Si l’étymologie, strictement latine, *liber, est d’origine obscure, en revanche le lexique qui en est issu est initialement porteur de significations toutes associées à l’idée de « croître », au nom de la divinité de la croissance, Liber.
Dans le dialecte parlé en Vénétie, Louzera est ladéesse de la végétation, puis désigne la vigne. Le grec offre la même idée, *eleutheros, et le prénom Eleuthère fut attribué à quelques saints médiévaux.
Chez les Latins, être libre suppose une origine sociale du concept. Non pas débarrassé de quelque chose, mais appartenant à une souche ethnique, – un groupe au sens ancien du terme -, qui est désignée par la métaphore de l’accroissement et représente un privilège que l’étranger et l’esclave ne possèdent jamais. Condition libre ou servile des hommes, on naît libre ou esclave.
*Liberi, les enfants ne sont pas caractérisés par leur âge, mais par leur condition sociale. Donner sa fille en mariage, c’est l’adresser au mari pour « semer des enfants de bonne condition », selon la formule juridique.
Cette idée première du mot évoluera quand on commencera à affranchir les esclaves, grecs en particulier, désignés comme *libertinus. Le mot libertin en gardera toujours une connotation péjorative. Les esclaves affranchis sont regardés malgré leur influence grandissante, politique entre autres à l’époque de Néron, comme des non-citoyens officiels. Telle une ineffaçable marque d’infamie première. La figure du libertin que campe Don Juan, aux XVIIe-XVIIIe siècles, représente l’impie qui se libère indûment de la révérence à Dieu.
*Liberare,c’est d’abord livrer, selon l’évolution phonétique. Livraison, délivrance. Ces mots conservent une connotation en demi-teinte par rapport à une coercition antérieure.
La phonétique en compose ensuite un « doublet » plus savant et positif. Libérer, libéral, librement. Et surtout la liberté, octroyée à une personne, une cité, un peuple en ce qu’il est l’assemblée de ceux qui ont atteint l’âge adulte et peuvent y prendre part aux délibérations.
La délibération porte donc sur le peuple, objet d’étude, de conquête, de récupération. On lui prête une voix, légalement par la voie des urnes et la consultation régulière par élections. Plus sournoisement par les envolées de la tribune, parce que cette voix peut se trouver, le populisme y contribuant, faussée par les formules toutes faites, dans l’enthousiasme souvent frelaté de la foule.
Une délibération loyale et démocratique ne devrait-elle pas s’assurer de la liberté effective de ses acteurs, de leur égalité devant la loi, de leur équitable représentation ? Des citoyens libres, libérés de leurs présupposés, de leurs préjugés incurables, en état de délibérer sans contraintes sur ce qui leur autorise une véritable liberté ?
Liberté de pensée, de conscience, de parole. Réalité effective ou utopique, voire un oxymore ?
Annick Drogou
Galilée, juin 2022