ?
Une déclaration forte, une volonté, avec des phrases courtes et compréhensibles, sur les items suivants, les quatre premiers étant incontournables.
COMBAT : « le monde sera meilleur si … »
VOCATION ou RAISON D’ÊTRE ou MISSION (je considère ces termes comme équivalents) : « nous voulons y contribuer en … » . C’est la raison fondamentale d’exister, exprimée en termes de finalité, ou de contribution au monde. Elle peut être complétée par une déclinaison en fonctions ou missions.
AMBITION : « nous voulons être reconnus comme… »
VALEURS (je préfère dire maintenant VERTUS, c’est-à-dire des valeurs incarnées, j’ai trop vu des valeurs affichées dans le hall d’entrée de l’entreprise qui ne sont pas incarnées au quotidien) : «les principes qui nous unissent », ceux sur lesquels nous sommes prêts à refuser le compromis et qui déterminent notre comportement.
PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT : « comment voulons-nous fonctionner ? »
RELATIONS : « avec qui et comment voulons-nous être en relation ? »
PLACE DANS L’ENVIRONNEMENT : «économique, social, écologique, … »
Les deux derniers items sont essentiels : la vision doit être toujours portée par un enjeu extérieur, faute de quoi on retombe dans le nombrilisme qui caractérisait les « projets d’entreprise » des années 1980, du style « nous voulons être bien ensemble » !
Cette liste n’est pas limitative, on peut y rajouter : composantes de l’offre, compétences, …. Le tout sur un document écrit sur une page.
Parfois cela paraît évident, « ça sent l’eau tiède » m’a-t-on déjà dit. Mais c’est en fait le résultat d’un processus comparable à celui de la distillation d’une liqueur : décantation, maturation puis synthèse. Le processus est aussi important que le résultat.
En fait ce n’est pas si évident !
Voici quelques exemples de ce que j’ai pu entendre.
Sur la VOCATION
La réponse la plus courante, c’est de décrire les produits ou services de l’entreprise : « Notre vocation c’est de fabriquer et de vendre des gants ».
L’exemple que citait notre ami Yves au dernier petit déjeuner est significatif : la vocation de Blédina n’est pas de vendre des petits pots pour bébés mais de leur apporter une alimentation saine, et cela a changé son regard.
J’ai entendu aussi « notre vocation c’est de faire du profit » . Déjà on peut dire ça de toute entreprise, et puis ce n’est pas une vocation, mais une résultante.
Également « satisfaire nos clients » Et pourquoi pas « satisfaire nos clients, tout en assurant une juste rémunération à nos actionnaires, tout en contribuant au bien-être de nos salariés, au respect de nos fournisseurs, en respectant nos obligations légales et en préservant l’environnement » ? Ne riez pas, je l’ai entendu ! Non, pas de langue de bois, pas de formules banales, la vocation doit être forte, différenciante, unique et surtout compréhensible, pédagogique. Un bel exemple – réel – de langue de bois : « nous construisons ensemble dans une stratégie d’implication totale pour continuellement réussir »
Une autre source de confusion : l’AMBITION
« Notre ambition c’est de faire X millions de chiffre d’affaires avec une marge de X % dans 5 ans »
Non, ça c’est un objectif. L’ambition c’est : que voulons-nous qu’on dise de nous ? Elle est qualitative, mais précise : éviter « nous voulons être les meilleurs »
Voici un exemple, justement la vision de Créargie, étable en 2009 à l’horizon 2015.
Un point à noter : la différence avec la stratégie. Elaborer la stratégie de l’entreprise c’est « choisir les domaines d’activité dans lesquels elle entend être présente et allouer les ressources de façon à ce qu’elle s’y maintienne et s’y développe ». La stratégie est de l’ordre du « comment », la vision est de l’ordre du « pour quoi ». On peut dire que la vision précède la stratégie, qu’il y a un continuum « Vision – Stratégie – Plans d’action ».
Encore une question, avant de passer au Comment.
Quand a-t-on besoin d’une vision ?
Il serait tentant de dire : tout le temps, mais on ne peut pas passer son temps à faire de la vision. Disons que l’élaboration d’une vision s’impose en période de changements importants, lorsqu’une nouvelle équipe arrive (la vision Créargie a été faite à l’occasion de la fusion avec une autre société de conseil), dans les phases initiales de projets importants, ou tout simplement lorsque l’organisme ronronne, fonctionne dans la routine, toutes les fois que l’on veut créer (et pas simplement réagir ou planifier) et mobilier les énergies.
COMMENT ÉLABORER UNE VISION ?
Quel est donc ce processus de distillation ?
C’est un voyage, qui mobilise une équipe : l’équipe concernée, ou l’équipe de direction, enrichie éventuellement d’autres participants issus des parties prenantes. Pour des raisons d’efficacité, elle ne devrait pas dépasser 15 personnes (mais je l’ai fait une fois à 70 !). La durée ? Elle varie selon la dimension du sujet. Le minimum que j’ai fait : une matinée. Le maximum : 4 journées dont 2 consécutives en séminaire.
La démarche suit le déroulement d’un voyage : on le prépare, on part en voyage et on revient.
Je survole d’abord la démarche avant de présenter en détail l’exemple ALTERMAKERS
La préparation du voyage
Un vision ne part pas de rien, elle s’appuie sur un existant, sur une histoire, elle s’inscrit dans un continuum passé-présent-futur.
Alors d’abord, on va apprécier le présent : qui sommes-nous, nos forces, nos faiblesses.
Puis on va revisiter l’histoire de l’organisme : l’énergie fondatrice, la culture, les temps forts.
Et enfin on donne un coup de projecteur sur le futur : les quasi-certitudes sur l’évolution de l’environnement de l’organisme, les menaces, les opportunités.
On recueille ainsi des données, des informations, des idées.
Puis, avant de partir en voyage, il y a un moment fort dans la démarche : la valise.
Comme on fait sa valise en limitant le nombre et le poids des objets à transporter, les participants sont invités à préciser, parmi tout le contenu accumulé, ce qu’ils emportent (en général 3 items) et ce qu’ils n’emportent pas (en général 1 item)
Le voyage lui-même repose sur l’un des principes forts de la démarche de vision : se projeter dans un futur lointain, au-delà de l’horizon visible, pour rêver l’organisme à long terme. Cette projection dans le futur lointain permet à la vision d’échapper aux défauts de l’extrapolation et lui garantit une grande richesse. Mais quel est ce futur ? Tout dépend du secteur : dans le domaine de l’informatique, 2 ans c’est déjà loin, dans d’autres secteurs ce sera 5 ans ou 10 ans. Mais en tout cas pas 40 ans car il ne faut pas oublier la connexion entre le rêve et l’action : on ne fait pas de la prospective désincarnée.
Et le retour ? Là il y a un principe fort de la vision, qui la différencie des démarches habituelles de planification ; se placer dans le futur et imaginer la chemin parcouru.
Dans la démarche de planification, après avoir identifié la cible à atteindre dans le futur, on se replace dans le présent et on cherche à identifier les actions à entreprendre pour atteindre la cible : « Comment allons-nous faire ? ». Et bien sûr les obstacles apparaissent, et petit à petit la vision s’appauvrit, les ambitions se réduisent sous couvert de réalisme et il reste plus qu’un beau rêve. Dans la démarche de vision, on reste dans le futur et on imagine le chemin parcouru : « Comment avons-nous fait pour en arriver là ? ». J’appelle cela des scénarios de réussite. Il en résulte une plus grande richesse et la vision ne s’appauvrit pas. Je cite le témoignage d’un client : « Qu’auraient été ces obstacles si nous n’avions pas su que nous les avions franchis lors de notre voyage initiatique ? Peut-être serions-nous restés sur le quai de la gare » et « Nous savons que le levain commun que nous introduisons ou introduirons nous permettra de progresser et de franchir des obstacles que nous avons su déjà surmonter dans notre rêve »
Et l’on termine avec l’identification des premiers pas : une vision c’est une étoile et des premiers pas.
Tel que je viens de le présenter, ce processus semble bien sec ! C’est qu’il manque à cette présentation un ingrédient qui est pourtant présent tout au long du processus : la créativité.
C’est la créativité qui permet de sortir du cadre dans lequel on se fait enfermer, de libérer l’imagination, de solliciter le cœur et les tripes.
Alors je vous propose de présenter l’exemple ALTERMAKERS.
L’EXEMPLE ALTERMAKERS
Le point de départ
Jean FOX, qui était avant à Créargie, crée ALTERMAKERS en mars 2020.
Il le définit ainsi : Altermakers est un collectif de conseil alternatif par ses talents, par ses méthodes et par ses engagements. Il est composé de : un associé fondateur, un « premier cercle » d’une douzaine de personnes, et une communauté (partenaires, clients, communauté sur les réseaux sociaux).
Chez Altermakers, il y a des chercheurs, des entrepreneurs et des artistes. Notre mission c’est de vous aider à clarifier votre stratégie et à faire bouger les choses de manière très concrète. Pour faire cela, nous mettons en œuvre des méthodes créatives pour explorer des questions de recherche, pour prendre des décisions et pour passer à l’action.
En avril, il me demande de l’aider à établir sa vision, en s’appuyant sur un groupe de créativité et sa communauté. Nous définissons ensemble les objectifs : co-construire une vision avec la communauté, à l’horizon 2024, le groupe de créativité : 5 personnes en plus de Jean, dont une illustratrice, un étudiant à Sciences Po, un homme de marketing passé dans le monde du spectacle, une femme de marketing, un réalisateur-producteur de films, et le calendrier : 3 séances d’une demi-journée en mai, par ZOOM. C’est le bon moment : on ne part pas de rien, et il y a encore à co-construire.
Avant la première séance, consacrée à la PRÉPARATION DU VOYAGE, les participants ont reçu les consignes suivantes :
Pour le présent, identifier les 3 forces et les 3 faiblesses d’ALTERMAKERS
Pour le passé : raconter l’histoire d’ALTERMAKERS à un personnage de votre choix, parmi une liste : un enfant de 10 ans, Donald Trump, la Reine d’Angleterre, le pape François, le Dalaï Lama, un top model, un grand sportif, un chef cuisinier célèbre, un chanteur ou une chanteuse célèbres, un sage de l’Antiquité (comme Socrate), une homme ou une femme préhistorique, un extraterrestre, un chien, …. ou tout autre personnage de votre choix, de préférence plutôt décalé.
Pour le futur : imaginer le terrain de jeu d’ALTERMAKERS en 2024. Si on ne peut pas prédire l’avenir, on peut l’imaginer. Le terrain de jeu, c’est l’environnement socio-économique, les clients, les partenaires. Ecrivez un texte ou faites un dessin.
Parallèlement, Jean a interrogé sa communauté en ligne sur 3 questions : ALTERMAKERS, ça évoque quoi pour vous ? ALTERMAKERS c’est quoi ?, Le conseil, c’est quoi ? Il a eu environ un peu moins d’une trentaine de réponses.
La première séance : LA PRÉPARATION DU VOYAGE
J’ai d’abord demandé aux participants de se présenter en répondant à 3 questions : Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous là ? Comment vous voyez-vous en 2024 ?
Pour le présent, nous avons pris connaissance des résultats du sondage, nous avons partagé les contributions sur les forces et les faiblesses et nous avons fait ensemble un portrait chinois d’ALTERMAKERS aujourd’hui : si c’était un animal, un végétal, un personnage historique, une partie ou un organe du corps humain…
Pour le passé, nous avons partagé les histoires racontées : il y avait un club de foot, le Petit Prince, Didier Raoult, les parents d’un participant, Queen Elizabeth II en anglais !
Pour le futur nous avons partagé les contributions sur le terrain de jeu d’ALTERMAKERS, parmi lesquelles il y avait un dessin, et nous avons ensemble fait deux brainstormings : le scénario catastrophe : que peut-il arriver de pire à ALTERMAKERS, le scénario idéal : que peut-il arriver de meilleur à ALTERMAKERS.
A la fin de chaque séquence je faisais une synthèse en temps réel
Et nous avons terminé par la valise.
Je précise que lorsque la séance a lieu en présentiel, on peut élaborer les histoires du passé et les projections sur le futur en petits groupes, pas individuellement. Ça prend plus de temps, c’est plus spontané, mais c’est moins fouillé. Ce que j’aime bien faire aussi, pour le futur, c’est faire jouer de sketches improvisés sur des situations mettant en scène les clients par exemple.
Pour la deuxième séance, le VOYAGE, j’ai demandé aux participants de représenter leur vision d’ALTERMAKERS 2024 sous une forme visuelle, dessin ou photomontage ou collage d’images découpées.
Et Jean a posé deux questions à sa communauté : en 2024 le monde sera meilleur si … et : que sera le monde du conseil en 2024 ?
La deuxième séance : le VOYAGE
Nous avons pris connaissance des résultats du sondage et chacun a présenté sa vision. Les voici :
Nous avons tiré une première synthèse.
Quand la séance se tient en présentiel, la vision est élaborée en petits groupes, et on peut utiliser un autre mode : faire un montage en legos et géomag
Pour montrer comment on peut exploiter un tel visuel, voici l’exemple issu de la vision Créargie, avec l’une des affiches réalisées.
Le « pantone » au milieu de l’affiche sur la droite a été exploité pour montrer une continuité dans les offres : Et il en est résulté, grâce au travail d’un graphiste, le nouveau logo de Créargie :
Revenons à ALTERMAKERS
Pour la préparation de la troisième séance, le RETOUR, j’ai demandé aux participants d’imaginer un scénario de réussite, en se plaçant dans le futur : la vision s’est réalisée, comment avons-nous fait ?
Ils avaient le choix entre : une BD, un scénario de film, un conte de fées, une article des Echos, un article de la presse people, une épopée, une chanson, un poème, …
La troisième séance : LE RETOUR
Nous avons eu : un conte de fées (la brasserie enchantée), un article dans Paris Match, un scénario de film, une chanson (Altercollection), et une constitution (la constitution d’ALTERMAKERS).
Après une synthèse, nous avons dégagé les premiers pas, trois actions : un chantier de communication de la vision, un chantier « règles – partenariats » et un chantier « une fondation ALTERMAKERS »
A noter qu’en présentiel, les scénarios de réussite sont élaborés en séance, en petits groupes.Alors voici pour terminer, la vision définitive d’ALTERMAKERS
Et le témoignage de Jean
« Le travail réalisé en 2020 sur la vision de Altermakers nous a été très précieux, dans une phase de lancement de notre start up organisée en collectif.
Paul-Hubert nous a permis de nous « regarder dans le miroir » en partant à la rencontre de nos parties prenantes (communautés sur les réseaux sociaux, clients, partenaires…). On ne fait pas cela souvent et cela permet de changer le regard.
Avec des méthodes créatives, à la fois ludiques et sérieuses, il nous a permis de nous projeter dans l’avenir… et de rêver notre avenir.
Le retour du passé vers le présent était nécessaire et très créatif.
En tant qu’entrepreneur, j’ai appris tout au long de cette démarche des choses que je ne connaissais pas sur ce que nous sommes et ce que nous voulons être, et j’ai appris à écouter mon équipe qui avait beaucoup de choses à dire qui m’ont étonné et inspiré! L’accompagnement de Paul-Hubert au dirigeant que je suis a été également tout à fait bénéfique.
Cette vision nous est utile au quotidien dans nos discours managériaux, nos discours commerciaux et dans les contenus que nous développons en communication sur les réseaux sociaux ou sur notre site internet. Elle nous sert de guide ! »
Voilà !
Sachez enfin que nous avons appliqué cette démarche avec Galilée.sp, d’abord pour faire une vision des services publics de demain, et surtout pour faire la vision de Galilée.sp, dont voici un extrait :
Deux points pour terminer.
Une liste de références qui montre la variété des cas.
- Une société nouvelle de produits phytosanitaires de 10 personnes à l’occasion de sa création par externalisation d’un grand groupe.
- Une association gérant des maisons de retraite.
- Une association chargée de gérer les tutelles de personnes en situation de fragilité.
- Un « cluster scientifique » constitué d’une université, d’une ville campus et de centres de recherche.
- Une équipe dite d’entraide au sein d’une paroisse.
- Une association d’aide aux personnes sans abri
- Le « learning center » d’une université.
- Une personne voulant créer sa société d’importation et distribution d’objets artisanaux d’Amérique du Sud.
- Une école d’ingénieurs en prévision de son transfert sur le site d’une grande université.
Un tableau qui montre le changement de point de vue sur la mission
Et enfin, une citation :
Une citation extraite d’un article de Christian Blanc « La France ne sait pas où elle va » paru dans Le Monde du 5 avril 2001 :
« Individu, entreprise ou pays, nul ne peut avancer s’il ne s’appuie pas sur des valeurs et n’est mû par une certaine vision de son avenir, une ambition à réaliser, un rêve à accomplir. Peu importe qu’à la fin il parvienne exactement où il voulait aller. À tout le moins aura-t-il fait du chemin. S’il ne se donne pas cet horizon volontaire pour classer ses aspirations, ordonner ses priorités, engager efficacement ses actions, il sera freiné par ses contradictions et submergé par ses difficultés ».
Pour accéder au diaporama présenté par Paul-Hubert des Mesnards lors de ce petit déjeuner, suivre le mode d’emploi ci-dessous