Petit déjeuner du 26 novembre 2018
Ce matin du 26 novembre, un petit groupe s’est réuni autour de Catherine Farzat, psychanalyste, superviseur, intervenante en analyse de pratiques et consultante auprès de différentes institutions, entreprises et structures médico-sociales, pour faire l’expérience d’un groupe d’analyse de pratiques « type Balint ».
Une première dans le cadre des activités de Galilée.sp, qui s’inscrivait dans la suite du petit déjeuner organisé en juin 2018 avec Roland Gori ; petit déjeuner au cours duquel avait été souligné le manque cruel dans les organisations d’espaces de régulation où la parole puisse circuler.
Avant de passer à cette expérimentation, pour laquelle le groupe avait été limité à 12 personnes, Catherine Farzat présente quelques éléments d’histoire qui ont concouru à l’émergence du dispositif d’analyse de la pratique type Balint puis elle aborde la question de la construction de ce dispositif dans les organisations.
1.Un peu d’histoire…
Catherine Farzat souligne que la supervision et l’analyse de la pratique viennent de la psychanalyse, qui s’est liée très tôt avec le travail social :
- Aux commencements…
- Grâce à la psychanalyse naissante, les dommages psychiques générés par la 1ère guerre mondiale commencèrent à avoir un accueil autre que celui d’accusations de simulation, ou de diagnostic d’ »hystérie de guerre » traitées par les fusillades ou les électrochocs.
- Quand les Idées sociales réformatrices et révolutionnaires de l’après Première Guerre rencontrent les conditions matérielles et psychologiques très précaires des personnes :
- septembre 1918 : principe de l’accès à la psychothérapie pour tous (5ème Congrès international de Psychanalyse).
- Créations de cliniques à Berlin et à Vienne dans lesquelles les patients peuvent se soigner gratuitement. . Entre 1920 et 1931, des milliers de patients de tout âge y furent traités pour maladies psychosomatiques, phobies et dépression. Ce sont les ancêtres de nos CMP.
- Naissance de la supervision : Les psychanalystes de ces cliniques veulent disposer hors cure analytique d’un espace d’élaboration de la relation transférentielle dans le travail avec les patients, espace qui s’appellera plus tard supervision, dont s’inspireront, dans le champ social et médico-social, toutes les formes de supervision et d’analyses de pratiques professionnelles.
- C’est sur ce fond de pratiques analytiques et sociales qu’à Vienne en 1925 un modèle psychanalytique d’aide aux adolescents en souffrance et délinquants est créé par August Aichorn – En 1930 l’idée d’un lieu permettant aux éducateurs d’enfants et d’adolescents d’élaborer leurs pratiques est lancée.
B.Autre période clé pour le développement de ce qu’il convient d’appeler la psychanalyse sociale: l’après deuxième guerre mondiale en Grande-Bretagne et les apports de Michael Balint
De septembre 1940 à mai 1941, Londres est sous les bombes nazies. Entre ces deux dates, le « blitz » aura causé la mort de 50.000 civils.
Les familles sont séparées, les enfants placés et à la fin de la guerre les assistantes sociales débordées sont impuissantes à accompagner les couples en détresse matérielle et psychique. Si le « casework » (travail du cas [1]) auquel elles étaient formées rompait avec l’assistance caritative en introduisant une méthode d’aide centrée sur les capacités d’autonomie de la personne, ses grilles d’évaluations ne pouvaient aider les assistantes
sociales à comprendre les problèmes qui se posaient aux couples après la guerre.. Enid Albu, la Responsable des assistantes sociales, posa en 1947 auprès de la Tavistock Clinic, haut lieu d’expérimentations et de psychanalyse sociale, une demande de formation « tenant compte des recherches faites sur la dynamique inconsciente des couples. Mais comment des assistantes sociales n’ayant pas l’expérience d’une analyse personnelle pouvaient-elles développer une conscience accrue des réactions émotionnelles inconscientes de leurs clients, et des leurs, pour mener à bien un travail où la relation avec la personne est l’outil principal ? « se demandait Enid Albu.
Michael Balint (1896-1970), médecin et psychanalyste hongrois dans la filiation de Ferenczi, exilé en Grande-Bretagne en 1939, répond à cette demande. Très réticent envers toute « recette » de formation, « il introduit l’esprit de la supervision analytique et propose aux assistantes sociales de parler librement de la personne ou de la famille, sans notes ni dossier scrupuleusement monté, et de dire ce qui vient à l’esprit à propos de ces couples, ce qui a pu gêner l’assistante sociale dans cette relation… ».
L’expérience fut un vrai succès car elle déboucha sur la capacité des assistantes sociales à aider ces couples en déshérence et fut étendue aux médecins du National Health Service (Service National de Santé britannique), puis aux médecins généralistes, tous « confrontés après-guerre à des pathologies qu’ils n’avaient pas l’habitude de traiter ». « Ces expériences donnèrent des résultats étonnants, des changements chez les médecins et leurs patients » Les médecins avait expérimenté « non pas un enseignement mais un dispositif pratique », permettant en creux de se former « à la relation médecin-malade.». (extraits de l’article de Catherine Farzat sur le site).
« A l’origine des Groupes d’Analyse de Pratiques type Balint, il y a donc la rupture faite par la psychanalyse dans la façon d’appréhender la transmission des savoirs et l’enseignement d’une discipline ».
S’interroger sur sa pratique
Le dispositif conçu par Balint permet d’observer « ce que le médecin fait au patient et ce que le patient fait au médecin, sur le plan émotionnel », de transformer ainsi les habitudes des médecins, leur faire développer une aptitude nouvelle d’écoute, et parvenir ainsi à mieux soigner les patients. Le dispositif Balint est donc au départ un dispositif d’intervention d’analyse clinique à partir de situations professionnelles apportées par les participants, et qui interroge la part professionnelle de la personnalité du médecin impliquée dans la relation au patient. Petit groupe de recherche et de formation, il n’aborde pas la vie personnelle de ses membres, mais l’analyse de la relation en situation professionnelle.
Accompagner par la parole : l’extension du dispositif
Les groupes Balint connaissent un grand succès et entraînent un mouvement qui va s’étendre en France, puis dans le monde.
« Ce dispositif s’est étendu à l’ensemble des métiers dans le domaine social, médico-social et éducatif, c’est à dire des pratiques qui mettent en jeu le lien à l’autre », pour lesquelles il y a nécessité de réfléchir sur sa posture professionnelle, ses conséquences, et sur les caractéristiques de ce lien à l’autre ; En France, ce dispositif est mis régulièrement en place dans le champ social et médico social à partir des années 70 et depuis une dizaine d’années, il a gagné le champ managérial :
En effet, les dysfonctionnements engendrés par l’organisation contemporaine du travail et leur l’impact humain de plus en plus préoccupant, le constat que les approches comportementales ne permettent pas à elles seules de rendre compte des réalités concrètes des organisations et de la complexité du vécu des individus qui y travaillent, ont entraîné le développement de l’analyse de pratiques managériales en France.
Le GAP type Balint est transposable à l’entreprise car il a la particularité de former à des aspects du métier non vus dans la formation initiale :
-
- Dans son rôle de responsable de service, le manager, le directeur, font, comme le policier, l’infirmière, le ministre, le professeur…, l’objet d’une représentation idéalisée que les collaborateurs, pairs ou supérieur hiérarchique ont de sa fonction, avec tout ce que cela véhicule de pouvoir et d’autorité.
- On peut se trouver heurté, ou en décalage, ou en conflit avec ce halo de représentations imaginaires qui accompagne
- toujours un métier, et une personne. Le GAP type Balint élabore cette sphère entre le réel et l’imaginaire et démine ainsi les projections des uns et des autres sur la fonction managériale ou de direction, y compris celles du manager ou du directeur sur sa fonction.
- Il permet aux managers et directeurs de se confronter psychiquement à leur action et à ses conséquences sur le terrain.
Catherine Farzat prend l’exemple d’un manager qui doit répondre aux attentes « croisées » (mais pas forcément convergentes !) de la hiérarchie, de ses collaborateurs, de ses pairs…. Sera-t-il- « à la hauteur » ? Comment vivra-t-il ces attentes et cette pression ? est-il obligé de se mettre totalement à la place qu’on attend de lui ? Qu’elle soit celle du « bon parent », du manager qui « aime se fixer des objectifs surhumains », etc.. … Que joue-t-il de lui dans l’exercice de sa fonction ? Le terme burn-out est souvent devenu une expression « passe-partout » pour minimiser un véritable effondrement dû au décalage entre les exigences d’une « persona » professionnelle et les possibilités humaines de la personne.
2.la construction du dispositif GAP Type Balint dans les organisations
A. La mise en place de « GAP type Balint » nécessite une préparation sérieuse en amont, et notamment un travail d’analyse de la demande, afin de « remettre sur pied» la perception de cet « outil » par les prescripteurs et les participants. Sont également examinés le caractère obligatoire ou volontaire de la participation à ses groupes, et leur composition.
Du côté des Directions, il y a des demandes authentiques et réfléchies entre les acteurs Direction/managers et équipes, mais il y aussi souvent une demande marquant une volonté d’emprise déguisée sur la pratique des managers et des équipes que ce soit dans un :
- désir de mieux paraître : le fameux « Bien-Etre au Travail » pour les équipes. Ceci dit, l’analyse de pratiques est un moyen très simple, excellent et économique permettant de déceler les risques psycho-sociaux
- désir de maîtriser le plus possible une situation particulière (équipe en difficulté, voire en crise), voire de réparer ou de contenir les effets d’une situation traumatisante
- besoin de générer de la reconnaissance des équipes ou des managers (tout comme pour le coaching)
Du côté des managers ou des équipes, il y a la nécessité de mettre au travail leur demande. Cette demande est souvent ambivalente au départ, avec à la fois un fort désir de changement et un attachement à la plainte, avec le souhait que l’intervenant réponde aux attentes de solutions et joue un rôle d’expert, ce qui évite de travailler sur soi.
Une première rencontre de l’intervenant avec le futur groupe d’analyse de pratiques permet de déjouer ces projections, souvent de faire émerger une demande et les éventuelles appréhensions, de nouer le lien et d’expliquer ce qu’est un groupe d’analyse de pratiques (GAP) « type Balint ».
Catherine Farzat fait part de son intérêt pour les groupes d’analyse de pratiques constitués sur la base de l’interdisciplinarité, parce que le travail mené y est très riche. Elle insiste également sur le fait que dans le cadre de ces groupes « type Balint », l’intervenant en analyse de pratiques est bien un partenaire et non un prestataire de service qui répond à un appel d’offre et qui travaille dans un cadre « calibré » dans lequel la marge de manœuvre est particulièrement restreinte et où la langue de bois reste très présente…
- Qu’est-ce-qu’un groupe d’analyse de pratiques (GAP) « type Balint » ?
C’est un groupe de personnes constitué autour d’un cadre contractuel à référence clinique et d’une méthodologie précise découlant de ce cadre. Ce groupe se réunit régulièrement, pour une période, une durée et une amplitude définies contractuellement, autour d’un objet commun, le travail : par exemple en intra la fonction managériale, le coaching, le projet d’entreprise, en inter la fonction de direction. pour s’interroger sur leur (leurs) pratique(s) et sur les effets produits par ces pratiques, « sur ce que ça nous fait et ce qu’on fait aux autres »…
L’animateur du GAP type Balint est le garant d’un cadre fait pour permettre notamment aux participants de :
- dépasser peu à peu la plainte en en venant à se demander ce qu’ils peuvent y faire, en prenant du recul par rapport à leur pratique, en prenant leur part et rien que leur part sur les effets de leur parole et de leur action,
- se constituer en équipe pour s’appuyer sur les autres et déposer dans le groupe d’analyse de pratiques leur trop plein d’émotions, de sensations, de sentiments afin de s’en distancier
- s’interroger sur ce qui est en jeu dans la relation professionnelle et la prendre en compte dans sa complexité, et ce faisant satisfaire leur besoin de comprendre quelque chose à la répétition de l’insupportable des situations relationnelles auxquelles chacun est confronté
- Lutter contre l’usure professionnelle et (re)trouver de la créativité …
Mais pas toutes les organisations ont besoin de créativité. Il va donc s’agir d’établir un cadre sécurisant pour pouvoir accueillir ce qui est difficile, douloureux, pour les gens dans l’exercice de leurs fonctions et pour qu’ils puissent se confronter psychiquement à leur action ; Ce cadre sécurisant permet aux participants de dépasser les inhibitions éventuelles à exposer une situation où l’on se trouve en difficulté et l’appréhension de dire les choses comme on les ressent.
2. Le cadre clinique d’un groupe d’analyse de pratiques (GAP) « de type Balint »
5 principes
« Cinq principes guident le fonctionnement du groupe : la régularité, la confidentialité, la solidarité, la non-conflictualité entre les participants, et le souci constant du terrain, le groupe se centrant sur une tâche à résoudre ». (Catherine Farzat).
Les règles de fonctionnement d’un « GAP »
En présentant les règles de fonctionnement d’un « GAP » et en remettant le document ci-après à chaque participant, Catherine Farzat insiste sur l’idée fondamentale que ces règles sont d’abord faites pour protéger, préserver la parole et l’action de chacun.
Le maître-mot est confidentialité. Il ne peut y avoir circulation de la parole et examen de sa posture s’il n’y a pas une garantie absolue de confidentialité des échanges. On ne communique pas ce qui s’est dit et qui l’a dit à l’extérieur, Cette règle concerne les participants comme bien sûr l’intervenant.
Autre mot-clé : restitution. Si des participants communiquent entre eux sur le GAP entre les séances, il est important qu’ils puissent restituer au groupe leurs impressions et questionnement en début de séance, lors de la phase de régulation, afin que le groupe demeure étanche et que tout le monde reparte avec le même niveau d’informations.
La liberté de dire tout ce qui vient à l’esprit – et au corps – est l’une des principales règles du « GAP type Balint ». On fonctionne par association d’idées, ce qui facilite la circulation d’une parole plus libre et moins rationnelle. C’est même ce qui distingue ce dispositif des autres groupes d’analyse de pratiques. Il y a en effet plein de manières de penser, et Jung fait la différence entre la pensée rationnelle et la pensée symbolique, par analogie et association d’idées.
Ni la confiance en la méthode ni la liberté ne se décrètent, toute règle est faite pour être transgressée. C’est la raison pour laquelle la construction du GAP type Balint demande un peu de temps, jusqu’à ce que les participants expérimentent le bien-fondé et les résultats de cette méthode.
Pourquoi dire ce qui vient au corps ? Le corps « trinque », car il reçoit les affects et les émotions brutes, non travaillées. Le GAP est un lieu de décontamination : bien souvent les participants ont au départ du GAP le sentiment « d’être bombardés de tomates », eh bien de ces tomates, on va en fabriquer du concentré de tomates, comestible et digérable. Sinon le corps reste un lieu de cristallisation de la souffrance, qui s’exprime par somatisations,
Le corollaire de la liberté d’association est la règle de dissymétrie : quand l’un parle, l’ les autres écoutent, sans interrompre. On occupe une place et une seule. Si on occupe toutes les places, on n’en occupe finalement aucune.
Une personne va exposer un cas, sous forme de récit, parfois pour évoquer un « âge d’or » et le « deuil » nécessaire à réaliser avant de pouvoir passer à autre chose…
Au début de son récit, l’exposant a plutôt tendance à considérer que ce qu’il exprime est la stricte réalité, la seule vérité. Le reste du groupe écoute, puis l’exposant va écouter ce que les autres participants du groupe vont lui refléter, quant à leurs pensées, intuitions, sentiments ou questions posées non pour information mais de l’intérieur de soi… Cela peut donner des interventions du style : « Moi, ça me fait penser à….Moi, j’ai telle image dans la tête, moi, je ressens ça dans mon corps… « La personne qui a exposé écoute sans répondre, pour mieux « intérioriser » ce qui lui a été reflété et prendre déjà un peu de recul. Répondre directement entraînerait un risque de « ping pong » entre deux personnes du groupe, et pourrait aboutir à privilégier la réaction au détriment de la réflexion, et entrainer un sentiment d’exclusion de la part des autres participants.
Dans un troisième temps, l’exposant répond, s’il le souhaite, aux interventions des participants ; les solutions vont s’élaborer petit à petit, grâce à des changements imperceptibles, des changements de posture de la part de la personne qui expose et des autres participants..
L’observation de cette règle de dissymétrie permet le respect de l’autre et de sa parole. Respect vis-à-vis de la personne qui expose, et plus généralement, respect mutuel au sein du groupe, en s’efforçant de ne pas juger, en évitant d’utiliser le tutoiement, car le tu… tue ; En évitant également les interprétations
L’acceptation des principes d’engagement de chacun, d’assiduité, et de confrontation sont nécessaires. L’engagement se traduit notamment par l’utilisation du « JE » dans les interventions. Accepter de se confronter veut dire accepter qu’on ne soit pas du même avis que l’autre, et qu’on examine les motifs et représentations sous-jacents à ces points de vue. Ainsi, petit à petit, les tensions ne seront plus vécues comme des conflits.
Le rôle du superviseur ou de l’intervenant en analyse de pratiques
L’intervenant, garant du cadre clinique qui favorise les associations libres des participants, veille au maintien d’une écoute bienveillante, confidentielle, sans jugement, et d’une coopération authentique.
« La supervision est un espace. Espace de déminage et « entreprise de salut public » qui rouvre le questionnement (Joseph Rouzel) et la bonne curiosité que les modes opératoires, le cycle action/réaction, et la haine de la parole tendent à clore. Un autre des pouvoirs du superviseur est de protéger la parole » (Catherine Farzat)
- Le passage à la pratique
Après la présentation de l’historique et des règles de fonctionnement des groupes « type Balint », Catherine Farzat a proposé aux participants présents à ce petit déjeuner de passer à un exercice pratique dont nous ne dévoilerons pas le contenu ici, appliquant ainsi au pied de la lettre la règle de confidentialité !
Peut-être conviendrait-il de mettre en quelques lignes comment les participants ont apprécié ce passage à la pratique.
- Le mot de la fin
C’est en faisant référence à Pascal Quignard que Catherine Farzat a clôturé cette « séquence » d’expérimentation de « GAP » : » Les relations profondes entre les hommes et les femmes ne peuvent se tisser qu’en commençant par se saisir des fils verbaux et émotifs les plus spontanés qui précèdent la langue acquise, par remonter un à un les métiers à tisser des rituels plus anciens qui constituèrent les sociétés animales : alors on peut commencer peut-être à passer à l’humain, à penser avec le langage, à faire de la musique, à peindre, à nouer des liens d’amitié, à vivre plus profondément, à aimer. Qui veut sauter les étapes d’un coup tombe, ne dit rien, vocifère, est plus bête qu’une bête, tend la main devant son visage en hurlant dans la direction du tyran. » (Pascal Quignard, La Vie Secrète).
Annexe :
Deux figures marquantes de la supervision et de l’analyse de la pratique : celles d’August Aichorn et de Michael Balint :
- Education et psychanalyse : August Aichorn (1878-1949)
August Aichhorn est un ancien éducateur et directeur de jardins d’enfants, On est en 1918, à Vienne, capitale d’un empire disparu. La guerre laisse des populations traumatisées, appauvries, sans repères. « La misère frappe violemment les populations les plus fragiles. Elle jette à la rue, dans une désorganisation totale, un nombre considérable d’orphelins et d’adolescents en rupture de ban, qui, privés d’appuis comme d’avenir, errent et vivent d’expédients. Pour eux, l’horizon le plus probable est la prison ou la maison de correction. Dans ce marasme, quelques humanistes, médecins ou éducateurs, revendiquent leur foi en l’homme et relèvent, pour ces adolescents en errance, le défi de l’éducation » (extrait d’un article de la revue Cairn consacré à August Aichorn et à ses travaux).
Aichorn « s’engage en faveur d’une éducation guidée par le souci de soi et d’autrui, (…) par toutes les formes de médiation sociale, notamment la parole et le langage ».
Il instaure d’abord chaque soir une réunion avec tous les éducateurs, qui peuvent exprimer leurs difficultés quant à leur posture.
Aichorn deviendra psychanalyste, et avec deux autres psychanalystes, il crée, dès 1922, un groupe de réflexion sur les problèmes de délinquance infantile et juvénile.
Il développe au cours de ses conférences publiques[2] en 1925 un modèle psychanalytique d’aide aux adolescents en souffrance et délinquants : il fait des conduites anti-sociales des adolescents l’équivalent du symptôme d’avoir été laissé tomber par les adultes, et de « s’être laissé tomber », et repère le transfert dans la relation éducative.
Anna Freud, quant à elle, dans une série de conférences sur la relation entre Education et Psychanalyse, s’adresse ainsi, en 1930, aux éducateurs des foyers d’accueil de Vienne : « Si vous vous êtes décidés à assister à mes conférences, c’est que peut-être sans fondement précis vous devez avoir l’impression qu’une meilleure connaissance de la psychanalyse pourrait vous être de quelque utilité dans votre tâche difficile » puis « Votre position privilégiée, tout en permettant une connaissance intégrale des différents cas, comporte également des inconvénients. Votre fonction d’éducateurs de maison d’enfants vous impose – tout comme aux instituteurs et aux jardinières d’enfants- une action ininterrompue. La vie et l’animation dans vos classes et dans vos groupes exigent votre perpétuelle intervention. …. Mais pour une telle synthèse explicative des éléments en présence, peut-être vous manque-t-il autre chose que l’occasion…. »[3].
C’est aussi à cette époque de l’entre-deux-guerres que sont créés les CMP (centres médico-pédagogiques).
2. Médecine, Travail Social et Psychanalyse : Michael Balint (1896-1970)
Michael Balint est à la fois médecin et psychanalyste. Il est né à Budapest, a travaillé avec Sandor Ferenczi et à Berlin avec Karl Abraham. Membre de la société de psychanalyse hongroise, il participe à l’organisation d’une polyclinique de psychothérapie psychanalytique dont il devient le directeur en 1933, à la mort de Ferenczi. Il s’exile dès le avec sa femme dès le début de la guerre en Grande-Bretagne, s’installe à Manchester, et dirige, au sein de la fameuse Tavistock Clinic, un centre de guidance infantile.
Après la guerre, Balint s’établit à Londres, où il travaille à la Tavistock Clinic. « C’est dans ce cadre qu’il s’intéresse aux problèmes que posent l’application de la psychanalyse à une institution de soins, la formation des professions intéressées et l’étude du groupe familial » (Encyclopaedia Universalis).
Considérant que médecine et psychanalyse sont intimement liées, il élabore des séminaires spécifiques, qu’il nomme « groupes Balint », pour les assistantes sociales puis pour les médecins. Ces professionnels se réunissent autour d’un animateur-psychanalyste pour discuter de leurs pratiques et des difficultés relationnelles rencontrées au quotidien avec leurs patients. Ces réunions se déroulent dans un espace de confiance où les participants peuvent s’exprimer le plus librement possible, sans peur du jugement. M. Balint évoquait « notre droit non seulement à l’erreur mais aussi à la bêtise parfois » !
Il développa dans de nombreux ouvrages devenus des références une réflexion théorique sur la relation transférentielle soignant-soigné, et le rapport particulier que chaque sujet entretient avec la maladie. Pour lui corps et psychisme ne sont pas dissociés.
[1] Case work : technique destinée à aider le sujet à prendre des décisions
[2] August Aichorn, Jeunes en Souffrance, Psychanalyse et Education Spécialisée (2ème Edition), Edition du Champ Social, 2005, Préface de Sigmund Freud
[3] Anna Freud : « Initiation à la psychanalyse pour éducateurs », Collection Regards