J’ai lu récemment un article sur LinkedIn, rédigé par Christian Travier, Directeur de Laval Technopole et ancien client, issu de la même école d’ingénieurs que moi. Et il m’a inspiré quelques réflexions sur des clés de l’innovation.
L’article parle de saut en hauteur. J’entends déjà des réflexions : « Mais ça n’a rien à voir avec les Fonctions Publiques ! ». Justement, tant mieux ! Car c’est en « allant voir ailleurs » que l’on innove, pas en continuant à creuser son puits : certes on améliorera mais on a peu de chances d’innover.
Alors : Jeux Olympiques de Mexico, 1968, finale du saut en hauteur. Un candidat intrigue, un américain, Dick Fosbury : il saute d’une manière radicalement différente des autres. Au lieu de sauter en rouleau ventral, il saute le dos à la barre ! J’imagine les réactions des spectateurs et téléspectateurs de l’époque : « Il est fou », « Mais c’est pas beau ! », « Est-ce autorisé, au moins ? ». Mais en fait, l’esthétique n’est pas un critère de jugement, et aucun règlement n’impose le rouleau ventral ! Attention aux « auto-contraintes » que l’on se fixe soi-même ! (C’est un de mes dadas !)
Et Dick Fosbury gagna le concours, et sa technique, le Fosbury Flop, est devenue le nouveau standard du saut en hauteur et a permis de battre de nouveaux records. Voilà une innovation réussie : une idée qui est devenue réalité.
Leçon 1 : l’innovation dépend de facteurs externes
Au début du 20ème siècle, la réception du saut en hauteur se fait sur de la terre battue, ce qui est une source de risque pour les sauteurs, et le règlement interdit donc de passer la tête en premier. Mais les techniques évoluent, la terre battue est remplacée par des copeaux de bois, puis par de la sciure, et enfin par de la mousse. La réception ne pose alors plus de problème de sécurité, et le règlement évolue, ouvrant la voie à d’autres techniques de saut. Encore fallait-il profiter de cette opportunité: c’est ce que Dick Fosbury a fait.
Donc, pour innover, il faut d’abord ouvrir les yeux, et être à l’affût des évolutions de la règlementation, de la technologie, des tendances, des besoins des citoyens usagers du service public. Certaines tendances pourront déplaire ? Attention alors, au réflexe qui consiste à dire : « Ça devrait être interdit » ! Ne rajoutons pas de nouveaux règlements à tous ceux qui existent déjà ! La vraie démarche d’innovation consiste à rechercher quel est le vrai besoin qui est en jeu, et, s’il est valide, à chercher des solutions différentes acceptables. Chercher le but, la finalité, le besoin, au lieu de se braquer sur la solution ! Encore un de mes dadas !
Leçon 2 : innovation n’est pas imitation
« L’homme crée, le singe imite » disait une publicité pour une marque de chicorée dans mon enfance.
Dick Fosbury n’était pas un athlète complet. Son seul atout était d’être grand. Il pratiquait le saut en ciseau, qui fut dépassé par le rouleau ventral que ses entraîneurs voulaient lui imposer, et les résultats furent catastrophiques. Alors, il n’a pas cherché à imiter ses concurrents, mais à revenir à ce qu’il savait faire et à le perfectionner. Cela lui a pris deux ans pour mettre au point sa technique de saut le dos à la barre. Son métier d’ingénieur en génie civil l’a bien aidé !
Donc, pour innover, ne pas chercher à imiter, mais développer ses propres caractéristiques et les perfectionner. Que le public cesse de vouloir copier le privé (« avec dix ans de retard », ai-je coutume de dire, en exagérant, bien sûr !) à tout prix (oui, le prix des consultants prestigieux !) ; le dit privé copiant les américains avec dix ans de retard (là aussi j’exagère !).
Et que dire du benchmarking ! « On va voir ce que font les autres » La belle affaire ! C’est comme cela qu’on devient suiveur au lieu d’être innovateur. En fait le benchmarking a été dévoyé : au départ il ne s’agissait pas de voir ce que faisaient les concurrents ou ceux qui ont des activités analogues, mais de s’inspirer des meilleures pratiques dans un domaine, même s’il est éloigné de celui dans lequel on évolue.
Leçon 3 : l’innovation est le fruit de l’indépendance d’esprit
Dick Fosbury a eu à supporter des oppositions, des sarcasmes, du scepticisme, … Mais il a tenu bon et il a osé remettre en cause le dogme du rouleau ventral qui était largement accepté. En résistant à la croyance en vigueur que le rouleau ventral était la meilleure technique, il a ouvert une nouvelle voie bien plus prometteuse.
Alors, on devrait toujours questionner les pratiques communément admises, qui ont pu devenir des dogmes. La question de base est « Pourquoi fait-on ainsi ? ». Mais j’obtiens souvent la réponse : « Parce qu’on a toujours fait comme ça ! ». Dans ce cas je dis : « Alors, vous faites comme papa » ! ce qui m’a valu quelques inimitiés ! D’ailleurs la vraie question devrait être « Pour quoi ? » en deux mots, c’est-à-dire « Dans quel but ? ».
Leçon 4 : l’innovation est la recherche de la simplicité
En fait le rouleau ventral est une technique très élaborée, difficile à maîtriser tant elle demande une grande synchronisation, alors que la technique de Fosbury est beaucoup plus fluide et naturelle, ce qui d’ailleurs lui a valu d’être immédiatement adoptée par des milliers de jeunes.
Les grandes innovations se caractérisent par leur très grande simplicité qui fait dire à tout le monde : « Mais comment n’y avons -nous pas pensé plus tôt ? »
Attention toutefois, il y a un piège dans cet article : il parle d’un homme seul, Dick Fosbury. Or l’innovation est rarement le fait d’une personne seule ; n’entretenons pas le mythe de l’innovateur seul, et seul contre tous ! En fait, comme tout athlète, Fosbury n’était pas seul, il était entouré d’une équipe (entraîneurs, soigneurs, …), et même s’il a dû parfois se battre, il n’aurait pas pu aboutir sans la participation des autres.
Paul-Hubert Des Mesnards
UPR Créativité
Galilée.sp