Dans l’ouvrage « Pour une nouvelle philosophie de l’action publique » (écrit en 1977 par « Lucie des Monts et Léon Garibaldi », pseudonymes de Catherine Gras et Gilbert Deleuil), nous dénoncions le règne long mais apparemment finissant de l’idéologie néolibérale. Celle-ci ayant méthodiquement conduit, en décrédibilisant l’action publique et démantelant le secteur public, à rendre les États impotents et donc impuissants à résoudre les problèmes auxquels les populations sont confrontées.
Voici ce que nous écrivions :
« Ne nous voilons pas la face, la France se trouve aujourd’hui confrontée à des défis majeurs mettant en cause ses conditions d’existence, sa place dans le monde et ses valeurs républicaines. L’État français doit se reconstruire pour permettre à la France d’être une République allant de l’avant, qui tient sa place dans le monde contemporain et y incarne ses valeurs. »
Pour une nouvelle philosophie de l’action publique, p. 7
Déjà nous assistions à la montée du populisme en Europe et en Grande Bretagne sans parler des États-Unis ou de la France. C’est la réponse directe apportée par des peuples désemparés et instrumentalisés au sentiment d’impuissance des États. Il se manifeste dans différents domaines pourtant jugés essentiels tels que l’évolution du niveau de vie, le chômage, la précarité, la sécurité, l’échec scolaire, la crise des banlieues, les déserts médicaux, les crises de la ruralité et de l’agriculture, l’écologie, etc.
C’est dans ce paysage déjà passablement dévasté, qu’a surgi à l’improviste l’actuelle crise contemporaine, inédite et de très grande ampleur (presque tous les États ont été touchés), occasionnant plusieurs centaines de milliers de victimes et l’arrêt durant plusieurs mois de la moitié de l’économie mondiale !
La pandémie du Covid-19, au départ une crise purement sanitaire, apparaît comme une crise potentiellement fondatrice d’un monde nouveau. L’« Après », aux contours incertains, permet d’espérer de profonds changements économiques, sociaux, politiques sur les plans national, européen et international.
La crise du coronavirus…
En effet, la crise du « coronavirus » a fait brusquement surgir à la face de tous la situation humiliante et dangereuse d’extrême dépendance et faiblesse dans laquelle la France se trouve : pénurie de masques, pénurie d’appareils respiratoires, pénurie de kits de test, de blouses et de charlottes, pénurie de lits, pénurie de personnels (sous-payés), absence de sécurité en matière d’approvisionnement en médicaments ou produits actifs, risques de chantages internationaux, concurrence féroce de pays « dits amis » etc…
Cette crise du « Covid-19 » a dramatiquement révélé, de manière stupéfiante et sidérante, la désastreuse perte de souveraineté économique de notre pays dans un des secteurs les plus cruciaux ainsi que le délabrement du secteur public de la santé, naguère considéré comme le « meilleur du monde ».
Pour la première fois, en tout cas de manière aussi évidente et éclatante, les effets délétères du néo-libéralisme apparaissent au plein jour dans leur lumière la plus crue.
Remémorons-nous les éléments de déclinaison de « la doxa ». Les critères de Maastricht ont été érigés en dogme. Ils portaient uniquement sur des indicateurs macroéconomiques publics dans une logique de politique monétaire: moins de 3% de déficit public, moins de 60 % d’endettement public … Les services publics doivent être livrés à la concurrence et privatisés. Un droit européen de la concurrence incompréhensible favorise les rachats d’entreprises par des américains mais pas par des européens ! Evidemment les aides publiques aux entreprises sont prohibées ou étroitement réglementées et contrôlées. Curieusement le grand marché européen laisse librement entrer les marchandises et services provenant de pays où non seulement la main d’œuvre bien moins chère ne bénéficie pas de protection sociale, mais également où les règles sanitaires et environnementales sont bien moins exigeantes. Les entreprises européennes sont ainsi incitées à délocaliser leurs activités dans ces pays émergents, laissant derrière elles déserts économiques, friches industrielles, chômeurs et cités sensibles… À l’État, dont les moyens ont été méthodiquement et drastiquement rationnés, de corriger ces « externalités négatives » (vidéo https://www.youtube.com/watch?v=cKjJrtwTONU) et d’en porter la responsabilité politique ! C’est Kafka …
On peut ainsi aisément démontrer que c’est la mondialisation non régulée de l’économie et l’appât du profit qui ont créé, en même temps, les déficits publics et la montée des populismes.
Fort heureusement, toute crise porte en elle-même des éléments d’espoir en un « Après » meilleur, qui rappelle, comme un fantasme, la formule du CNR du « Retour des jours heureux ».
C’est ainsi qu’en pleine Seconde guerre mondiale, le Conseil national de la résistance française était parvenu à réunir sous l’égide du Général de Gaulle à Londres et de Jean Moulin son représentant en France, toutes les forces politiques et sociales hostiles au nazisme. Il en est issu un Programme national qui, aidé quelques années plus tard par le Plan Marshall (https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/2521-le-congres-us-adopte-le-plan-marshall-31-mars-1948.html), a servi de fondation à la reconstruction du pays dévasté et préparé l’ère des « 30 Glorieuses » où le développement économique allait de pair avec le progrès social sinon avec celui des équilibres écologiques. Ce mouvement n’était pas propre à la France. L’Angleterre de Lord Beveridge et du premier ministre Atlee ainsi que l’Allemagne et les pays scandinaves ont tous promus le « Welfare State » (l’État providence).
Aujourd’hui, tout laisse penser que l’on peut construire autrement car nous sommes à une époque charnière…
Trois scenarii possibles
Trois scenarii sont théoriquement possibles. Le statu quo, le retour à la situation antérieure mais en pire ou bien la construction d’un monde meilleur.
Le retour au « statu quo ante » conduirait au pire (les deux scenarii se confondent) : montée des égoïsmes nationaux sous le voile des populismes, montée des nationalismes, recrudescence des conflits militaires, exacerbation de la rivalité Chine-USA, disparition complète de l’Europe dont les pays auront à choisir entre le retour des pays de l’Est dans le giron russe, une protection incertaine des USA ou celle aguichante de la Chine …
Après la chute, apparemment bien en cours, de la mondialisation néo-libérale, la construction d’un monde meilleur ne passera pas par le nationalisme mais par le patriotisme.
Depuis Jean Jaurès, inventeur de ce diptyque, nous savons que le nationalisme est égoïste et porteur de guerre tandis que le patriotisme est universaliste et promeut la paix.
Le nationalisme s’oppose à une Europe-puissance, pourtant seule capable de faire contrepoids aux grands Etats dominateurs, il est protectionniste lorsque le libéralisme dessert ses intérêts et il s’oppose aussi à toute véritable régulation mondiale par l’intermédiaire des grandes organisations internationales mondiales (ONU, OMS, OMC …).
Le patriotisme, quant à lui, sait parfaitement défendre sa patrie parce qu’il s’appuie sur des citoyens motivés et émancipés. Quel patriotisme ? En l’occurrence, il s’agit de relocaliser les entreprises, de rebâtir une politique industrielle, de développer le territoire, de remuscler des services publics rénovés, de lutter contre les fractures sociales et urbaines, de préparer activement, enjeu majeur, la grande transition écologique …
Héritier du Siècle des Lumières, il est également universaliste et porteur des valeurs républicaines : liberté-égalité-fraternité et laïcité-solidarité. Il souhaite aussi le « bien » pour le reste de l’humanité ! Il est favorable à une Europe respectueuse des nations qui la composent mais aussi capable de défendre et promouvoir efficacement leur idéal et intérêt communs. Il se montre par nature favorable à toutes les formes démocratiques de régulation internationale de nature à régler pacifiquement les conflits et de promouvoir toutes les actions visant le bien commun de l’humanité notamment sur le plan écologique.
Gilbert Deleuil,
Président du Conseil d’administration de Galilée.sp