Les remous qui agitent nos paysages contemporains font plus que jamais porter l’accent sur la sécurité et les menaces qui la cernent. Au point parfois de n’avoir plus que ce mot d’ordre à proposer comme programme électoral.
Incertitudes politiques, morales, insécurité dans tous les domaines. Celui de la santé au premier plan, dans l’évidence de la pandémie et de ses ravages. Celui des comportements ordinaires, dont la déshérence éthique laisse planer une ombre inquiétante sur le futur des cohabitations entre individus, entre nations.
Sait-on bien que la sécurité et la curiosité participent du même champ étymologique ?
Le mot est latin, *cura, et désigne le soin, le souci que l’on prend de soi et de l’autre. Je n’en ai cure, dira-t-on. Mais le curé, quant à lui, se soucie du bien-être des âmes qui s’en remettent à lui pour l’éternité de leur salut. À ce propos, il y eut, en Angleterre, jusqu’à 1700 compagnies d’assurances qui garantissaient contre le fait d’aller en enfer après la mort…
Eh oui, les composés latins *securus, exempt de soucis, *securitas, absence de soucis, tranquillité, ouvrent le champ lexical de la sécurité, de ce qui est sans souci, sûr, *sine cura. D’où le développement exponentiel de ce qui est propre à assurer, rassurer.
Naïveté incurable, sans conteste, que celle qui fait croire que l’on peut se garantir contre tout, sans se poser les bonnes questions : à qui profite la peur ? Qui a intérêt à brandir l’étendard de la sécurité à tout prix ? Il s’agit d’un formidable instrument de pouvoir entre des mains mal intentionnées, qui auraient tôt fait de mettre en curatelle les inconscients qui ne prendraient pas garde à leurs visées pernicieuses. Il est hautement conseillé d’être vigilants à l’encontre de ces curateurs métaphoriques à l’affût des fragilités démocratiques. Chaque brèche facilite leur curiosité.
Souvent indiscrète, voire malsaine, la curiosité peut témoigner cependant d’une appétence de savoirs et d’objets, des plus diversifiés jusqu’aux plus étranges.
Dès le XVIIe siècle, surtout en Allemagne, esthètes et collectionneurs raffolèrent d’objets hétéroclites et bizarres, accumulés sans projet préconçu au hasard de leurs cheminements. Ils en constituèrent de singuliers cabinets de curiosités. En amont de ces collections, il y avait surtout un regard curieux, amusé, porté sans réticence sur le monde visité.
Et cette curiosité, saine et sans prévention, ouverte à toute rencontre, fait singulièrement défaut dans nos sociétés actuelles. N’était-ce pas cette « curiosité de dictionnaire » qui entraînait les enfants boulimiques de savoirs dans une déambulation « anarchique » au fil des pages qu’ils tournaient d’un doigt hasardeux ? Dans l’incurie totale et du brouhaha du monde alentour et du temps qui passait. De quoi se poser la question, un peu nostalgique : les moteurs de recherche, si rapides et efficaces puissent-ils être dans leur ciblage des attentes, et justement parce qu’ils les devancent, peuvent-ils procurer un tel plaisir de nonchalance et de disponibilité toujours récompensées par la rencontre inopinée ?
Annick Drogou, Galilée, 2021