Le monde vit à l’heure du confinement et les quatre milliards de personnes qui y sont astreintes sont censées n’avoir aucun contact physique. Intéressant paradoxe. Et chacun se demande quand sonnera enfin la fin de la claustration.
Plus que jamais, l’étymologie autorise des chocs de significations et des accointances auxquelles on ne s’attendrait guère.
Le mot latin *finis désigne sans surprise la fin. À la fois, le terme, la lutte finale, l’achèvement et la perfection que l’on a tenu à y apporter, la fin de vie, le fin mot de l’histoire, la fine champagne et les fines herbes. Le fin du fin, la fine gueule et la fine lame. Jusqu’à la fin’amor, cet amour médiéval aussi brillant et brûlant que s’il était épuré par le feu. Aussi raffiné que du pétrole ou des manières élégantes. C’est qu’on a apporté une finesse particulière aux finitions !
Mais quelle finalité trouver à notre quête de profits et de consommation échevelée ? Est-ce pour se retrouver dans un absurde confinement par les méfaits d’une bestiole infiniment petite, tel le ciron que dénommait Blaise Pascal ? À force de nous croire plus finauds que Dame Nature, de finasser dans le monde de la finance, nous voici confrontés à l’amère réalité : comment définirons-nous désormais nos limites, dans un espace de plus en plus étroit, physique et mental ?
C’est bien de cela qu’il s’agit : nous avons oublié, ou voulu ne pas voir, que l’humain se définit par les limites que lui impose la cohabitation avec l’Autre. Son identité est en miroir plus ou moins déformé de celle d’autrui et l’ermite, qui vit dans la solitude absolue de son désert, n’a pas d’identité parce que justement il n’a pas de fin, de confins, c’est-à-dire de regard extérieur qui lui confère ses propres contours. Le mot confins est intéressant à plusieurs titres. Il est toujours employé au pluriel, parce que la limite, la frontière est par définition ce qui sépare deux territoires, deux individus, l’en-deçà et l’au-delà. Aux confins du monde habité, les Romains voyaient l’indifférencié dangereux du Barbare, et ils en refusaient le contact.
À prétendre à la mondialisation sans frein du profit, nous avons oublié ses nécessaires limites. La contagion, au sens propre de ce qui touche ensemble, vient nous le rappeler avec une brutalité sans affinités.
Annick Drogou, Galilée.sp, 2020