par Anne-Marie Courage
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) est une structure unique au monde. La MIVILUDES n’est pas une instance de régulation de la liberté de croire. Son action s’inscrit dans le cadre de la loi de 1905 dite « de séparation des églises
et de l’État ». Le texte affirme la liberté de conscience et reconnaît à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, de pouvoir s’engager ou se désengager, d’appartenir à une communauté ou s’en défaire. L’État est neutre envers les convictions de chacun.
La République française, héritière de la Révolution de 1789 est fondée sur le postulat de l’autonomie de chaque citoyen. Chaque citoyen a la capacité d’être un sujet de droit à part entière. Pour ce faire, l’État doit œuvrer afin de garantir à chacun les conditions d’une liberté de conscience et se doit de combattre ceux qui usent des libertés d’expression, de culte et d’association en mettant à mal le fondement même de ces libertés.
C’est pourquoi toute situation d’emprise ou de sujétion est en soi une atteinte grave à ce socle fondateur et constitue une véritable rupture avec l’ordre politique républicain. L’État s’interdit de s’immiscer dans la sphère des convictions individuelles de chacun, tout en garantissant à l’individu les conditions de son autonomie et en le défendant contre toute forme d’emprise de nature sectaire.
C’est précisément le sens de la loi n°2001-504 du 12 juin 2001, aussi dite loi « About-Picard » qui reconnaît l’emprise mentale.
Lorsque les législateurs ont réfléchi au cadre juridique, il ne s’agissait pas pour les pouvoirs publics de stigmatiser une croyance, ce qui est contraire aux Droits fondamentaux mais de condamner tout acte pénalement répréhensible commis par des auteurs.
Ce point d’équilibre subtil entre la protection de la liberté de conscience et la répression d’actes contraires aux lois et règlements a été atteint par la loi About-Picard sans compromettre l’esprit des textes fondateurs de notre République. La loi est venue renforcer l’arsenal législatif de l’État pour réprimer, non pas l’ensemble d’un mouvement, mais seulement sa manifestation déviante.
Les groupes sectaires ont pour certains des velléités de proposer une alternative à l’ordre républicain en créant un nouvel ordre, une société-bis, avec ses propres normes morales, sanitaires, éducatives, économiques.
Dans ces groupes sectaires, le leader garantit la protection des membres en contrepartie d’une totale obéissance, d’une soumission inconditionnelle. Il n’admet aucune opposition organisée et isole les membres du reste du monde. La doctrine n’est considérée que comme un stratagème pour aliéner les personnes, les vulnérabiliser physiquement et mentalement, les exploiter financièrement sexuellement mais également les priver de leur capacité de penser par eux même, d’agir par eux même, de décider par eux-mêmes, ce qui constitue une entrave grave à leur liberté. Ils sont alors conditionnés pour obéir aux ordres du leader avec à la clé, la promesse d’un monde meilleur, d’une utopie, d’un épanouissement personnel et spirituel. Ce conditionnement humain présenté comme une source d’émancipation et d’autonomie n’est en réalité que leurre et illusion. Les adeptes aveuglés pensent œuvrer pour un idéal. En réalité, ils œuvrent pour une dystopie.
- « Réseaux sociaux et nouvelles dérives sectaires dans l’océan numérique »[1]
Sur internet, chaque jour des milliards d’informations s’échangent, des milliards de personnes venus des quatre coins du monde, de tout horizon, de toute culture discutent, se forment, partagent. Internet devient alors une société-bis, une sorte de civilisation parallèle où les normes et les codes sociaux diffèrent de ce que nous avons connu jusqu’alors. Adultes, adolescents et enfants s’y côtoient mais également des personnages virtuels issus de l’intelligence artificielle tels que les « bots ». Les aspirations sont multiples : apprendre, se divertir, avoir des contacts sociaux, être populaire ou bien encore commettre des actes pénalement répréhensibles. Sur internet, adultes et adolescents sont potentiellement exposés au risque d’emprise mentale. Les groupes sectaires en quête de pouvoir et de notoriété exploitent les rêves des jeunes adolescents et des adultes.
De manière subtile et progressive et ce parfois dans un espace-temps de quelques jours seulement, les internautes se retrouvent dans une situation de dépendance exclusive, de servitude volontaire et de soumission aux désirs croissants du leader nourri par la foule grandissante d’adeptes-followers.
Pour résumer, l’emprise mentale est un peu comme la fable de la grenouille cuite[2]. Si une grenouille est plongée dans l’eau bouillante, immédiatement consciente du danger, elle saute. En revanche, si la température est montée progressivement, la grenouille ne prend pas conscience du danger et cuit à petit feu sans pouvoir se sauver. Il en va de même pour l’emprise mentale. Elle est progressive et le danger n’apparaît pas clairement à la victime.
La prévention et la lutte contre les dérives sectaires ce n’est pas seulement lutter contre toute menace à l’ordre républicain mais c’est également préserver ce que nous avons de plus précieux, la liberté de pensée.
Anne-Marie Courage, mai 2023
[1] AJ Pénal, Les nouvelles dérives sectaires, « Réseaux sociaux et nouvelles dérives sectaires dans l’océan numérique » Anne-Marie Courage, septembre 2021, p. 403
[2] Friedrich Goltz, « Expériences sur la sensibilité nerveuse », 1869