… Parfois belles et souvent tragiques, elles nous apprennent à exister
Où il est question de territoire, de république et de nation…
L’histoire de l‘Europe, au sein de laquelle la France s’est peu à peu construite, permet de constater qu’il y a eu un glissement entre la notion de territoire qui a fortement marqué le Moyen Âge et la notion d’appartenance à une « Nation ». C’est cette évolution qui a conduit à instaurer la République qualifiée « d’une et indivisible » mais fondée sur l’idée qu’une organisation de la société civile ne pouvait pas être harmonieuse sans dialogue entre les personnes représentatives des populations concernées. C’est ainsi que les révoltes de 1789 à 1793 et les règlements de compte entre girondins et montagnards ont conduit à mettre sur pied les premiers jalons d’une organisation nouvelle basée sur la notion de démocratie.
Même si ce mode de gouvernance est la résultante de multiples contradictions tant sur le devenir de la monarchie (puis de l’empire) que sur le passage par la dictature jacobine « parisienne », il constitue un tournant clé de notre histoire. C’est ainsi qu’évoluent peuples et nations au cours des siècles. Les notions de terroir et d’identité culturelle d’un territoire face aux technocraties des pouvoirs centraux ont toujours été source de polémiques, de révoltes plus ou moins graves selon le degré de respect des gouvernants à l’égard des personnes en tant qu’individus et des gens appartenant à une collectivité ou une communauté. Sans dialogue la tolérance qui est un des critères de nos libertés ne peut que s’étioler et, sans libertés fondamentales protégées par des règles nées d’élections libres (constitution), la vertu républicaine de fraternité devient vite illusoire. Quant à la notion d’égalité, elle s’apprécie au cas par cas et les démocraties sont encore loin d’avoir réussi ce challenge.
Pour illustrer l’évolution des peuples et des nations et mettre en évidence leurs racines profondes bousculées par des événements intérieurs et extérieurs plus ou moins brutaux, il suffit de regarder le déroulement des évènements entre le 13ème et le 15ème siècle.
Pour que ce coup d’œil soit le plus attractif possible et le plus réaliste au regard de faits avérés, j’ai retenu deux parcours atypiques de personnages à la fois très différents, imprévisibles, face à des modes de gouvernance complexes et le peuple dont le réveil dépend essentiellement de ses conditions de vie.
Le Chevalier Jacques de Molay
Le Chevalier Jacques de Molay qui est d’origine noble est né « entre 1244 et 1249 » dans le village de Molay en Franche-Comté. C’est le dernier grand maître de l’Ordre du Temple (qualifié aussi de milice « des pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon »). Il avait été admis dans l’Ordre au sein de la Commanderie de Beaune en 1265.
Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc est née le 6 janvier 1412 (date approximative « à deux ans près » selon les historiens) dans le petit village de Domrémy situé sur la route de Langres aux confins de la Lorraine et du Barois. Jeanne d’Arc est une jeune fille d’origine campagnarde qui ne savait ni lire ni écrire. Elle se retrouve propulsée au cœur d’une tragédie pour redonner sens au royaume de France.
Géopolitique du Moyen-Age
Près de deux siècles entre ces deux personnages ! Tous deux sont déclarés relapses (ou relaps) et condamnés au bûcher après des procédures tronquées. Ils sont victimes à la fois des turpitudes des érudits issus de l’Université de Paris (de Guillaume de Nogaret à l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon), des manigances des dignitaires ecclésiastiques, de la complexité des normes juridiques de l’époque et des conflits de compétence qui en résultaient, de la lâcheté de leurs protecteurs et aussi de la « raison d’État ».
La géopolitique de cette fin du Moyen Âge est tout aussi complexe que celle des temps modernes dans la mesures où le rattachement territorial dépendait souvent d’alliances, de mariages organisés, de successions et de privilèges accordés en récompense de services rendus. C’est une situation générale dans toute l’Europe. Ainsi le Saint-Empire romain germanique qui dura plus de sept siècles et qui est à l’origine de la création de la Suisse en 1291 est une confédération qui englobe un ensemble de territoires très diversifiés tant au niveau des langues romanes, germaniques, slaves que des religions catholiques et protestantes. Il préfigure une sorte de confédération d’une Europe des territoires ce qui est encore loin de la notion d’Europe des Nations.
Tout d’abord, l’occident chrétien s’est plus ou moins embourbé dans trois croisades car à compter du 8ème siècle après la reprise des territoires conquis par les musulmans (Espagne, sud de la France) le commerce s’est développé de façon régulière depuis les ports italiens (vénitiens, pisans, génois) ainsi que français et même allemands. Les Chrétiens d’occident en dépit de leurs divergences avaient vocation à assurer la protection des pèlerins qui se rendaient dans les lieux Saints du « royaume de Jérusalem » (qui correspond aux villes de Saint-Jean d’Acre, Beyrouth, Tyr, Saïda). La protection des pèlerins chrétiens et des populations du royaume de Jérusalem était assurée essentiellement par l’ordre militaire du Temple notamment dans la ville d’Acre réputée pour son rayonnement intellectuel et l’entente entre les communautés chrétiennes et juives. L’organisation civile était confiée à l’ordre des Hospitaliers connu sous le nom d’ordre de Saint Jean de Jérusalem.
Les musulmans y participaient via le commerce, l’artisanat et le marché. Les lieux saints avaient été, selon les périodes, occupés par des sultans (musulmans) ou des petits rois (chrétiens). Chaque domination chrétienne ou musulmane avait donné lieu à des massacres et des pillages. Après la troisième croisade dite des « trois rois » (l’empereur Frédéric Barberousse, le roi de France Philippe Auguste et le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion) la ville de St Jean d’Acre est reprise au Sultan d’Égypte Saladin.
Richard Cœur de Lion avait eu l’intelligence de négocier une trêve avec Saladin et le « roi de Chypre et de Jérusalem » mais elle ne sera que de courte durée car le sultan mamelouk qui avait conquis la ville de Tripoli le 28 avril 1289 décède le 6 décembre 1290 et son fils attend l’occasion de reprendre les hostilités.
Des pèlerins italiens refusent d’obéir à la trêve et massacrent les musulmans venus vendre leurs récoltes ainsi que tous les commerçants du bazar. Le responsable de l’Ordre du temple souhaite faire exécuter les criminels mais il n’est pas suivi par les autres membres du Conseil. La ville sera reprise par les musulmans. Sur les 35000 habitants 10 000 parviendront à se réfugier à Chypre. Les templiers de la Commanderie furent pendus. Il faut toujours se méfier des rancœurs et du tourisme de masse surtout quand celui-ci est la résultante d’un pèlerinage !
Jacques de Molay, le pape Clément V et Philippe le Bel
L’Ordre du Temple est à la fois religieux et militaire. Créé à l’initiative d’Hugues de Payns le 13 janvier 1129 par le concile de Troyes. Il est issu des croisades. Jacques de Molay est élu Grand Maître en 1293 à Chypre après la chute de la ville de Saint Jean d’Acre c’est à dire au moment où l’avenir de l’Ordre est menacé à un niveau international car il va dépendre de l’éventuelle décision d’engager une nouvelle croisade. Ce personnage est difficile à comprendre tant il apparaît comme une victime d’un destin implacable. L’histoire retient qu’il avoua très vite des reniements quasi hérétiques dans la procédure d’admission dans l’Ordre et qu’il mit sept ans avant de revenir sur ses aveux.
Le Grand Maître devait faire face aux ambitions de Philippe le Bel et aux hésitations du pape Clément V. Il cherchait à gagner du temps en comptant sur le pape pour sortir d’un coup monté par le roi et son légiste « Garde du Sceau » Guillaume de Nogaret. Il sollicitait donc une enquête pontificale en invoquant le caractère religieux de l’Ordre. Le pape la lui accorda le 24 août 1307 mais dans le cadre d’une procédure longue sur l’ensemble des Commanderies. Avec la complicité de son « nouveau » confesseur Guillaume de Paris qui était aussi dominicain et « Grand Inquisiteur de France », le roi en profita pour ordonner l’arrestation de tous les Templiers de France dès le vendredi 13 octobre 1307. Clément V, très conscient des projets du roi, redoutait pour sa propre sécurité et souhaitait trouver une échappatoire. Il décida simula une certaine neutralité dans la mesure où cette attitude pourrait épargner les Templiers des autres pays (Angleterre, Ecosse, Espagne, Allemagne, notamment).
Le pape résidait en France dans ses divers domaines (c’est son successeur, Jean XXII, ancien évêque d’Avignon qui installa le Saint-Siège dans cette ville). Sa grande faiblesse tenait aux avantages importants qu’il avait accordés à toute sa famille et à son entourage ce qui suscitait un doute sérieux sur son intégrité. Le roi voulait supprimer l’ordre du Temple et négocier les biens considérables qu’il détenait, le pape projetait une fusion entre templiers et hospitaliers pour consolider son autorité sur l’ensemble. Philippe le Bel que l’histoire considère hostile à l’Inquisition devait donc naviguer avec ruse et se servir du Grand Inquisiteur « au compte-gouttes » pour exploiter les subtilités d’un ensemble de règles juridiques essentiellement liées au droit canon de l’époque. Dans les deux cas le Temple en tant qu’ordre militaire disparaissait car il devenait politiquement, financièrement et militairement trop puissant d’autant qu’il rayonnait en Europe. Sa disparition concernera toutes les commanderies à travers le monde. En France, les templiers étaient impopulaires car c’est avec les fonds récoltés dans chaque commanderie qu’ils finançaient les actions menées en terre sainte. Ils organisaient aussi le circuit de certains placements secrets garants de leur autonomie, prélevaient une partie des profits de certains revenus des autres domaines ecclésiastiques alors que les paysans de France vivaient dans le dénuement. Le clergé local était aussi jaloux des templiers qui le privaient d’une partie des avantages de gestion des domaines ecclésiastiques. Le fait que le peuple soit ouvertement favorable aux décisions royales était un atout majeur pour Philippe le Bel.
La fin de l’Ordre du Temple
La Commission pontificale de décembre 1313 (jour exact incertain) entendit les quatre principaux dignitaires de l’Ordre qui confirmeront leurs aveux. La lecture de la sentence (emprisonnement à vie) devait être faite devant les condamnés le 19 mars 1314 sur le parvis de Notre-Dame de Paris. C’est à ce moment que deux d’entre eux dont Jacques de Molay clamèrent leur innocence. Jean-Favier dans son livre consacré à Philippe le Bel s’exprime ainsi « Molay n’était pas un naïf. Il savait ce que relaps voulait dire. Mais sept ans de prison l’avaient rendu indifférent à la souffrance, au désespoir. Non à l’honneur. Il comprit qu’à se taire par tactique après avoir avoué par faiblesse il serait le grand maître qui n’avait pas défendu le Temple… Devant les cardinaux et devant la foule, il dit alors ce qui était la pure vérité : l’ordre était « saint » donc innocent et son crime, à lui, Molay n’était que d’avoir trahi le Temple pour sauver sa vie. ».
Comme ils revenaient sur leurs aveux, il furent immédiatement remis à la justice du roi qui les condamna au bûcher dès le lendemain. A la tombée du soir, le grand maître « demanda qu’on le tournât, sur le bûcher, le visage vers les tours de Notre-Dame ». Avant de mourir quasi sereinement, il se contenta de dire « Dieu vengera notre mort »… La légende issue du roman « Les Rois Maudits » de Maurice Druon (1955), prétend que Molay aurait dit en citant le pape, le roi et son légiste : « avant un an, je vous cite à paraître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement… Soyez maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ». Aucun document, aucun témoignage ne confirme cette allégation qui ne correspond donc pas à une vérité historique…
Presque partout en Europe les biens de l’ordre du Temple ont été confiés à l’ordre des Hospitaliers sauf en Europe centrale où ils ont été répartis entre l’ordre des Hospitaliers et l’ordre Teutonique en fonction des territoires concernés. Les archives secrètes du Vatican relatives aux actes du procès des Templiers ont été rendues publiques en 2007. On sait donc avec certitude que le pape Clément V avait absout Jacques de Molay…
Jeanne d’Arc, « la gamine venue de nulle part »…
 la naissance de Jeanne d’Arc, 168 ans après celle de Jacques de Molay, la situation n’est guère plus enviable. Nous sommes au summum de la haine entre « Armagnacs » fidèles au roi de France et « Bourguignons » résolument favorables aux Anglais. Il s’agit donc d’une véritable guerre civile qui durera 27 ans de 1407 à 1435 et ce en pleine guerre de 100 ans ! Il est difficile de trouver pire situation cumulant dangers extérieurs et drames internes. Le commerce entre l’Angleterre, la Bourgogne et l’Aquitaine était florissant et les chances du faible dauphin d’être en capacité de retourner la situation paraissaient quasiment nulles. Comment dès lors imaginer qu’une gamine venue de nulle part puisse bouleverser ce déplorable état des lieux et gagner une incroyable popularité quasi pérenne au point que l’État du début du 20ème siècle, en pleine période d’anticléricalisme, la revendiquera comme « appartenant à la République ».
Cent ans ou 3 siècles ?
La guerre de Cent Ans correspond en réalité à trois siècles de perturbations relatives aux règles contestées de dévolution de la couronne royale via l’hérédité masculine (loi Salique). A la mort sans descendant masculin du dernier capétien Charles IV le Bel en février 1328, Édouard III roi d’Angleterre, neveu du roi de France et fils d’Isabelle de France sœur du roi, revendique la couronne de France. C’est le point de départ de la guerre de Cent Ans. Les légistes du roi de France opposèrent pour la première fois une des règles de la loi Salique selon laquelle les femmes et leurs descendants sont exclus de la succession de la terre de leurs ancêtres. Mais cela ne garantissait pas l’avenir. Les légistes du futur Charles VII vont faire en sorte de mieux protéger le royaume en déclarant nulles les dispositions du traité de Troyes de 1420 qui promettait la couronne de France au roi d’Angleterre à la mort de Charles VI. Ils invoquent le principe de l’indisponibilité de la couronne : le roi n’est pas propriétaire de son royaume. Il ne peut donc en disposer à sa guise. Ce principe moderne de droit constitutionnel a pris corps avec l’épopée johannique car, sous la monarchie, « c’est le sacre qui fait le roi ». On assiste donc pour la première fois à la revendication de la souveraineté de l’État-Nation. Entre la naissance de Jeanne d’Arc et le sacre du roi à Reims le 16 juillet 1429, la couronne de France était passée d’une dramatique fragilité à un affermissement définitif mettant fin aux ambitions « étrangères » liées aux règles de succession.
Jeanne d’Arc et sa famille
La châtellerie de Domrémy restait acquise au dauphin grâce à l’action du capitaine de Vaucouleurs Robert de Baudricourt et, selon Jean Favier, il s’agissait d’un « îlot de fidélité comme tant d’autres ». Jeanne était la fille d’Isabelle Romée et de Jacques d’Arc qui était le Doyen du village, poste qui lui conférait la qualité de collecteur d’impôts et la responsabilité d’organiser la défense du village. Il disposait d’une exploitation assez importante pour l’époque (une vingtaine d’hectares). Bien que modeste, cette famille ne vivait pas sous la dépendance de notables et disposait donc d’une certaine liberté d’organisation. Domrémy situé sur la route de Langres à Verdun reliant les états du duc de Bourgogne était un lieu de passage important qui permettait de recueillir des nouvelles du royaume et d’accueillir des visiteurs. Les nombreux historiens de métier qui ont travaillé sur l’épopée johannique n’ont pas signalé d’implication de Jacques d’Arc pour soutenir, dès l’origine, le projet d’intervention de sa fille dans la destinée du royaume. On peut néanmoins supposer qu’il y a sans doute contribué puisque deux frères de Jeanne, Pierre et Jean, l’ont accompagnée au combat. Il sera présent au sacre de Charles VII. Celui-ci anoblit la famille le 29 décembre 1429 (enregistrement par la chambre des comptes le 20 janvier 1430). Mystérieuse ou non, une telle aventure n’est possible que si une logistique l’accompagne. Pour parvenir à réunir les grands « capitaines » trois conditions étaient indispensables : en premier lieu, donner la priorité à une rencontre avec le dauphin pour le convaincre de sa légitimité ; en second lieu, obtenir son implication et par voie de conséquence les moyens nécessaires pour constituer une armée ; enfin, tout mettre en œuvre pour le sacre du roi à Reims.
Isabelle Romée, mère de Jeanne, mérite une attention particulière. Lorsque Jeanne est reçue à Chinon, sa mère est en pèlerinage au Puy accompagnée par des personnes qui avaient contribué à conduire Jeanne auprès du roi. Elle connaissait le moine Jean Pasquerel qu’elle présenta à Jeanne à son retour du Puy. Il devint son confesseur et la suivit jusqu’à Compiègne. Colette de Corbie née le 13 janvier 1381, devenue religieuse de l’ordre des bénédictines, protégée du pape Benoît XIII, a parcouru tout le territoire, fondé des couvents, établi des fraternités tertiaires. Selon Péguy (qui n’est pas un historien), elle s’est arrêtée plusieurs fois à Domrémy. A supposer que ce soit vrai, cela expliquerait qu’Isabelle Romée ait favorisé l’accueil de Jeanne et de ses compagnons d’armes via les relais franciscains de Colette de Corbie. L’influence des franciscains est établie par les historiens en ce qui concerne la « maison d’Anjou ». Yolande d’Aragon, veuve du roi de Naples, Louis II d’Anjou, est devenue belle-mère du dauphin lorsque sa fille Marie d’Anjou l’épousa en 1422. Jean Favier la décrit sans complaisance comme « l’âme forte de l’agitation politique du moment jouant habilement sur les rivalités des uns et des autres et parfois dépassée par ses propres manœuvres ». Régine Pernoud admet que la reine Yolande « selon les dires du Duc d’Alençon », a financé l’essentiel des renforts rassemblés autour de Blois pour secourir Orléans assiégée par les Anglais. L’objectivité m’oblige à souligner que Régine Pernoud qui a écrit plusieurs ouvrages historiques sur Jeanne d’Arc et notamment « Jeanne devant les Cauchons » se refuse d’aller au-delà des faits établis or, rien ne permet de dire que « la mission de Jeanne devient une commission à elle confiée par la reine de Sicile ».
Le rôle d’Isabelle Romée se poursuit au-delà du supplice de sa fille sur le bûcher à Rouen. Elle se démène pour obtenir du pape la révision du procès de sa fille victime « de gens envieux » et condamnée « iniquement ». Elle aura même la consolation d’assister, très entourée, à la séance solennelle de réhabilitation le 7 juillet 1456. Régine Pernoud ajoute que les registres de comptes de la ville d’Orléans établissent que de 1441 jusqu’à sa mort en 1458, elle fut « hébergée et prise en charge par les bourgeois d’Orléans ». Au Château de Chinon, Jeanne rencontrera le dauphin à deux reprises : le 25 février 1429 pour lui faire part en secret de sa « mission » et sans doute pour le rassurer sur sa légitimité en tant que fils légitime de Charles VI dit « le fol » puis après son retour de Poitiers vers la fin mars 1429. Elle s’inquiétait des lenteurs du dauphin et de son entourage pour se décider à agir en prédisant « je durerai un an, guère plus ». Orléans sera libérée le 8 mai 1429. Jeanne poursuit son épopée jusqu’à Reims. Le roi sera sacré dans la cathédrale Notre Dame de Reims en présence de Jeanne d’Arc le 17 Juillet 1429.
De Compiègne à Rouen
Elle aurait dû s’arrêter là puisque son but était d’aboutir au sacre du roi. Une partie non négligeable de ses compagnons d’armes l’avait abandonnée, considérant que la mission avait été accomplie. Elle a voulu poursuivre son aventure au lieu de laisser les politiques décider de la suite et du calendrier des opérations. Alors qu’elle se recueillait dans l’église St Jacques à Compiègne, elle se mit à pleurer en disant à son entourage : « mes bons amis, mes chers petits enfants, on m’a vendue et trahie » (E. Bourassin). C’est en tentant de libérer Paris qu’elle est victime des Bourguignons qui s’empressèrent de la vendre aux Anglais pour « 10 000 livres tournois » avec la complicité de Pierre Cauchon évêque de Beauvais et ancien dignitaire de l’Université de Paris. Celui-ci « était venu, dès les premières heures de la capture, faire des offres de la part du régent Bedford… Charles VII ne tenta même pas de s’introduire dans la négociation… Au vrai, le droit des armes laissait au vainqueur la faculté de proposer le choix entre la captivité et la rançon mais les Anglais allaient s’employer à faire d’elle autre chose : une coupable » (Jean Favier). Faite prisonnière à Compiègne dans le diocèse de Beauvais, Jeanne que l’on voulait juger comme hérétique était justiciable de l’évêque de cette ville. Celui-ci était en fait en fuite à Rouen car Beauvais avait été reprise par l’armée de Charles VII.
L’évêque Cauchon
L’Université de Paris disposait des meilleurs théologiens pour déférer les coupables d’hérésie devant l’Inquisition. Les Anglais exigèrent que Jeanne soit jugée à Rouen et que son juge soit Pierre Cauchon. Ce dernier s’entoura d’assesseurs parmi lesquels de nombreux membres de l’Université de Paris. Cet ancien maître de l’Université de Paris, docteur en théologie, va s’acharner avec une haine incroyable à détruire Jeanne qui lui résiste avec beaucoup de simplicité et d’intelligence. Le représentant de l’Inquisition pontificale était le dominicain Jean Le Maître, personnage sérieux qui constitua son propre ministère public et fit faire une enquête qui dura un mois avec des témoignages sur l’enfance de Jeanne, son comportement avec sa famille, les chefs de guerre, les soldats des deux camps et les populations. Tous les témoignages sans exception étaient favorables à Jeanne. Pierre Cauchon furieux détruisit tous les rapports de cette enquête sans en aviser les juges qui composaient le tribunal. Jeanne comparut devant ses juges à compter du 27 mars 1431. Les truquages et machinations de toutes sortes ont étayé ce procès au point d’obtenir la « soumission » de Jeanne quasi épuisée, considérée comme une abjuration. Â peine trois jours après, elle est revenue sur cette soumission et fut aussitôt déclarée « relapse en son hérésie ». Les documents du procès et les répliques de Jeanne prouvent sa bonne foi et son sens de la grandeur de la cause qu’elle défend. Ils contribuent largement à comprendre que la procédure était inique. Sur 27 juges, un seul (qui était juriste) ne vota pas la mort… Emprisonnée le 23 mai 1430, jugée à Rouen à compter du 9 janvier 1431, Jeanne meurt le 30 mai 1431. En montant sur le bûcher, Jeanne apostropha l’évêque Cauchon son « ennemi capital » en ces termes : « si vous m’eussiez mise en prison d’Église et rendue entre les mains des concierges ecclésiastiques compétents et convenables, cela ne fût pas advenu : c’est pourquoi j’en appelle de vous devant Dieu ». C’est pathétique, beau et vrai.
Une héroïne française
Si l’Église a réhabilité Jeanne rapidement en 1456, elle s’est bien gardée d’aller au-delà au point de donner l’impression que la béatification de 1er janvier 1909 et la canonisation du 16 mai 1920 (près de 5 siècles après sa mort) relèvent d’une interférence dans la politique politicienne du début du 20ème siècle. Que Jeanne soit une sainte ou non n’a aucune incidence sur le fait avéré qu’elle est une héroïne française qui s’est battue pour son pays et qu’elle a fait acte de « résistance ». Elle mérite la reconnaissance de la Nation et son souvenir appartient à tout le monde et non à des clans. Sa renommée est mondiale et même nos amis anglais l’admirent aujourd’hui.
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Une petite note d’humour pour conclure avec un sourire. Si vous pensez en lisant ces quelques pages que Philippe le Bel, Guillaume De Nogaret et Pierre Cauchon sortaient de l’ENA vous êtes dans l’erreur !
Notre passé éclaire seulement notre présent.
Jean-Marie Rossinot
Galilée.sp