NON !!! La guerre n’est pas jolie, n’en déplaise à Guillaume Apollinaire, au-delà du faux cynisme de l’amoureux désenchanté des Calligrammes.
La guerre fut de tout temps un objet à ce point étrange qu’aucune racine indo-européenne n’en témoigne, ni en grec ni en latin entre autres. Comme si, de cette menace omniprésente dans toute culture et toute société, toutes époques confondues, sourdait un sentiment de honte, en dépit de l’insigne plaisir, osons le mot, qu’elle semble avoir toujours procuré. Chaque langue s’est forgé son mot spécifique, *polemos grec, *bellum latin, jusqu’au francique germanique * werra, qui »offre » sa nomination, guerre, war en anglais. Le mot désigne le trouble, la confusion. Sans plus de précision. Nombre de mots guerriers proviennent de ces parlers germaniques, cible, obus, képi, halte, bivouac, havresac, cravache, entre autres. Sans que ce legs langagier désigne dans les Germains des bellicistes plus qualifiés !
Guerre à deux du duel, réitération du conflit par le re-belle. De haute antiquité, les sociétés considèrent la guerre comme l’état normal. La paix vient y mettre fin et les Romains la voient comme un loisir paresseux, un temps vide, alors que l’histoire se nourrit d’actions et de conflits. Pour « aguerrir » les hommes, leur donner force et vigueur. Dès le mois de Mars, en l’honneur du dieu guerrier, après les quartiers d’hiver. Le mauvais temps gâche le plaisir d’un bon combat, n’est-ce pas ?… On fêtait en fanfare joyeuse le Premier de l’An, le 1er avril, avec cadeaux belliqueux…
Tout motif peut justifier le conflit. Le vol d’une vache, en 1275 à Ciney en Belgique, occasionne deux années d’affrontements et 15 000 morts.
Guerres parfois sans victimes, même si elles durent officiellement …177 années ! Telle celle entre la France et Móstoles, dans la banlieue de Madrid, initiée le 2 mai 1808 par Joseph Bonaparte, et conclue solennellement le 2 mai 1985, lorsque la municipalidad consentit à signer la paix ! Une guerre pacifique… Ah que l’oxymore est joli !
Guerre contre les poux, perdue d’avance, que Platon nomme « phteiristique » (Le Sophiste, 227b) : « L’art de la guerre ne lui paraît pas une chasse plus noble que l’art de détruire la vermine ».
Représentée partout, souvent à notre insu. Les Gaulois, par exemple, honorent Andarta leur déesse de la guerre et de la victoire, qui doit son nom au grec *arktos, l’ours. Au-dessus de nos têtes, cette « Grande Ourse », à laquelle les Gaulois l’identifiaient.
Si inventive…
Quasi innombrables sont ses inventions, machines de guerre ensuite affectées à la vie quotidienne.
Le premier lance-flammes fut inventé par les Béotiens pour incendier les murs de Délion (424 av. J. -C.), pendant la Guerre du Péloponnèse (431-404 av. J. -C.). Un tube de bois cerclé de fer, muni d’un soufflet à l’arrière et, à l’avant, d’un chaudron rempli de charbon, de soufre et de goudron enflammés. Projetée contre les murailles en bois ou en pierre, sa chaleur les fissurait, d’autant plus meurtrière dans les crevasses qu’on y injectait vinaigre, urine ou substances corrosives.
La birème des Grecs, redoutable embarcation, rapide, légère, maniable, conçue pour éperonner le navire ennemi, leur assura pour longtemps une suprématie maritime incontestée.
Le trébuchet, ou catapulte, envoyait au loin des projectiles par un système de contrepoids, avant de se faire petite balance pour pesées délicates, tel l’or.
L‘essedo gaulois, char de guerre léger à deux roues, devint le cabriolet des Belges et des Bretons.
Le sac de couchage, en laine avec oreiller en caoutchouc, fut inventé en 1876 par une Américaine à l’intention des soldats en campagne, ensuite vendu par correspondance aux associations de sans-abri, après la guerre.
Un vocabulaire significatif
De l’idée latine de « tordre » seront issus la torture si efficacement diverse, le tourment, machine de guerre en forme de cylindre enroulé de cordes, dont on s’inspirera pour fabriquer une machine à refouler l’eau, l’extorsion allègrement pratiquée en temps de conflit.
Les ambassadeurs, *ambactoi, sont d’abord les compagnons de guerre liés par serment au chef.
Du gaulois, *borna, l’antre, la cavité, est issue la foreuse, propre à percer les murailles ennemies. Un foret qui rend aussi borgne !
Et, quand Alfred Nobel, pacifiste convaincu, veut inventer en 1866 la « paix par peur » (sic), moyen de destruction le plus terrifiant, par lequel les peuples prendraient conscience du danger et aboliraient la guerre, il lui donne le nom de dynamite… *dunamis, la force en grec…
L’art du faux
La Première Guerre mondiale développe une étonnante industrie du camouflage. Peintres et décorateurs contribuent à cet art du faux, arbres portatifs en tôle blindée munis d’appareils optiques, toiles peintes pour meule de foin, ruine, borne kilométrique, cheval mort…
Tout y est faux, sauf le massacre bien réel…
Des enjeux si contemporains…
Dès l’Antiquité, on connaît le pétrole, médicament, vermifuge, embaumeur, éclairage, feu sacré ou grégeois. Mais, puant et inflammable, on lui préfère l’huile de houille ou de schiste. En revanche, sa fumée est moins dense et noire que celle du charbon sur les navires de guerre.
Autre enjeu de conflits, l’opium, d’abord élixir parégorique et laudanum, puis monnaie d’échanges avec la Compagnie anglaise des Indes, sera au coeur de la Guerre coloniale de l’opium(1839-1842).
La guerre, quelle aubaine !
Deux mots germaniques, *ban, proclamation, et *bandwa, étendard, contribuent à former le sémantisme du ban et de l’abandon. Pouvoir et autorité du chef. « Venir à bandon », c’est foncer avec impétuosité sur l’adversaire. « Mettre à bandon », c’est laisser à la discrétion, à la merci du seigneur les biens en déshérence ou appartenant à des étrangers morts sur ses terres. Un « droit d’aubaine« , *aliban, ce qui appartient à un autre ban. En temps de guerre, le seigneur appelle ses vassaux en « publiant les bans », selon la hiérarchie du ban et de l’arrière-ban. Les bans de mariage seraient-ils plus pacifiques …?
Ah que la guerre est jolie, lorsque le poudrier, au masculin, inventé par le parfumeur François Coty vers 1930, se fait arme de séduction féminine ! Même si la poudrière, au féminin, concerne principalement les hommes et la guerre … Troie et Hélène en résonnent encore…
Décidément, la guerre est faite pour le Bachi-Bouzouk, « mauvaise tête » que représente le cavalier ottoman, criminel recruté par le sultan, mercenaire indiscipliné et redoutable, dans le collimateur verbal du Capitaine Haddock…
Annick Drogou
Galilée.sp