Petit déjeuner Jean-Claude DELGENES,
Fondateur et Directeur général de Technologia, enseignant à l’université Paris-Dauphine
« Les risques psychosociaux : y a-t-il des spécificités dans la fonction publique ? »
Nous vivons dans une période de transition comme en atteste le dernier rapport de la Cour des Comptes qui montre le coût des pathologies psychiques principalement liées au travail.
De quoi parle-t-on quand on parle de risques psycho-sociaux que l’on appelle le plus souvent RPS ?
Dès 1995 chez Technologia nous avons eu à traiter ces RPS. Au cours de nos missions depuis cette date, nous avons commencé en effet à rencontrer des gens qui pleuraient dans nos bras. Ces salariés éprouvés nous disaient « nous n’en pouvons plus ! ». Ce phénomène était nouveau pour les équipes de prévention du cabinet crée en 1989.
A partir de 1997, nous avons vu aussi apparaitre les drames suicidaires avec recherche d’imputation professionnelle. L’aggravation des situations de travail s’est poursuivie et a culminé avec des crises qui ont eu un lourd retentissement médiatique y compris au plan international : les suicides au Technocentre de RENAULT, puis la crise des suicides « en grappe » chez France Telecom suivie de celle à la Poste ont largement marqué les esprits.
Les équipes de Technologia qui ont travaillé à mes côtés, sur ces dossiers et sur environ 90 crises suicidaires à dominante professionnelle, ont apprécié l’approfondissement manifeste de la crise humaine et sociale dans notre pays. On voit bien que ces problématiques ne peuvent pas être réduites à un simple climat de « victimologie » ou les français seraient toujours en train de se plaindre. Bien sûr la situation économique et sociale pèse sur ces phénomènes. La montée de la précarité avec un chômage de masse et de longue durée, des transports urbains souvent saturés , vétustes et passablement désorganisés, le nombre insuffisant de logements proches des lieux de travail, le reflux de la convivialité sociale, le développement d’un consumérisme débridé si ce n’est celui d’un individualisme exacerbé font que les liens sociaux sont en jachère. C’est dans ce contexte peu porteur qu’il faut situer l’apparition de ces RPS et de leur forme la plus dramatique : les suicides. Les risques psycho sociaux sont avant tout symptomatiques des nouvelles formes de travail en cela ils touchent aussi la Fonction Publique, mais attention ils ne peuvent se réduire essentiellement à des facteurs internes. Les RPS résultent peu ou prou de la combinaison de l’ensemble de ces facteurs internes et externes auxquels il faut ajouter l’accélération des rythmes dans notre société avec l’émergence des nouvelles technologies de l’information. Ce contexte retracé rapidement permet d’apprécier la complexité dans la définition précise du terme risques psycho sociaux.
Mais avant tout il faut savoir de quoi on parle. Les mots ont leur importance dans ces disciplines peut être plus que dans d’autres.
Qu’est-ce qu’un risque ? Le risque n’est pas le danger même si souvent les définitions les réduisent au rang d’homonyme. Prenons un exemple l’électricité est une source d’énergie qui est potentiellement aussi une grande source de danger, porteuse de préjudices potentiels pour les êtres humains : l’électrisation ou encore l’électrocution. Le risque peut se définir comme la probabilité pour un individu d’être exposé à un danger et en conséquence de subir un préjudice. Si on reprend notre exemple. Le risque sera très différent pour deux agents d’EDF en situation d’intervention. Le premier appelé à travailler dans des nacelles en hauteur sur des lignes à haute tension, est exposé à un risque très élevé, le second qui œuvre à de simples modalités de contrôle dans la camionnette en supervision à un risque quasi nul.
En bref, le terme RPS nous dit donc qu’une source de danger peut être présente au sein de la structure professionnelle que celle-ci soit privée ou publique et peut le cas échéant exposer à un risque les individus au cours de leur travail.
Les sources de danger en cela renvoie au management, aux conditions d’exercice de l’activité et donc à des situations concrètes de travail. Sémantiquement le terme RPS doit donc être envisagé non pas simplement sous le seul angle médical de la prise en charge mais également sous l’angle de l’organisation du travail donc de l’a prévention.
C’est tout le sens d’ailleurs de la loi de décembre 1991, qui prévoit l’obligation pour l’employeur d’évaluer les risques professionnels afin de mettre en place une prévention active afin de ne pas exposer la santé ou la sécurité des salariés. Cette loi est la transcription de plusieurs directives européennes. Elle constitue le socle de référence en matière d’évaluation et de prévention des risques professionnels.
Cependant le 21 septembre 2001, le terrible accident d’AZF à Toulouse a mis en évidence le fait que cette obligation d’évaluation des risques et de prévention était mal respectée par les employeurs. Le bilan officiel de cet accident fait état de 31 morts dont 21 employés sur le site et 2500 blesses auxquels il faut ajouter de lourds dégâts matériels. L’origine de cette explosion était chimique –explosion d’un stock de nitrate d’ammonium- comme l’a démontré notre ami et collègue au sein de Technologia François BARAT docteur en chimie, ancien ingénieur de la caisse régionale de l’assurance maladie d’aquitaine, retenu en tant qu’expert judiciaire sur ce dossier. Aussi dès le 5 novembre 2001, le ministère du Travail a publié un décret complétant la loi de 1991 et instaurant un dispositif de sanction pénale, absent de la loi, pour contraindre les entreprises à une mise en conformité. Ce décret a ainsi imposé à tous les employeurs la réalisation d’une évaluation sérieuse des risques professionnels retranscrite sur un support « unique » dit Document Unique afin d’engager des plans de prévention efficaces.
Le décret du 5 novembre 2001 sur le document unique, DU, étant sibyllin, le Ministère du travail a alors précisé dans un second texte, une circulaire, la démarche qu’il convenait de mettre en œuvre pour l’évaluation des risques professionnels. Ce second texte disons-le clairement est essentiel. Pour la première fois le ministère du Travail précise l’ensemble de la méthode d’analyse dans sa circulaire N°6 DRT du 18 avril 2002- la direction générale du travail (DGT) pour la première fois encore inclut dans l’évaluation des risques, les risques liés à l’organisation du travail et au management c’est-à-dire les Risques Psycho sociaux. C’est la première fois que ce terme est utilisé. Il va connaitre un succès foudroyant dans le contexte décrit plus haut. C’est pourtant un terme ambigu dont les contours sont mal définis néanmoins, il cristallise un certain nombre d’attentes y compris dans la Fonction Publique qui tend à combler son retard en matière de prévention.
RPS : le lien entre le travail et la santé
Le travail est un facteur de lien social. Il est essentiel pour la santé d’un individu.
Pour l’être humain, le travail ne se résume pas simplement à une subordination consentie. A une sujétion acceptée. Bien au-delà de la rémunération qu’il procure, c’est la possibilité de se construire au quotidien avec les autres qui est en jeu. C’est la possibilité de se doter d’une identité professionnelle. D’exercer sa créativité. Aussi il convient de comprendre que les troubles psycho-sociaux frappent d’avantage et de manière plus forte, les personnes en situation de précarité, sans activité professionnelle. On estime ainsi selon certaines données européennes – les données statistiques manquent encore en France à ce sujet- que le risque suicidaire frappe deux fois plus les gens en précarité que les gens en activité.
Une question apparait donc essentielle dans sa centralité : Si le travail reste protecteur pourquoi protège-t-il moins qu’auparavant ? Pourquoi permet-il moins à l’individu de se développer ?
Pour résoudre cette équation, il faut approfondir et disséquer les conditions d’exercice de l’activité pour définir quand le travail altère la santé. Quand la situation professionnelle devient pathogène pour l’individu.
La santé est un terme dont il est clair qu’il est ambigu, la santé et recoupe des acceptions différentes par exemple chez les chinois et les européens.
Néanmoins on peut se référer à la définition de la santé adopté après-guerre par 66 états dans le cadre de l’organisation mondiale de la sante. La sante doit être considérée comme « Un état de complet bien être, physique, mental, et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ( OMS : conférence Internationale sur la santé 19 – 22 juin 1946 à New York.
On peut donc d’après cette approche définir le travail « sain » lorsqu’il permet de recevoir une récompense équitable, une reconnaissance adaptée et le respect qui va avec, mais aussi un bon soutien dans l’activité de la part de la hiérarchie ou des collègues. De même le travail sain suppose d’obtenir une certaine autonomie qui ne doit pas être confondue avec de l’abandon, en cela il favorise l’expression de la créativité de l’individu qui peut mobiliser ses potentialités, il doit avoir du sens. En bref lorsque l’individu est employé avec humanité pour ses compétences et non au-delà de ses compétences et qu’il ne subit pas d’exigences professionnelles démesurées le travail peut être considéré comme sain.
Ce qui pose problème en bref c’est le travail subi.
Approche socio historique – l’école de Chicago bouleverse la relation de l’homme au travail
Dans cette relation de l’individu au travail, la fin des années 1980 marque le triomphe de l’école néo libérale de Chicago et provoque une césure historique et technologique importante dans la relation de l’homme au travail.
L’écroulement du mur de Berlin signe la fin d’un monde bi polaire. Il est clair pour tous et désormais pour ceux qui y croyaient encore -que le système Stalinien n’est pas une alternative. Cet écroulement du modèle Soviétique était prévisible depuis les premières insurrections des salaries dans les pays de l’est. Que l’on se souvienne de la révolte en HONGRIE en 1956, écrasée par les chars du Kremlin ou encore du printemps de PRAGUE en 1968, ou plus proche de nous les soulèvements dans les ports de la Baltique en Pologne dans les années 1970 71 puis à nouveau en 1980 avec Lech WALESA mais surtout selon moi Anna WALENTYNOWICZ fondatrice de Solidarnosc (décédée dans le crash de l’avion présidentiel polonais le 10 avril 2010 à Smolensk).
Le triomphe du système de marché va encourager la progression sans limite du néo libéralisme. L’entreprise est dans ce courant animé par Milton FRIEDMAN conçue comme étant un simple et pur actif financier qui doit avant tout dégager une rentabilité élevée pour ses propriétaires. Cette conception impacte fortement la gouvernance des entreprises axée sur le court terme et l’optimisation des processus de production. La course à la performance conduit à repenser les modalités de contrôle et d’animation des collectifs de travail. La gestion coure après le travail : reportings incessants , direction par objectif, évaluation des performances en fonction des objectifs… L’organisation du travail , le management sont tendus dans une logique unique qui est celle du profit maximum à verser sous forme de dividende aux actionnaires, se mette en place des méthodes en cascade destinées à développer la performance coûte que coûte. Les financiers prennent la main sur l’actionnariat et la direction de l’entreprise.
Un dirigeant d’un grande entreprise me disait dernièrement qu’il passait auparavant , il y a 15 ans , 25% de son temps avec les représentants financiers et 25% avec les représentants du personnel. Le reste de son temps réservé à la conduite de son entreprise. Aujourd’hui, c’est quasiment 100% du temps passé avec les représentants financiers.
Vingt ans avant l’écroulement du mur de Berlin et la liberté enfin retrouvée à CHECK POINT CHARLIE, l’année 1971 marque aussi un tournant essentiel sur le plan des technologies. La mutation va ouvrir la encore une ère nouvelle, cette évolution viendra conforter la puissance et la maitrise des financiers vingt ans plus tard.
L’émergence des Nouvelles technologies de la communication commence avec le réseau Arpanet initié par l’armée américaine et renforcé par quatre universités qui ont groupé leurs ordinateurs en réseau. L’intention prioritaire des gradés de l’armée était alors de protéger leurs informations en les décentralisant pour faire face en cas d’attaque nucléaire. Celle des scientifiques était au contraire de créer une bibliothèque d’échanges planétaire incensurables et accessibles à tous. Cette même année voit la naissance à Palo Alto du premier microordinateur ancêtre de nos Mac cube qui suivront quelques années plus tard. La première imprimante laser voit aussi le jour chez Xerox lors de ces mêmes mois prolifiques. Il faudra attendre les années 1994 et 1995 pour que le net avec la génération des capteurs et des commutateurs conquière la planète entière et permette la circulation accélérée de toutes les données au niveau mondial. Dès lors une évidence cruelle apparait. Le capital réduit aisément a des données financières peut librement circuler au niveau mondial mais le travail quant à lui demeure accroché au sol. Cette déconnexion va permettre désormais aux investisseurs de réaliser des comparaisons de rendement et de mettre en concurrence les pays et leurs peuples. Cette poursuite du processus a même été poussée à son extrême avec la mise en place du trading haute fréquence. En bref des ordinateurs traquent des micros écarts entre les valeurs, les taux de change etc pour en tirer profit. A souligner : cette déconnexion du capital et du travail va participer à l’émergence d’une spéculation financière effrénée qui échappe à l’économie réelle avec pour corollaires des bulles financières ravageuses quand elles explosent.
Cette évolution de la mondialisation a touché plus fortement certains pays que d’autres. La France a été quant à elle particulièrement impactée, elle l’est d’autant plus, à l’heure actuelle que 35 à 40 000 jeunes bien formés quittent le sol natal. Ce phénomène constitue une inquiétude supplémentaire pour l’avenir de notre pays.
Le succès foudroyant des technologies aboutit à une accélération sans précédent sur le plan historique du temps et des rythmes individuels et collectifs. Cette évolution confère aussi une vision de l’activité rétrécie. Auparavant, il existait dans l’espace-temps de chaque individu des temps sociaux qui se chevauchaient peu. L’articulation des temps sociaux assez harmonieuse pendant des dizaines d’années, qui permettait à l’individu de se caler dans sa vie privée et sa vie professionnelle de manière récurrente a été bousculée par les impératifs de travail, des exigences professionnelles parfois démesurées et la course à la performance que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé.
Selon une étude de l’INSEE publiée en 2003 les cadres travaillaient régulièrement de 20h à 24h. Technologia a repris cette question dans une grosse étude « Vie Privée Vie professionnelle » l’an passé, en dix ans, le travail des cadres a connu une nette intensification puisque plus de 1 sur 2 travaille désormais régulièrement le soir chez eux de 20h à 24h. Ou encore le week-end. De plus seuls 23 % décrochent réellement en vacances. Dans la même étude environ 1 jeune professionnel sur 3 de moins de 30 ans, et en poste de travail déclarait devoir être disponible à 100 % de son temps pour son employeur. On mesure à ces quelques indicateurs qui valent aussi pour le public, la toute-puissance du travail dans nos vies.
Cette intensité nouvelle, résulte le plus souvent d’une exigence professionnelle trop importante qui aboutit pour pouvoir être traitée à des transferts de charge de travail vers la sphère privée permis par les nouvelles technologies. Ce débat n’épargne pas la fonction publique. L’articulation ancestrale des temps sociaux tend ainsi à déboucher sur l’enchevêtrement des activités.
Dans le secteur public l’école de Chicago a donné naissance à ce qu’il est convenu d’appeler « Le New public management »
Ce courant se caractérise par :
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Une nouvelle forme de Taylorisme avec une déconnection entre les acteurs qui décident, ceux qui pilotent, ceux qui contrôlent et ceux qui exécutent ;
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La mise en place d’une direction par objectif : on fixe des objectifs on définit des contrats d’objectifs et de performance (COP) ;
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Le contournement de la hiérarchie avec la création d’agences spécialisées ;
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Le renforcement de la proximité entre hiérarchie et production : la hiérarchie est présente auprès des centres de production.
Pour aborder la question de ces risques psychosociaux dans la fonction publique, Il est là encore nécessaire de distinguer la manifestation et les causes de ces RPS.
Les manifestations chez les personnes sont de divers ordres
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Somatique : troubles oculaires, cardiovasculaires, hypertension, gastriques infarctus …
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Neurologique : troubles de la concentration, agitation, agressivité …
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Comportemental : violence tournée vers les autres ou vers soi-même, suicides, tentatives de suicides, addictions alcool, tabagisme, canabis, prise de médicaments …
Ces troubles peuvent bien entendu se combiner pour se renforcer. Exemple un être humain qui s’adonne à la boisson peut verser dans la violence plus aisément.
Les principales causes de RPS dans la fonction publique.
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L’emploi – incertitude sur l’emploi – On associe généralement la sécurité de l’emploi au statut de la fonction publique. Cette association est de facto très restrictive en effet, 800 000 contractuels sont en poste actuellement dans la fonction publique et peuvent voir interrompre leur activité. Cette insécurité est angoissante pour les personnels d’autant que notre pays compte un chômage de masse et de longue durée. La perte de l’emploi conduit bien entendu à la perte de la rémunération mais aussi à une perte d’un lien social et d’un rôle socle d’identité
Les suicides à La Poste : l’entreprise perd chaque année 5% de son marché. Elle doit se restructurer sans cesse, avec une chaine de commandement très peu formée à l’animation et aux techniques de management…
Aujourd’hui l’angoisse doit étreindre une partie des agents de la fonction publique territoriale avec les annonces sur la réforme de l’Etat – sans aucune explication – du sort réservé aux agents.
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Une exigence professionnelle démesurée tant sur le plan quantitatif que qualitatif – quand l’individu est obligé de travailler de manière continue de manière trop soutenue sur une période assez longue- peut exposer à un risque d’épuisement professionnel. Cet épuisement professionnel touche le plus souvent des personnes qui ont une exigence professionnelle forte. Le travail excessif imposé par le cadre professionnel peut alors se combiner avec le travail dit compulsif. Par travail compulsif il faut entendre le fait que des individus considèrent qu’ils ne pensent pas ne pas travailler beaucoup. L’origine de cette compulsion se niche souvent dans la précarité vécue directement ou par l’intermédiaire d’une personne tiers. Les marges de manœuvre pour se soustraire à la charge de travail sont alors réduites. Le danger du travail compulsif quand on travaille énormément, vient aussi de l’absence de connaissance sur ses propres limites, on peut alors s’exposer à un risque réel : Infarctus, AVC etc. mais je tiens à le souligner le travail compulsif est souvent la résultante d’une précarité passée intériorisée. Les personnes souffrant de travail compulsif considèrent qu’elles sont obligées de travailler de peur de régresser socialement ou d’être déclassées. Quand on travaille trop, on perd du discernement, de la distance, on commet des erreurs plus nombreuses, on manque d’imagination créatrice, on ne se renouvelle pas, on s’appauvrit au fil du temps. Ceux qui travaillent beaucoup ne sont pas forcément plus productif, la créativité s’estompe, l’état de fatigue ne permet pas d’être pertinent. Une personne dotée d’une exigence professionnelle a tendance alors à ajouter de l’activité pour compenser cette perte d’efficience. Elle entre alors dans une spirale infernale.
Ce phénomène n’est pas propre à la France qui compte d’après l’étude rendue publique par Technologia en 2014 environ 12,6% des actifs exposés à un risque élevé de Burn Out. Soit un peu plus de 3 millions de personnes. Au Canada s’ouvrent actuellement des cliniques spécialisées pour l’accueil de gens en burn out. De même une étude récente de l’assurance maladie a montré, cela participe à la déconstruction d’un stéréotype ancré, qu’en Allemagne il y a plus de burn out qu’en France. La Belgique se situant d’après diverses études au même niveau.
L’épuisement professionnel se caractérise par 4 phases
Tout d’abord c’est l’engagement heureux – on s’intègre et on travaille de manière continue et répétée. ON ne compte pas ses heures. On fait le maximum pour réussir. On mobilise des émotions positives. A ce stade pas de réelle inquiétude mais il faut malgré tout apprendre à se connaitre.
Ensuite survient la phase de sur-engagement – Le travail tend à évacuer toutes les autres activités. Il envahit la vie privée. Il réduit la vie sociale à la portion congrue. L’être humain engagé fortement dans son travail commence à sentir la toute-puissance de ce dictat. La vie privée et familiale trinquent. L’individu s’isole, ne voit plus que le travail ; cela a des conséquences sur la priorité des valeurs qu’il se donne. L’entourage a les plus grandes difficultés à vivre aux cotes de ces forçats qui aiment tant leur prison. Il leur faut faire pourtant attention, bien apprécier les retombées en reconnaissance et les marges d’autonomie dont ils bénéficient -ou pas-. Travailler beaucoup sur une période raisonnable pourquoi pas ! A la condition que le jeu en vaille les sacrifices consentis et que la mobilisation des émotions positives perdure. Lorsque être au travail rime avec jouissance d’une autonomie et accomplissement d’une destinée professionnelle, alors il y a moins de problème. C’est loin d’être toujours le cas et la pression peut conduire à franchir les limites du raisonnable et à exposer la santé de la personne.
La troisième phase après celle du sur-engagement est celle de l’acharnement frénétique.
A ce stade l’individu est en réel danger, même s’il ne le sait pas car il aura refoulé toutes les alertes et les signes que son corps lui aura adressés dans les phases précédentes. Il ne parvient plus à mobiliser d’émotions positives. Le travail lui impose un rythme qu’il ne tient qu’en raison d’un mode frénétique et mécanique. La fatigue accumulée est devenue chronique. La personne vit en mode robot ; elle fait taire son organisme – addictions à l’alcool ou aux substances médicamenteuses – qui trop sollicité tend à la révolte, c’est la phase des angoisses qui accompagnent la fatigue chronique. Si la personne commence à perdre pied dans son travail, elle est moins efficace, moins créative, la tendance est alors de compenser par un surcroît d’activité.
Il est aussi à souligner que la perte d’efficacité s’accompagne souvent de la part de la hiérarchie ou des collègues d’un recul voire d’un retrait de la reconnaissance obtenue suite au sur engagement. Cette évolution est très couteuse pour l’être très investi au travail et qui recherche un idéal de réalisation pour étayer sa personnalité. Elle peut être ressentie comme une trahison, une injustice, et laisser la personne en grand désarroi. Elle peut conduire aussi à aggraver significativement son mal être par une déconsidération de sa propre personnalité. Dans l’état de fatigue ou il se trouve , il ne sait plus très bien s’il peut avoir confiance en ses capacités. Il doute de lui, il ne sait plus bien faire la part des choses sur le plan professionnel, il perd ses repères. A ce moment de fatigue et de déconsidération, s’il rencontre un obstacle qu’il juge insurmontable il peut alors être susceptible d’un passage à l’acte suicidaire.
la dernier phase qui suit celle de ce sur-engagement frénétique est celle de l’effondrement.
L’image qui me vient à l’esprit pour signifier ce choc est une expérience vécue dans un planeur qui à 2000 mètres d’altitude avait décroché soudainement et violemment pour se rétablir finalement à quelques mètres du sol. La secousse, l’effondrement, avait été terrible et vingt ans après j’y songe encore tant ma vie m’avait parue exposée. La personne dans cette ultime phase se retrouve en grave danger. Après s’être enflammée de longs mois, elle s’est éteinte de l’intérieur. Elle n’a plus de force. Plus d’énergie. Plus d’envies. Elle est incapable de se mobiliser. Elle doit alors se faire assister le plus vite possible pour éviter en particulier une dépression d’épuisement professionnel qui peut durer plusieurs années et prendre les mesures indispensables au maintien de son équilibre.
Nous avons vu que la non reconnaissance des salaries publics ou privés pouvait avoir des conséquences sur la santé mais elle peut aussi avoir des impacts économiques très lourds A titre d’illustration, construire de très beaux lycées pour fournir un cadre de travail agréable est une bonne chose mais si préalablement les services de maintenance n’ont pas été consultés pour intégrer cette dimension dans la construction, alors cela peut avoir un coût important. Intégrer toutes les dimensions du travail et consulter en amont les personnes ayant l’expertise peut conduire à des économies substantielles.
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Enfin, ce sont les relations de travail, les rapports sociaux, la reconnaissance dont on bénéficie ou pas. C’est une partie essentielle à l’homme. Il ne se construit qu’au travers du regard des autres. Cette problématique est très mal assumée dans notre pays. Nous sommes dans une sélection des élites, contradictoire avec la mondialisation. On se coupe d’une expérience professionnelle et d’une grande énergie en raison des rentes de situation qui instaurent des privilèges à vie pour une petite élite. L’américain Ezra SULEIMAN Professeur de sciences politiques à l’Université de Princeton qui est un grand spécialiste des élites françaises et qui aime notre pays, dénonçait encore dernièrement ce système ou « les élites se servent plutôt que de servir » . Ce système repose sur une sélection très précoce sur la base d’une très bonne culture générale propre aux classes aisées et sur une maitrise supposée de l’abstraction par le bon maniement des mathématiques. Les jeunes sélectionnés qui sortent le plus souvent des beaux quartiers intègrent alors les meilleures classes préparatoires et ensuite de grandes écoles prestigieuses. Pour finir après un passage dans les cabinets ministériels à la direction de grandes entreprises sans pour autant le plus souvent connaitre les métiers, les hommes et leurs qualifications, les produits, les marchés et les besoins en recherche développement.. La France devient un petit pays car elle sélectionne ses dirigeants n’ont pas sur une base de 65 millions d’habitants mais sur une focale – celle des enfants sortis des beaux quartiers – qui en représente au mieux dix fois moins. La France est l’un des seuls pays que je connaisse ou à 50 ans on vous demande encore quelle école vous avez faite à la sortie de l’adolescence. D’ailleurs on dit souvent qu’en France on a fait carrière à 24 ans alors que cet âge est repoussé à 46 ans en Allemagne. On ne démontre pas sa valeur par les diplômes mais par l’expérience et l’implication. A dire le vrai « Le système public français est largement spoliateur des personnes qui s’investissent dans le travail ».
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autre facteur de RPS L’isolement et le manque de soutien – l’isolement est préjudiciable. Quand on est seul et devant la complexité, devant la charge de travail, la charge émotionnelle augmente. L’individu isole qui ne parvient pas a accomplir son travail peut se mettre en danger.
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Le conflit de valeurs renvoie quant à lui à d’autres risques.
Le sens que l’on donne à son travail est essentiel. Les fonctionnaires sont très attachés à la mission qui leur est donnée. Un policier peut dans sa journée faire autre chose que contribuer au maintien de l’ordre public. Il est parfois confronté à l’impuissance, et ne bénéficie pas de reconnaissance pour les activités annexes quand il rend des services aux usagers. Le problème de l’impuissance face à la mise en liberté de jeunes gens arrêtés la veille constitue une pratique vexatoire. Les policiers se disent, « je n’avais pas signé pour cela ». L’impuissance et l’absence de reconnaissance constituent des pratiques vexatoires.
Alors face à cette situation, quelles solutions ?
La position du service RH- aujourd’hui on voit que la régulation fonctionne mal (régulation hiérarchie / salarié). Les organes de régulation sont très souvent les DRH. Cependant, les DRH n’ont pas une position stratégique. Pour avoir une position stratégique la DRH doit être dans les comités stratégiques.
Les organisations syndicales constituent également des organes de régulation – En France, la problématique syndicale est difficile et la médecine du travail n’est pas suffisante. La mise en place de comités de concertation peut constituer une piste intéressante. Par exemple, France Télécom fait de la médiation invente des modes de régulation pour remettre les personnes au travail de manière appropriée. Les syndicalistes peuvent être perturbés par tout cela. Il faut une volonté au plus haut niveau du management.
Favoriser la mobilité inter-fonction permet aux personnes d’être reconnues et de progresser. En effet, quand l’individu peut se projeter quand il a un but à atteindre, quand il veut se réaliser, il peut supporter un certain nombre de choses. La question de la mobilité ascendante est une vraie problématique. Il n’est pas normal que l’on reste catégorie C toute sa vie. La question du statut est également une vraie question. Comment favoriser l’épanouissement professionnel par des mobilités ?
La professionnalisation des acteurs sur ce sujet est nécessaire. Former l’encadrement à des disciplines que l’on ne connaît pas. Il est utile de se former à la gestion des hommes.
La sanction positive – impliquer le très haut management en termes de procédures, subordonner une partie de la part de rémunération variable du cadre supérieur en fonction d’un plan d’action tenu en matière de RPS donne des résultats. On évalue alors les dirigeants sur leur capacité à animer des équipes. Les managers de proximité sont prisonniers de la pression sociale.
Avoir un regard extérieur, solliciter des experts est nécessaire dans certaines circonstances. L’expert doit transférer des méthodes et revenir quelques temps après. Les plans d’action doivent être suivis dans le temps, ils s’inscrivent dans la durée.
Réintégrer la bientraitance humaine tout au long du process.
La médiation – il est indispensable d’accompagner les personnes pour leur permettre de reprendre goût au travail.
En conclusion, la participation, la mobilité et les compétences sont trois idées forces pour prévenir les RPS.