Voici un parcours étymologique vraiment prolifique, autour de *ker-, l’idée de séparer.
Du grec, l’acarien est ce parasite que l’on ne peut pas couper tant il est minuscule.
Le latin *curtus ouvre le champ du courtaud. Un peu court, jeune homme, votre raccourci !
*Caro, lambeau de viande, se prête au thème de la chair et de ses variations, le carnage, l’acharnement, le regard carnassier du prédateur sur la jolie carnation de la proie à séduire. À ce propos, pourquoi parler de travail acharné quand il s’agit souvent, à bien y regarder, d’une servitude volontaire jubilatoire ?
On charcute pour faire bonne chère lors de la cène, sainte ou pas, dans un cénacle de convives élus. À l’occasion du carnaval, quand cesse le jeûne par exemple.
Tenter un inventaire exhaustif de ce sémantisme serait ici quasi impossible, puisqu’on y parlerait de cuir, d’écorchure, de cortex, d’intuition à décortiquer, entre autres nombreux vocables. Peut-être de carpe diem, d’optimisme coriace…
Sous un autre aspect phonétique, le même sémantisme autorise, à partir du grec *krinô, tout ce que l’on sépare du reste, qu’on choisit par décision. Tel le critère, qui prête le flanc à la critique facile.
Et la crise…
Le latin, quant à lui, assortit le verbe *cernere de divers préfixes, avec une grande variété de mots.
On cerne, discerne, concerne, décerne, décrète. Certes, la concertation devrait rassembler le concert de ceux qui sont certains du bien-fondé de leurs certitudes pour les avoir tamisées au crible
du bien public. Parce que le crime est l’accusation qui isole, il faudrait proscrire toute récrimination que ne dicterait pas la pertinence.
Et il est temps d’adjoindre ici un large pan de la filiation étymologique de cette étonnante racine. Dès l’Antiquité, on l’étendait au sémantisme d’écrire, richement représenté. Parce que le scribe trouve son outil dans le grec *skariphos, le stylet qui permet de gratter, l’écriture est une scarification. Que l’on décrive sa prescription, ou inscrive son décret dans le marbre définitif.
Voici venir le temps de la crise qui, contrairement à l’erreur fréquemment entretenue dans le langage, n’est pas un instant d’hystérie ou de colère, une convulsion physique ou collective. « L’instant de la crise », comme on dit au théâtre, est celui du discernement, du choix inéluctable, l’évidence de l’aiguillage face auquel n’est plus permise l’incertitude.
Même si les grandes décisions se prennent dans la discrétion, voire le secret, nul désormais ne pourra se réfugier dans une cécité confortable, faire comme si rien de tout cela n’avait eu lieu. Tous concernés…
Sinon on court le risque que les grands remous inconsidérés ne soient que l’excrément sans mesure ni guérison d’une société malade de ses propres désarrois intestinaux.
Annick Drogou, Galilée.sp, 2020