Petit déjeuner du 13 mars 2019 avec Pierre Goudin
Les consultations citoyennes de l’Union européenne
Catherine Gras a présenté l’intervenant de ce petit déjeuner : Pierre Goudin, un des quarante membres fondateurs de Galilée.sp, est un « français international qui parle et écrit vrai » dit-elle.
Du fait de l’organisation du Grand Débat National en ce début d’année 2019, il y a eu très peu de communication et d’information qui ont circulé sur ces « consultations citoyennes de l’Union européenne » engagées entre le 17 avril et le 31 octobre 2018. Galilée.sp souhaitait en savoir un peu plus sur cet événement qui a donné lieu à l’organisation de plus de 1000 réunions en métropole et en Outre-mer, sans parler des autres pays membres de l’Union européenne.
Pourquoi ces consultations citoyennes de l’Union européenne ? Pour réveiller l’Europe !
Elles ont eu lieu « dans la foulée » du discours d’Athènes du Président de la République le 11 septembre 2017 pour « réveiller l’Europe » et évoquer sa refondation. Comment réanimer une Europe unie, souveraine, démocratique ?
L’Union européenne souffre de désaffection citoyenne, sans doute une conséquence des crises (2008/2011), sans doute du fait de la montée des populismes, sans doute sous les coups des séparatismes (« crise catalane »).
Selon le philosophe Jürgen Habermas, on est face à un « acte manqué ». L’espace public européen n’existe pas vraiment. Il faudrait que les décisions prises au niveau européen naissent d’un débat contradictoire pour gagner l’adhésion des citoyens.
En 2012, la Commissaire européenne Viviane Reding (justice) avait mis en place des « dialogues citoyens » regroupant des commissaires européens et des hauts fonctionnaires pour discuter avec les citoyens ; ces dialogues ont été institutionnalisés en 2013 à l’occasion de l’année européenne des citoyens et ont débouché sur un « Livre blanc sur l’avenir de l’Europe » en 2017, sous la présidence Junker
Lors d’un Conseil européen informel en février 2018, le président Macron présente le projet de consultations citoyennes à ses homologues. C’est un accueil « poli », et la plupart des autres pays membres acceptent d’organiser ces consultations sur leurs territoires, à l’exception toutefois du Royaume Uni et avec une participation très limitée de la Hongrie et de l’Italie. Un groupe informel chargé du suivi de ces consultations est créé au niveau du Conseil européen.
En France, quels résultats pour les consultations européennes ?
70.000 français se sont impliqués, ont débattu sur les thèmes prioritaires de la transition écologique et les questions sociales
Des débats aux formes et thématiques variées
- Généralités sur l’Europe
- Format « cafés philo » ou interventions sur les lieux de vacances (« Tournée de l’Europe à la plage »)
- Animations dans des centres pénitentiaires
- Création d’une « pièce de théatre » avec des personnalités venues défendre/juger le projet européen (« l’Europe à la barre » https://youtu.be/XKHzXgdft60)
Un exercice inédit… pour les français qui se sont mobilisés, plus que la moyenne de leurs voisins…
… Et adapté en fonction des pays et du principe de subsidiarité. C’était la première fois qu’on avait une consultation d’une telle ampleur dans l’Union européenne.
En 6 mois, la France a organisé 1100 réunions ; pour l’ensemble des autres pays de l’Union, on a compté 600 réunions.
Au niveau de la Commission européenne, en mai 2018, un panel de 97 citoyens européens (dont 5 français) s’est réuni pendant 3 jours au Comité économique et social européen à Bruxelles pour discuter de leur vision de l’Europe et aboutir à la création d’un document de 14 questions reflétant leurs préoccupations majeures sur l’Europe. Ce questionnaire a été mis en ligne le 9 mai 2018 (date symbolique, puisque c’est « la journée de l’Europe »).
Comment cela s’est-il passé ?
1.082 réunions, réunions au cours desquelles on peut dire que les citoyens se sont vraiment approprié les thématiques européennes, par l’intermédiaire des associations organisatrices des consultations.
Au niveau territorial, 25 % des réunions se sont déroulées en Ile de France et 75 % dans le reste du territoire, DOM-TOM compris. Par contre, les limites quantitatives ont été vite atteintes : ces réunions n’ont « touché » que 70.000 personnes sur tout le territoire, avec en plus une couverture médiatique quasi inexistante…
Quelles thématiques ont-elles été le plus souvent abordées ? Transition écologique et questions sociales
Contrairement aux autres pays européens qui ont vu l’immigration venir au premier rang des débats, la France a surtout traité de la transition écologique, des questions liées à la protection sociale. Des thèmes tels que le Brexit ou l’Euro n’ont pas soulevé « l’enthousiasme » des participants à ces débats…
Sur la question de l’élargissement ou de l’approfondissement de l’Union européenne, la réponse la plus fréquente allait à l’approfondissement.
Une grande liberté de parole et un brassage des publics
On a noté une grande liberté de parole. Et ces réunions ont touché des publics très divers. Ces réunions ont montré leur utilité pour la « suite », à savoir l’organisation du Grand Débat National.
Ces consultations n’ont pas bénéficié de réels soutiens politiques, y compris au sein même du gouvernement. Lorsque Nathalie Loiseau a animé une cinquantaine de réunions, seule une dizaine de membres du gouvernement ont participé à ce type d’événement… Il faut ajouter à cela qu’il n’y a pas eu vraiment de campagne gouvernementale. Tout ceci semble marquer pour le moins de fortes résistances au changement !
Du côté du Président de la République, porteur du projet, au fil des mois, on a senti un fléchissement d’intérêt …
Même si ces consultations citoyennes ont eu le mérite d’être organisées et de faire l’objet de comptes-rendus, on ne peut pas dire qu’elles ont rencontré un grand succès.
Quelle administration de cette « Année particulière » ? en France, une équipe légère a été créée pour les consultations citoyennes européennes ; elle s’est ensuite « auto-dissoute »
Nathalie Loiseau, Ministre des Affaires européennes, crée un Secrétariat général pour les consultations citoyennes européennes (SGCCE), composé de 20 personnes :
- 1/3 de fonctionnaires mis à disposition
- 1/3 de contractuels du Quai d’Orsay
- 1/3 de stagiaires de haut niveau (ex. Sciences Po…)
La mission de cette « Task-Force » ?
Mettre en place une méthodologie de travail garantissant des débats transpartisans, ouverts à tous, sous la houlette de modérateurs, suivant une charte, et l’engagement de restitution des travaux avec mise en ligne sur le site internet des comptes-rendus des réunions.
Ses outils ?
Un site internet dédié permettant aux publics intéressés de trouver les informations dont ils ont besoin, avec une Foire aux questions (FAQ) régulièrement mise à jour, avec une hotline et un numéro vert, outil géré par les stagiaires qui pouvaient ainsi répondre aux questions des organisateurs de consultations.
2 autres structures avaient été mises en place pour « chapeauter » ce SGCCE :
- Un Conseil d’orientation (composé d’experts pour les questions européennes)
- Un Comité de surveillance (composé de représentants de partis politiques à l’exception du Rassemblement national qui n’avait pas souhaité participer à « l’exercice »)
L’analyse des restitutions des consultations citoyennes a été confiée à la Commission nationale du débat public https://www.debatpublic.fr/ présidée par Chantal Jouanno.
Dans cet exercice, l’Etat a joué un rôle organisationnel. Une fois, les consultations citoyennes terminées (automne 2018), le SGCCE a été dissous (janvier 2019).
Et pour finir, le mot d’humeur de Pierre Goudin, notre invité
Le chantier de la réconciliation des citoyens avec le projet européen reste ouvert ! S’’il faut en croire Nietzsche, « Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe » … Alors le débat continuera, mais sans doute sous d’autres formes…
Le rapport complet des consultations citoyennes européennes est téléchargeable ici (document en format PDF)