Petit déjeuner du 21 mars 2018 avec Jane Turner
Pour ce deuxième petit déjeuner du mois de mars, Pascal Valenduc, membre de Galilée.sp, avait souhaité inviter Jane Turner, Psychologue clinicienne, spécialiste en hypnose Ericksonienne et co-fondatrice, avec Bernard Hévin du « Dôjô » (Centre de formation aux métiers de la relation d’aide) pour traiter des « transformations sur le chemin d’une nouvelle identité » et du « voyage du héros ».
Dans son introduction, Catherine Gras, Présidente du Conseil d’orientation de Galilée.sp, a rappelé combien le thème des « transformations » était au cœur des réflexions et des activités menées par l’association.
Dans ce cadre, il s’agit des transformations qui concernent les organisations publiques en général et les fonctions publiques en particulier, sans pour autant perdre de vue la dimension individuelle, et la nécessité pour chacun de s’impliquer, de se mettre en chemin, de devenir en quelque sorte « le héros » du voyage, de ces cycles de changement et accéder à une nouvelle identité.
Présentation de Jane Turner par Pascal Valenduc
Depuis près de 30 ans, Jane Turner accompagne des femmes et hommes confrontés au changement. Mais qu’est-ce-que le changement ? Est-ce le passage d’un point A de stabilité à un point B de stabilité ou plutôt « l’interstice », l’espace, « la zone de turbulences » ou « crazy zone » qui se situent entre ces deux points ?
Selon Jane Turner, ce qui est sûr, c’est que généralement « personne dans la vie n’aime le changement, à part peut-être les bébés mouillés ».
Son intervention portera sur le thème du « voyage du héros », inspiré de l’œuvre du mythologue américain, Joseph Campbell, mort en 1987, tout comme son compatriote Carl Rogers, célèbre psychologue humaniste.
Jane Turner s’inscrit dans la mouvance de l’école de Palo Alto.
En France, elle est pionnière dans l’utilisation de l’hypnose dans les domaines de la psychologie et de la psychothérapie. Formée à l’analyse transactionnelle, la sémantique générale, le « process com management », elle enseigne le coaching, la psychothérapie, la PNL, l’hypnose ericksonienne et la Ligne du Temps. Elle accompagne les personnes et les équipes vers le changement. elle accompagne les personnes et les équipes vers le changement. Elle est auteur ou co-auteur d’ouvrages tels que « la ligne du temps », « tout savoir sur le coaching », « vive la retraite ».
Le Dôjô, 道場« le lieu où l’on cherche la voie » a été créé en 1990 et c’est l’une des premières écoles de coaching en France.
Avant le voyage du héros : « Une bonne mauvaise nouvelle »
Jane Turner rappelle quelques concepts ou principes essentiels à la compréhension des cycles de changement, qu’il s’agisse d’individus ou d’organisations.
Elle évoque tout d’abord la notion d’homéostasie, appliqué au domaine de la psychologie, qui consiste à maintenir l’équilibre des besoins et des satisfactions. Mais cet équilibre est précaire et l’homme oscille en permanence entre la stabilité, synonyme de mort, et le mouvement, synonyme de vie.
Les êtres humains sont de fait voués à l’instabilité, même si d’aucuns choisissent une sédentarité à première vue plus rassurante…Dès que nous mettons un pied devant l’autre, nous sommes dans l’instabilité et le déséquilibre. C’est, ainsi que l’indique Jane Turner, « la bonne mauvaise nouvelle » !
Le changement fait peur, car il comporte des dangers. Ces dangers ce sont les idées reçues, les préjugés, les habitudes, qui risquent justement d’être remis en question. Le statu quo est mis en difficulté. Des personnes, des évènements extérieurs viennent remettre en cause cette stabilité. Il n’y a pas d’échappatoire possible : nous sommes voués à bouger !
La vie est cyclique, alors que notre vision et notre rapport au temps sont linéaires… Nous avons beaucoup de mal à envisager d’élargir les champs des possibles, d’ouvrir de nouveaux chemins qui constitueraient une « alternative », une « troisième voie »…
« La vie, l’univers et le reste » : petit détour par l’humour et la science-fiction…
Jane Turner évoque cette trilogie (en fait composée de 5 volumes… !!) de Douglas Adams (1952-2001), auteur britannique de science-fiction, car dans l’un des livres, une question est posée à un « méga-ordinateur » appelé Deep Thought (Pensée profonde) : « Qu’est-ce-que la vie, l’univers et le reste ? » Cela pour tenter de comprendre le sens de la vie.
Au bout de 7,5 millions d’années de travail intensif, l’ordinateur est prêt à donner la réponse et annonce un chiffre : 42. Mais cela peut-il être vraiment une réponse ? De fait, ce « 42 » renvoie plutôt à une nouvelle question ou en tout cas, à quelque chose qui ressemble à une énigme qu’il s’agit de résoudre…Et au bout du compte, la question était-elle bien posée ?
Joseph Campbell, mythologue et philosophe
Pour parler du mythe et du voyage du héros, Jane Turner se réfère aux travaux menés par Joseph Campbell, connu et reconnu pour ses ouvrages portant sur la mythologie et les religions comparées. Il est à l’origine du concept de « monomythe », qui souligne la dimension universelle de cette idée et donne la structure des mythes de toutes les cultures, appelé aussi « le voyage du héros ». Un « voyage » qui s’effectue toujours selon le même schéma :
- Séparation
- Initiation / épreuves
- Retour
C’est bien ce même schéma qui est développé dans les « blockbusters » (films à succès) du type « Starwars » : ces superproductions ont toutes en commun de décrire un cycle, celui qu’on retrouve justement dans le voyage du héros, mais aussi dans nos propres vies.
Pour mieux illustrer ce propos, voici un extrait d’un article du 20/12/2015 paru dans Télérama à la sortie du septième opus du film « le réveil de la force » : « Dans cette étude passionnante [le livre de Campbell, NDLR], où l’on croise la Bible, les légendes arthuriennes, les contes esquimaux ou Don Quichotte, Campbell affirme que tous les grands mythes qui accompagnent l’humanité depuis l’Antiquité répondent à l’immuable schéma d’un héros ordinaire lancé dans une fabuleuse et périlleuse quête initiatique ».
Erik Erikson et la générativité
Les thèses développées par Erik Erikson, psychologue germano-américain (1902-1994), sur l’identité de l’individu, les « cycles de la vie » ou « les huit âges de l’Homme » viennent corroborer celles de Campbell, en mettant l’accent sur un concept fondamental de la motivation : celui de générativité. « La notion de « générativité » renvoie au renouvellement, à l’évolution… surtout, tout ce qui soutient, facilite et contribue au développement de soi, des autres, du monde, des générations actuelles et à venir à travers le temps » (extrait du document de Jane Turner « Le Voyage du Héros et ses rapports avec la Carte du Cycle de Changement » 29 juin 2017).
Le contraire de la générativité, c’est la stagnation.
Pour Erikson, la générativité, c’est surtout l’idée de laisser quelque chose pour le monde, c’est être engagé pour et avec les générations futures. C’est, dit Jane Turner, « Avoir une vision au-delà de ma petite personne et une connexion beaucoup plus vaste », une connexion au monde et à l’univers, au-delà même de cette vie ici-bas… Pour Jane Turner, lorsqu’on évoque le changement, il est important, voire incontournable, de réfléchir en prenant en compte ces idées, ces concepts.
Posons-nous la question : combien d’entre nous ont eu envie de rester là où ils étaient ? Il est évident qu’à certains moments de notre vie, nous avons eu envie de « poser nos valises » et de considérer que nous étions « arrivés »… Pourtant, de manière volontaire ou involontaire, la vie s’est chargée – ou se charge, encore et toujours – de nous mettre ou remettre en mouvement… !
Le voyage du héros : 3 phases et 5 étapes
La structure fondamentale avancée par Campbell se compose de 3 phases et 5 grandes étapes :
Séparation
- L’appel
Initiation
- Le chemin des épreuves
- L’obtention du gain, ce que le héros rapporte à la collectivité, à sa communauté
Retour
- Le retour vers le monde ordinaire : le héros revient à la vie changé, différent, transformé
- L’utilisation du gain
- Un appel à l’aventure, que le héros doit accepter ou décliner.
- Un chemin d’épreuves, où le héros réussit ou échoue.
- La réalisation du but ou du gain, qui lui apporte souvent une meilleure connaissance de lui-même.
- Un retour vers le monde ordinaire, où le héros réussit ou échoue.
- L’utilisation du gain, qui peut permettre d’améliorer le monde.
Dans ce processus, l’étape 4 est cruciale. Jane Turner souligne à quel point ce moment est difficile à gérer tant pour le « héros » que pour ceux qui l’entourent. Du fait des transformations opérées au cours du processus initiatique, la réaction des « autres » vis-à-vis de celui qui est parti, sera le plus souvent « we don’t like you » (sic) et « reviens à ton état antérieur, car nous ne te reconnaissons pas ! ». Tout le problème de celui qui a bougé et de ceux qui sont restés…Quelque chose s’est brisé, et on ne peut plus « recoller les morceaux », reconstituer l’Etre « d’avant »…C’est « Moléculairement impossible ! » dit Jane Turner.
Quid de l’utilisation du gain ? (ultime étape du voyage)
Selon le principe de « générativité », le héros qui a accompli ces 3 phases et ses 5 étapes, et intégré de nouvelles connaissances et compétences, aura œuvré pour lui-même, mais à son retour, ses accomplissements devront servir la communauté et contribuer à améliorer le monde.
Et maintenant ?
Jane Turner suggère de revenir sur la phase de l’appel. Car c’est le moment-clé, le moment où tout se déclenche, voire « bascule », pour le héros potentiel que nous sommes…
Parfois, cet appel, cette sollicitation proviennent d’une rencontre, d’une maladie, d’une période de chômage, de ces évènements qui provoquent une rupture, mais qui presque simultanément ouvrent des perspectives, des opportunités. On a alors le sentiment qu’on ne peut plus continuer comme ça… Mais qu’il n’est pas simple de quitter sa « zone de confort ». On refuse, on diffère, on se dit que « ce n’est pas pour nous »… Et on finit par accepter l’idée qu’on a besoin d’aide pour se mettre en chemin. Il faut se rendre à l’évidence : La chanson « Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson » n’est plus de mise ; on ne peut pas faire tout, tout seul, en pratiquant l’autarcie. Au contraire, il faut pouvoir prendre appui sur quelqu’un capable de nous épauler pour la réalisation de notre projet, de notre voyage.
Le mythe et l’aide surnaturelle
La notion de « mentor » prend ici tout son sens : il peut s’agir d’une vraie personne en chair et en os, comme cela peut être un guide spirituel, un roman, une musique, un paysage, un tableau. Ce qui importe dans ce cas, c’est bien la relation qui s’établit entre le héros et un vieil homme, un chaman, quelqu’un qui incarne à la fois la sagesse… et l’espièglerie, l’enracinement… et qui a aussi la tête dans les étoiles.
Vouloir et pouvoir
Mais une fois que cette rencontre a eu lieu, surgissent de nouvelles questions : suis-je à la hauteur de ce projet ? En suis-je digne ? Est-ce-que je mérite de poursuivre ce chemin ? Est-ce-que je le veux vraiment ?
Le seuil… et les épreuves
Franchir le premier seuil, c’est entrer dans cet autre monde où nos repères ont disparu. Survient alors la tentation de trouver un(e) compagnon/compagne pour en rester là, pour recréer dans cet autre monde, un monde analogue à celui qu’on vient de quitter. Quel que soit le monde dans lequel on se trouve, une évidence se fait jour : on a besoin de sécurité, besoin de s’arrêter pour respirer, mais pour mieux « lâcher prise » et lâcher les aides existantes jusqu’à présent… Une de nos tâches est de rendre familier l’étrange, de l’apprivoiser, tout en sachant que l’inverse est également vrai.
« Je suis venu(e) vous dire que je m’en vais »…
A force de volonté et de courage qui permettent de surmonter les épreuves, on finit par obtenir ce pour quoi on a entrepris ce voyage. Seulement, on ne le savait pas ! Le héros part, et tout ce qu’il sait, c’est… qu’il s’en va ! Aucune certitude de réussir, il ne sait pas vraiment ce qu’il va obtenir, parce qu’iln’a pas d’objectif précis.
A ce stade, on parvient plus facilement à déterminer ce qu’on ne veut pas qu’à exprimer clairement ce qu’on veut !
… Et que je reviens !
Ce qui est sûr, c’est que s’il y a un gain au bout du voyage, le héros doit alors le rapporter et s’en servir de manière « générative » : le don, le gain, le talent, le savoir-faire doivent être partagés, mis au service de la communauté. L’utilisation du gain, la « générativité », c’est le retour, c’est ce qu’on rend à l’issue du voyage, ce qu’on pourrait qualifier de « juste retour des choses ».
Pour autant, le voyage est-il terminé ? Celui-ci, oui… Mais il est fort probable que le héros, selon un cycle « en spirale », reprendra son bâton de pèlerin et se remettra en chemin tôt ou tard… Sauf que le chemin en question sera différent. L’expérience acquise lors du voyage précédent sera fort utile pour mieux se situer aux différents niveaux de la spirale. On est d’une autre « trempe », et on a acquis une autre « épaisseur ».
Village, voyage et coaching
Pour Jane Turner, le village représente la sédentarité, la sclérose. Face cette situation, le héros a 3 choix qui s’offrent à lui :
- rester au « village », suivre les principes et règles préétablis, les anciens principes dans notre modèle de coaching ;
- être rejeté, renvoyé du village, ou partir, quitter le familier pour se perdre, s’égarer, vagabonder dans les « terres arides » une sorte de no-man’s land d’où il risque de ne pas sortir ;
- devenir lui-même le héros de son récit.
Et ce « récit », comme cela a déjà été indiqué, n’est pas écrit d’avance !
Le cycle du changement
Tout commence par le rêve… Ou un coup de pied au c… ! Et s’il s’agit d’un rêve, celui-ci doit être vaste, porteur, donner de l’énergie pour s’incarner, s’incorporer, pour pouvoir se mettre en mouvement, éprouver et être éprouvé, agir, déterminer ce qu’on laisse tomber, ou au contraire ce que l’on garde, faire le tri pour conserver l’essentiel, passer par cette phase d’alignement, du soi héroïque, tel qu’il figure sur le schéma ci-dessous.
Ensuite, il s’agit de franchir un seuil, pour accéder à un autre monde et là, la désillusion, voire la « chute » sont toujours possibles… S’en suivent de nombreuses interrogations : que faire ? Comment rectifier le tir ? Y-a-t-il une erreur de casting ? Comment revenir en arrière ? Pour cette dernière question, on connaît déjà la réponse : ce n’est pas possible. On entre alors dans la phase II du schéma, celle du « marasme », celle du « soi désenchanté ».
Il est temps de se « poser », de « décrocher », de se « désengager » pour mieux se retrouver et s’assumer. C’est l’étape de « désynchronisation », la phase III du schéma « le soi intériorisé » ; c’est, comme l’indique Jane Turner, la « traversée de la vallée des larmes ». Il faut pourtant continuer « la traversée » pour aborder sur « l’autre rive », celle de la « réintégration » (phase IV du schéma), celle du « soi passionné ». C’est une nécessité vitale. On ne peut pas rester dans « l’entre-deux ». On revient à la vie, mais on n’est pas encore tout à fait sûr de savoir qui on est…
Et l’on retrouve alors cette notion de « cycle de changement » chez Campbell, ainsi que celle des « cycles de vie » chez Erikson.
Trouver le chemin, construire la confiance…
A l’issue de cette intervention passionnante et passionnée, les participants ont longuement échangé avec Jane Turner.
Dans sa conclusion, Catherine Gras a mis l’accent sur les difficultés et les souffrances des fonctionnaires face à la perte de sens dans l’exercice de leurs missions, sur le besoin de se sentir « épaulés », de pouvoir trouver des appuis pour sortir du « marasme » décrit par Jane Turner et sur l’urgente nécessité de construire la confiance, tant en soi que dans la relation aux autres, en s’efforçant de voir les gens et les choses autrement pour mieux entreprendre et si possible réussir… son propre « voyage du héros », et retrouver le sens de sa vie, de LA vie.