Dans nos livres d’Histoire, les grands moments fondateurs sont souvent liés à l’avènement d’un personnage exceptionnel, à une bataille décisive ou à la fin d’une longue guerre. Cependant, à y regarder de plus près, mais sur une période de temps plus longue, les grands évènements naturels ont également, sinon davantage, joué un très grand rôle.
Cela pourrait être le cas de la crise du Coronavirus.
Par l’impérieuse nécessité de se protéger du danger de ce nouveau virus, sa soudaineté, ses répercussions multiples et sa dimension immédiatement mondiale, elle oblige à s’interroger. Pouvait-on l’éviter ? Pouvait-on en limiter l’ampleur ? Que révèle-t-elle ? Que faire ?
Pour nous, la question est quel impact sur la conception que l’on doit avoir aujourd’hui de l’action publique et du service public ?…
En effet, Galilée.sp a été créé en 2011 pour défendre et promouvoir les valeurs du service public, et nous avons écrit en 2016 « Pour une nouvelle philosophie de l’action publique » (Léon Garibaldi et Lucie Des Monts, Ed. Arnaud Franel). Ce sujet nous interpelle donc forcément.
Aujourd’hui, s’il apparaît clairement que la crise sanitaire du Covid 19 apporte un regard renouvelé sur la question, il convient de souligner l’acuité des nouveaux défis que le service public doit relever.
La crise sanitaire internationale apporte un autre regard sur les services publics
Ne sommes-nous pas, sauf à prendre nos désirs pour des réalités, à un moment de basculement de la vision que l’on a généralement de l’action et du service publics ?
Le regard antérieur, la doxa dominante le véhiculaient au travers de deux grande séries de clichés.
Il y avait d’abord, la dépréciation systématique du secteur public : la France est montrée comme une exception étrange, les services publics coûtent cher, le « privé » peut faire mieux et moins cher, les fonctionnaires sont des privilégiés qui travaillent peu etc …
On trouvait également, c’est le pendant, une surestimation tout aussi systématique du secteur privé : c’est celui-ci qui créée les richesses, on y travaille beaucoup, il est efficace, il est dynamique, il est « agile », il est spontanément éthique puisque selon la loi de l’offre et de la demande et de la main invisible du marché on gagne ce que l’on mérite etc…
Sans s’attarder sur cet agaçant argumentaire, idéologiquement bien marqué, mais malheureusement assez répandu, le déroulement de la crise du Covid 19 apporte des changements notables dans la vision des choses.
Durant la crise ce sont les gouvernants, y compris aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, qui se trouvent à la manœuvre et non les « grands capitaines d’industrie ». Ceux-ci se sont souvent cantonnés à des actions humanitaires, louables au demeurant, ou se sont projetés dans la spéculation sur des projets de traitements ou de vaccins hors de prix voire dans la spéculation tout court…
Le personnel soignant des hôpitaux publics, bien moins rémunéré que chez nos grands voisins, s’est « battu », héroïquement, en première ligne. Toute la population l’a constaté et apporté un vibrant et émouvant hommage.
En deuxième et troisième ligne, et pour ne citer qu’eux, les forces de sécurité, les personnels des EHPAD, les agents des services de propreté et d’enlèvement des déchets, ainsi que le personnel de l’éducation nationale ont montré, dans leur ensemble, un grand dévouement, un sincère engagement et une grande disponibilité.
Les nouveaux défis de l’action et du service publics
Les critiques, elles-mêmes, que l’on peut entendre sur la préparation et la gestion de la crise sanitaire sont un appel, non pas au secteur privé et ses supposés bienfaits, mais au service public !
Cela étant le service public ne peut pour autant pas « s’endormir sur ses lauriers ».
N’oublions jamais, qu’il s’agisse de l’administration, des établissements publics ou des services publics dont la gestion est déléguée, que les services publics n’ont pas de finalité en eux-mêmes, qu’ils sont dans les mains des décideurs publics élus pour apporter des services adaptés et de qualité au « public », qui est également, « accessoirement », le corps citoyen …
Nous sommes, en premier lieu, devant la nécessité de mieux anticiper
et gérer les crises à venir.
L’affaire de la « disparition » du stock de masques disponibles, le questionnement sur le rôle exact de « Santé publique France », entre autres, amènent à s’interroger sur les graves lacunes du dispositif d’anticipation et de préparation des crises sanitaires. Cela malgré différentes alertes lancées par des experts.
A ce stade, en attendant le résultat des enquêtes parlementaires, administratives ou judiciaires en cours ou à venir, il est difficile de déterminer qui est responsable de quoi dans ce manque de préparation : les politiques responsables suprêmes et véritables décideurs, Bercy et sa politique drastique d’économie budgétaire, la direction générale de la santé, France Santé publique ?…
En tout cas si, comme cela est très probable, c’est le souci budgétaire qui a été l’élément dominant, rarement comme dans cette crise on aura pu mesurer le coût exorbitant des « coupes budgétaires » ! L’organisation et le fonctionnement budgétaires de l’Etat est gravement questionné.
L’Etat doit pouvoir investir, « à n’importe quel prix » mais intelligemment et donc dans la durée, dans les mesures liées à l’anticipation, la prévention et la préparation des crises.
L’organisation de la gestion de crise est également interpellée. Certes, par rapport à d’autres pays tels que les Etats-Unis, le Brésil, la Grande-Bretagne ou l’Espagne la France n’a pas globalement à rougir de la façon dont elle a géré la situation mais on ne peut s’en congratuler ostensiblement… Il y a eu des tâtonnements incompréhensibles, la Direction Générale de la Santé (DGS) au niveau central et les Agences Régionales de Santé (ARS) au niveau local ne sont pas conçues pour gérer ce type de crise ; les instances ministérielles normalement chargées de la gestion des crises ont été, au moins dans un premier temps, « shuntées » ; la présidence de la République a tout court-circuité… ; sans parler des oublis (les EHPAD, les cliniques privées, la médecine de ville, etc …).
« Last but not least », nous avons soudainement pris conscience que la France se trouvait dans un état de profonde dépendance pour ses approvisionnements en masques, en kits de test, en appareils respiratoires et médicaments ! Il est devenu impératif d’assurer la sécurité de nos approvisionnements stratégiques par la « souveraineté économique ».
Il s’agit, aujourd’hui, de se mettre en ordre de bataille pour bâtir la société de demain
En schématisant un peu, après le « welfare-state » des années 1945-1973, le néo-libéralisme des années 1973-2016, nous sommes entrés clairement aujourd’hui dans une nouvelle ère.
Nous savons maintenant que nous nous trouvons dans « l’anthropocène », une nouvelle ère géologique où l’Homme marque profondément la Nature de son empreinte. La préservation du climat, de la biodiversité, la transition énergétique, le développement durable et le changement de notre modèle de consommation deviennent pour tout le monde des impératifs catégoriques. Un « humanisme écologique » éclot, qui aura des conséquences sur les finalités, l’organisation et le fonctionnement de l’action et des services publics.
De même la crise sanitaire conduit, s’il en était encore besoin, à revisiter la mondialisation de l’économie. Celle-ci ne peut être remise en cause dans son principe. Depuis l’apparition de l’Homo Sapiens, au minimum, l’économie est mondialisée ! Les échanges de biens, de services, de flux financiers, de personnes et d’informations (à l’ère de l’Internet) apportent beaucoup de bonnes choses à l’humanité. Il s’agit surtout de réguler la mondialisation, atténuer ses excès, rendre les échanges commerciaux plus équilibrés (prendre en compte les coûts sociaux et environnementaux…) et écologiquement plus responsables (transports) et permettre aux nations d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements…
Avec l’usage intensif durant le confinement de l’informatique, d’Internet et du télétravail, la France s’est trouvée plongée de plain-pied dans l’ère numérique. La notion de travail est révolutionnée. Les services publics, pour la plupart déjà dans la course, vont être profondément transformés (télé-procédures, e-administration, visio-conférences avec les usagers etc…). Les relations hiérarchiques traditionnelles du service public se trouvent bouleversées. Les relations sont plus horizontales, le travail s’effectue davantage en réseau. L’agent public est plus responsable, plus autonome et, souvent, plus polyvalent. Ces évolutions interpellent nécessairement sur des sujets RH tels que : quelle formation initiale, quelles formations continues, quels recrutements, quelle conduite du changement ? Etc …
Plus que jamais, les citoyens auront besoin d’un Etat républicain vigoureux, protecteur et ouvert. La paix internationale n’a jamais été aussi fragile face à la montée des rivalités impérialistes, nationalistes et religieuses. Les dépenses mondiales d’armement sont au plus haut. L’OTAN est vacillant. Au-dedans, la paix sociale, civile, civique mais aussi religieuse est également précaire. Les français ont besoin de repères clairs, de mesures justes et fortes et d’être entendus. Il s’agit de protéger le principe central de Laïcité pour et dans le respect des valeurs de la république (Liberté, Egalité, Fraternité) et de leur universalisme.
Gilbert Deleuil
Président du Conseil d’administration