Par Evelyne COHEN-LEMOINE
Nous vivons une période particulière dans notre histoire d’êtres humains, particulière et totalement inédite. La conduite du changement qui est en vigueur dans les entreprises et administrations, depuis plus de trente ans, peut paraître dérisoire au vu des transformations majeures et des enjeux qui s’imposent à nous.
Nous sommes et avons toujours été à la recherche du sens, notre cerveau est programmé pour ça et pour réduire l’incertitude. Cette incertitude et l’instabilité qui l’accompagne, le stressent et activent de nombreux mécanismes de défense, souvent délétères. Ces mécanismes se répandent comme des pandémies et vont des addictions de toute nature, à de l’hyper contrôle à l’échelle individuelle ou collective (notamment au niveau des Etats) ou bien repli identitaire pour renformer un sentiment d’appartenance sécurisant.
Notre humanité a basculé du sens cosmique des temps anciens au sens social, au moment de la sédentarisation, de l’invention de l’agriculture et de l’apparition des premières grandes cités. Ce sens existentiel sera suivi par la suite, par le sens moral proposé par les grandes religions monothéistes, pour donner du sens à notre monde, à sa création et à nos règles sociales. Celui-ci reste d’ailleurs présent dans notre société comme un des principaux remparts aux menaces existentielles du monde contemporain. On le retrouve aussi dans l’adhésion à des idéologies plus ou moins bénéfiques, comme on a pu le voir depuis le début de l’ère industrielle.
Revenons à notre actualité, à l’heure où l’anthropocène bouscule tous nos repères.
Où en sommes-nous à propos du sens quand nous conduisons des transformations ? Comment sont conduites les grandes transformations sociétales ? Et à plus petite échelle, comment sont menées les transformations organisationnelles ou culturelles au sein des entreprises, des institutions ou des collectifs ?
Elles sont, le plus souvent, confrontées à des impasses ou à des échecs relatifs.
Peut-être sont-elles menées de manière absurde, avec des ambitions, des critères et un référentiel obsolètes, issus du « monde d’avant ».
Au vu des limites planétaires – qui aujourd’hui sont presque toutes dépassées (7 sur 9 à ma connaissance) – peut-on vraiment se dire qu’une transformation, qui a pour seule finalité d’augmenter la part de l’actionnaire ou de produire toujours plus, a une chance d’être pérenne ou bénéfique, au vu de l’accélération des menaces et des bouleversements ce qui se profilent dans les 5 ou 10 ans à venir ?
Et si l’on prenait le sujet autrement ? avec une ambition nouvelle et qui pourrait devenir universelle, car elle nous concerne tous, et de plus en plus.
Dans son ouvrage » Où est le sens ? » Sébastien Bohler le décrit très bien, en réunissant les trois sens, cosmique, social et écologique. Et pour faire vivre ce sens nouveau, il invoque la notion de rituels :
« L’Humanité devra inventer de nouveaux rituels pour sortir de l’impasse où elle s’est enferrée. De tels rituels devront sacraliser la préservation de la planète et exalter le sacrifice du carbone… En procédant de la sorte, les humains se doteront de moyens efficaces pour faire tomber la charge d’angoisse liée à l’individualisme : savoir que les citoyens de mon pays, du continent tout entier ou si possible de la planète, tiennent pour sacré ce que je considère moi-même pour une valeur indépassable, crée le sentiment d’un nouveau pacte d’appartenance et de confiance. «
Cela nous amène à reconsidérer complètement le pourquoi et le comment des transformations que nous voulons opérer dans nos sociétés, nos entreprises et nos vies. Cela suppose de reposer les questions fondamentales des valeurs et du sens moral ou éthique, que nous voulons donner à nos actions, à l’idéal et à l’ambition que nous visons.
Ces questions concerneront autant le bien-fondé de ces transformations, leur raison d’être ou leur finalité, que leur déroulement, leur manière de faire, leurs modalités. Pour que le sens soit présent dans toutes les acceptations du terme : la signification et la direction à donner.