Faire comme si…, trois mots accolés pour une expression fourre-tout d’une insigne banalité. Action, comparaison, condition. Maître d’illusion, rôle de composition.
Jeu enfantin, spontané, riche de situations imaginées. « On f’rait comme si tu s’rais malade, et moi j’serais docteur. »
Trois petits mots qui, à partir de ce présupposé d’enfance, entrouvrent un espace mental inédit, jouissif ou abyssal, selon l’humeur, les humeurs pourrait-on dire, du moment.
Notre vie n’est-elle pas la réitération quotidienne d’un « je ferais comme si », décliné en tergiversations incessantes entre la négation et l’illusion, la nostalgie et l’espoir entretenu ? Le rôle joué et la réalité intime ?
Il y a bien sûr ceux qui refusent de se livrer au jeu de l’oscillation, préférant l’inertie définitive, quoi qu’il leur arrive ou leur soit proposé. Tel le Bartleby de la nouvelle éponyme d’Herman Melville (1853), qui s’enferme et s’enferre dans un refus monocorde, I would prefer not, « je préférerais ne pas ». Telle est la négation à laquelle s’adonne celui qui refuse toute forme de lucidité, sur les événements autour de lui, sur les changements qu’elle serait à même d’induire, sur une mutation de ses regards et de ses comportements par l’adaptation à une situation inexorablement inédite.
L’aveuglement volontaire leur suffit à nier la réalité. « J’ai gagné ! », martèle le candidat débouté par les suffrages. Donald Trump en est l’exemple manifeste. « Non, les génocides n’exterminent pas des millions de gens, non ! La solution finale et les camps ne sont que pure invention ! », clament révisionnistes et négationnistes de tout acabit. Et ils font comme si l’horreur n’existait pas. Sans comparaison ni condition.
Il y a, infiniment nombreux, ceux qui se cramponnent à l’idée qu’il suffit de nier le présent insupportable pour que renaisse un passé intact, sinon fantasmé. Maîtres d’une illusion qu’ils entretiennent sans en tirer leçon, générateurs d’inconséquence meurtrière, ces insupportablement irresponsables qui s’agglutinent sans barrières ni masques, en brandissant la pancarte vengeresse du droit à l’amusement, en revendiquant une bien égoïste liberté.
Certes, la douceur de vivre et sa légèreté ne sont pas à l’ordre du jour. Mais faire comme si, pour gommer une honte qu’on se refuse à nommer, parce que ce serait la confesser sans pardon, suffit-il à chasser les spectres morbides ?
Faire comme si on savait quel est réellement l’ennemi à combattre, comme si, en conscience, les experts auto-proclamés étaient cohérents, comme si les « choses essentielles » relevaient de l’exclusif monétaire, comme s’il suffisait de défier la bestiole immonde, « Vade retro, Corona, tu es viré ! »…
Alors… Agir. Pour rendre possible la comparaison entre un passé révolu en tant que tel et un futur à reconstruire autrement, pour assumer le sas d’un présent vigilant et lucide, en refusant l’oscillation entre incompétence et obscénité.
J’ai envie de faire comme si demain était à portée d’horizon plus lumineux. Et, toi et moi, nous serions en chemin d’embellie. Je rêve de conditionnels sans condition, je serais Zorro sans masque et tu serais Bernardo bavard tout contre mon oreille, et je tousserais seulement pour cacher mon émotion quand tu effleurerais mon épaule.
Annick Drogou, Galilée, janvier 2021