Pour le petit déjeuner du 8 juin, dernier rendez-vous avant les « grandes vacances », Galilée.sp a accueilli Reine-Marie Halbout, coach, superviseur et psychanalyste d’orientation jungienne, membre superviseur de la Société française de Psychologie analytique, SFCoach.
Avec son accord, nous reproduisons ici son intervention. Intervention passionnante, claire, vivante, qui a permis aux participant(e)s de ce petit déjeuner de découvrir ou de se familiariser un peu plus avec la pensée foisonnante et visionnaire de Carl Gustav Jung.
La pensée de Jung
Comme toute pensée, celle de Carl Gustav Jung est en lien avec sa vie, l’époque dans laquelle il a vécu et son environnement intellectuel.
1875 –1961. Dates qui font un pont entre le 19ème et le 20ème siècles. (Jung fera la couverture de Newsweek juste avant sa mort comme étant l’un des penseurs les plus importants du 20ème siècle)
Enfance
Un père pasteur et de nombreux pasteurs dans la lignée paternelle et maternelle. Un récit qui traverse l’histoire familiale, un ancêtre qui serait le fils naturel de Goethe…
L’Enfance de Jung est solitaire et difficile (épisode de déscolarisation), proche de la nature et des animaux, ce dont ses écrits témoignent jusqu’à la fin de sa vie. Vision très moderne d’un monde où tous les registres du vivant doivent être respectés, Jung est considéré comme précurseur de l’écopsychologie.
Dès son enfance, il accorde une grande importance aux rêves, ce qui sera le cas toute sa vie. Son autobiographie s’intitule Souvenirs, rêves et pensées.
Etudes
Jung choisit des études de médecine et une spécialisation en psychiatrie. Il a également une grande culture générale, notamment philosophique.
Il entre comme assistant au Burghölzli, le célèbre hôpital psychiatre où officie Eugen Bleuler – l’inventeur du concept de schizophrénie –. Les patients y sont pris en charge avec des approches novatrices et d’une grande humanité. A l’époque, il n’y a pas de traitements médicamenteux.
Jung met au point le test d’association verbale, qui donnera lieu à la notion de complexes[1]
Rencontre avec Freud
CG Jung lit Freud sur l’impulsion de Bleuler et contacte ce dernier qui a déjà publié l’Interprétation des rêves – Leur première rencontre sera déterminante avec 13 heures de discussion.
Cette période marque le début de la correspondance qui s’étale entre 1906 et 1914. Elle débute sur un malentendu et se terminera par une rupture fracassante. On ne peut pas dire que Jung a été le disciple de Freud. Il s’en est rapproché mais chacun est resté sur ses positions avec des points communs : reconnaissance de l’inconscient, importance des rêves et du transfert dans la cure.
Pour mémoire : Jung est psychiatre suisse protestant / Freud est neurologue viennois juif – Il a 19 ans de plus que Jung.
Le mythe du héros
La publication de Métamorphose de l’âme et ses symboles en 1912 par Jung scellera leur discorde. Il y est question des différentes mythologies qui mettent en scène le combat du héros (le moi conscient) avec un inconscient matriciel à la fois fécondant mais aussi mortifère et source d’anéantissement si le héros s’y laisse « glisser ». Conception de l’inceste et du sacrifice sur un plan mythopoïétique.
Le Livre Rouge
Jung traverse une période de désorientation (rapport entre individuel et collectif, guerre de 14/18). Il travaille sur le fameux Livre Rouge dont Bertrand Eveno est l’éditeur[2]. Il quitte ses responsabilités universitaires, s’installe chez lui (une belle maison, bien située à Küsnacht sur les bords du lac de Zurich grâce à la fortune de son épouse) et reçoit une clientèle internationale. Il a déjà effectué de nombreux voyages notamment aux Etats-Unis (avec ou sans Freud et d’autres psychanalystes, proches de ce dernier)
Les types psychologiques
Au sortir de cette période, Jung écrit les Types psychologiques, qui sera le modèle des outils fondés sur les types psychologiques dont le GOLDEN [3]. Cet ouvrage sera publié en allemand en 1921, en anglais en 1924 et en français dans les années 50.
Il y décrit des attitudes : Introversion/Extraversion et des fonctions de perception (Sensation/intuition) et de prise de décision (Pensée/Sentiment)
Jung s’y intéresse aussi au sujet crucial de la mi-vie et à la notion de développement, de croissance psychique, tout au long de l’existence qu’il nommera parcours d’individuation. Ces sujets intéressent les praticiens qui s’occupent d’accompagner des personnes dans les champs professionnels (les coachs) et thérapeutiques (psychologues) mais en fait, ils nous concernent tous.
Après son travail de moine copiste sur Le Livre Rouge dont la dernière page date de 1929, Jung se lance dans la construction de sa tour, à Bollingen. Après avoir été peintre, enlumineur, et calligraphe le voici tailleur de pierre et sculpteur.
L’Orient
Dans les années 20, Jung découvre l’Orient, grâce entre autres aux travaux du sinologue Richard Wilheim. Avec Le mystère de la fleur d’or, le livre taoïste chinois, et le Yi King, le livre des oracles qu’il préfacera à plusieurs reprises (cf. dernière émission de Catherine Gras sur Fréquence protestante avec Pierre Faure[4]), il entre dans les philosophies orientales qu’il aborde comme ce qui vient naturellement compenser la pensée occidentale. Toute sa vie, il travaillera ces sujets avec le livre des morts tibétain, le yoga de la kundalini. Il inspirera les rencontres d’Eranos qui se déroulent encore aujourd’hui où les plus grands penseurs de l’Orient et de l’Occident, dans tous les domaines, se sont rencontrés et continuent de le faire. Sur ce sujet, il a aussi été un précurseur.
Dialectique du moi et de l’inconscient
Dans les années 30, Jung élabore un modèle de la personnalité autour de la notion d’un moi habité par des complexes (persona/ombre, animus/anima, Moi/Soi), dont l’unilatéralité ne peut être que réductrice si elle n’est pas compensée par une relation vivante avec l’Inconscient.
Avec animus et anima, part masculine inconsciente chez une femme ou part féminine inconsciente chez l’homme, Jung approfondit la notion de bisexualité psychique et anticipe sur les questions de genre, si présentes dans le paysage culturel anglo-saxon et qui commencent à résonner fortement en France.
Il développe son propos dans Dialectique du moi et de l’Inconscient. Ce dernier est envisagé comme réservoir de mythes, de symboles, d’énergie en même temps que le lieu du pulsionnel et du refoulé. De l’ombre et de la créativité, donc.
Les archétypes
Jung poursuit ses recherches dans les profondeurs de l’âme humaine, à travers les notions d’inconscient, de personne et d’inconscient collectif. Dans Les racines de la conscience[5], il développe sa notion d’archétype, sorte de schèmes acquis depuis l’aube des temps de l’humanité qui structurent une expérience humaine mais de façon toujours singulière, qui devient l’histoire de chacun.
Comme vous pouvez le remarquer les notions de complexes, d’inconscient personnel et collectif, d’archétypes sont tombés dans le langage courant. Jung suscite un intérêt de plus en plus grand en France, en témoigne le dernier livre de Frédéric Lenoir sur Jung « Un voyage vers soi »[6]….
Les voyages
Jung a beaucoup voyagé et il s’est intéressé aux autres cultures, et a considéré avec beaucoup d’intérêt et de respect pour les peuples premiers. Il a voyagé aux Etats-Unis, partout en Europe, au Nouveau Mexique, où il a rencontré les indiens Pueblos et leur chef avec lequel il a évoqué les rites d’accompagnement du soleil, il a aussi voyagé en Afrique du Nord, en Afrique noire et en Inde.
L’alchimie
Dans les années 30/40, c’est l’alchimie qui va préoccuper Jung. Il rêve de vieux grimoires qu’il doit déchiffrer et part à la découverte des savoirs alchimiques qu’il conçoit comme une métaphore du travail de transformation psychique[7]. Les différentes phases du travail alchimique (l’œuvre au noir, au rouge, au jaune, au blanc) sont envisagées comme des étapes de la transformation et de l’élargissement de la personnalité.
Il appliquera cette métaphore alchimique à la conception du transfert dans la cure analytique Psychologie du transfert[8] qui est publié en 1946.
Réponse à Job
Dans les années 50, c’est la question du religieux, du rapport à Dieu qui revient en force, même si ce dernier n’a jamais cessé de le préoccuper.
Dans son livre Réponse à Job, il reprend l’histoire de Job pour engager une réflexion sur un nouveau rapport à la divinité, en soi et à l’extérieur de soi, divinité en partie inconsciente et qui cherche à le devenir à travers le travail de conscientisation des hommes, divinité en partie inconsciente du Bien et du Mal. Cet ouvrage lui vaudra les foudres de nombreux hommes d’Eglise de toutes obédiences mais Jung tient bon sur ces recherches. Mais Jung pense le rapport à la divinité à travers l’expérience. Il dira à la fin de sa vie, dans une célèbre interview, « je ne crois pas, je sais… ».
Il poursuivra ses travaux sur la figure du Christ comme figure du Soi, notamment dans Aion, c’est-à-dire d’une totalité vers laquelle le processus d’individuation tend, totalité qui se vit dans un élargissement de la personnalité, par l’intégration de l’ombre. On peut donc parler d’un élargissement par le bas, contrairement à la sublimation freudienne.
Psychologie individuelle/ Psychologie collective
Le rapport de l’individuel au collectif est un thème majeur de l’œuvre de Jung. Dans Présent et avenir, rédigé à la fin de sa vie, il met en garde contre les « ismes » et les dangers qu’il comporte. Il encourage chacun à développer sa connaissance de soi, ses sources intérieures, son individualité profonde pour engager un juste rapport au monde extérieur et au collectif.
Comme Freud, et son Malaise dans la civilisation, Jung n’est pas très optimiste sur les capacités des femmes et des hommes à tenir le conflit en eux, au lieu de le projeter systématiquement sur autrui jusqu’aux conflits les plus sanglants et destructeurs.
Fin de vie
Jung a eu de nombreux patients célèbres (Herman Hesse, James Joyce et sa fille, Edith Rockfeller Mc Cormick) L’un des plus connus d’entre eux est Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique en 1945[9]. L’histoire entre les deux hommes se transformera pour devenir une collaboration autour de la notion de synchronicité, notion complexe de lieu acausal entre des événements extérieurs riches de sens et correspondant à des événements intérieurs. Lien entre la physique quantique et la psychanalyse.
Jung s’est intéressé toute sa vie au monde intérieur, aux profondeurs de la psyché humaine tout en restant relié à l’histoire dramatique de son temps, aux phénomènes collectifs (les guerres, le rideau de fer, l’apparition des soucoupes volantes…)
Jung et la créativité
Jung a toujours pensé le chemin d’individuation en termes de créativité renouvelée. Pour le commun des mortels, il ne s’agit de création artistique mais de créativité. Il s’est intéressé aux productions artistiques de son temps et a écrit sur elles, par exemple sur Picasso.
Il a inspiré de nombreux artistes, dans tous les domaines : littéraires, cinématographiques, BD, vidéos, danse, etc….
Conception de la personnalité, chez Jung
Typologie, extraversion/introversion, fonctions de perception et de prise de décision, croix des fonctions, crise de mi-vie, chemin d’individuation, intégration de l’ombre, importance du rêve dans sa dimension compensatrice du conscient, abandon de l’unilatéralité du moi, assouplissement de la persona, tension entre les opposés., crucifixion, sacrifice…
Cet exposé particulièrement documenté et « dynamique » a donné lieu à des échanges « nourris » avec les participants à ce petit déjeuner.
A l’issue de son intervention, Reine-Marie Halbout a indiqué qu’une conférence sur « l’influence de Jung sur la création artistique » serait organisée par l’Association Francophone des Types psychologiques le 29 septembre 2022 (à Paris, en présentiel, ou par Zoom). des informations sont d’ores et déjà disponibles sur le site internet de l’association et les détails seront communiqués en temps utile.
Enfin, ci-après, quelques « conseils de lecture » mis à notre disposition par Reine-Marie Halbout que nous avons chaleureusement remerciée !
Quelques conseils de lecture
Carl Gustav Jung, Souvenirs, rêves et pensées, Editions de Poche
Elie G. Humbert, Jung, Hachette Pluriel
Aimé Agnel, Milan, Jung ou la passion de l’Autre, Collection Les essentiels
Christian Gaillard, Jung, Que sais-je ?
Viviane Thibaudier : Découvrir Jung, Eyrolles
Frédéric Lenoir : Jung, un voyage vers soi, Albin Michel
Tom Keve : Trois explications du monde, Albin Michel
[1] L’expérience ou test d’association de mots a été créé au milieu du XXème siècle par Carl Jung. Ce dernier avait un objectif clair : percer les mystères de l’inconscient. Comprendre ses manifestations, lui donner des canaux adéquats pour pouvoir le lire, le comprendre et, enfin, faire émerger ces problèmes qui entravaient la liberté et le bien-être du patient. (https://nospensees.fr/test-dassociation-de-mots-de-jung/)
[2] Bertrand Eveno http://www.lescahiers.eu/contributeurs/bertrand-eveno
[3] En cliquant ICI, une plaquette de présentation de ce qu’est le « Golden »
[4] https://frequenceprotestante.com/events/yi-jing-la-nouvelle-traduction-francaise/var/ri-2.l-L1/
[5] https://www.cgjung.net/oeuvre/racines_conscience.htm
[6] https://www.fredericlenoir.com/essais/jung-un-voyage-vers-soi/
[7] https://www.cgjung.net/espace/ariaga-ecrits-jung/alchimie/
[8] https://www.cahiers-jungiens.com/numero_revue/1981-3-la-psychologie-du-transfert-de-jung/
[9] Wolfgang Pauli http://etienneklein.fr/wolfgang-pauli/