Petit déjeuner du 26 avril 2018 avec Jean-Marie Rossinot
Lors de ce petit déjeuner , Jean-Marie Rossinot a souhaité présenter et dialoguer sur les évolutions irréversibles de la société à travers quelques exemples marquants de bouleversements économiques et sociaux intervenus au sein d’organismes et d’établissements pilotés par l’Etat.
Prenant à bras-le-corps un sujet réputé austère et complexe, Jean-Marie Rossinot, avec un réel talent de conteur et de pédagogue, a su captiver son auditoire.Après avoir souhaité la bienvenue aux participants et rappelé l’actualité de Galilée.sp, Catherine Gras, Présidente du Conseil d’orientation, a laissé la parole à Dominique Guézélou pour la présentation de Jean-Marie Rossinot.
Présentation de Jean Marie Rossinot par Dominique Guézélou, membre de Galilée.sp
« Nous nous sommes rencontrés au hasard d’un couloir, rue de Lille, au siège de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC). Il était alors Directeur des relations sociales. A l’époque, j’ignorais qu’il était passé par l’Ecole Nationale des Impôts, puis par les tribunaux administratifs et qu’il voyageait hors de France : New York et Montréal.
Une rencontre et une confrontation, car nos patrons avaient leur propre vision et s’opposaient parfois.
Tout en restant loyaux à nos hiérarchies respectives, nous avons su dépasser ces affres du quotidien car nous avions comme référence éthique « La foi publique » et la loi de 1816 qui, dans son article 115 du Titre X, avait pour fondement de prémunir la CDC contre tout acte arbitraire éventuel du pouvoir exécutif en le plaçant sous la garantie du parlement, émanation de la Nation et sous le sceau de la Foi Publique.
Nos parcours ont divergé mais pas notre amitié. La loi de 1816 précise également les droits et devoirs du Directeur Général, mais aussi ceux du Caissier Général, poste que Jean Marie a occupé de 2000 à 2005. Il a donc prêté serment de défendre l’autonomie de l’établissement et de garantir l’inviolabilité des fonds qui lui étaient remis à ce titre.
Ceci devait le conduire à une dernière responsabilité : le contrôle général économique et financier qui portait avant le beau nom de contrôleur d’état. Là encore, il a fait preuve de courage et de pugnacité lorsque le président de l’époque a nommé le fils d’un de ses amis politiques à cette fonction. Il a fait partie de ceux qui n’ont pas hésité à soutenir l’action qui a conduit le Conseil d’Etat à annuler cette nomination.
Mais j’en ai trop dit et je vous laisse tout le plaisir de découvrir l’Homme ».
L’ère du « grand chambardement » ?…
« Ciel ! Ce sont les machines
Les machines divines
Qui nous crient en avant
En langue de savant »
(Extrait de la chanson de Guy Béart, 1968)
Pour ce petit déjeuner du 26 avril, Jean-Marie Rossinot avait pris le soin de préparer une intervention écrite qui est reprise de manière quasi intégrale ci-après.
L’Etat qui se situe au cœur des évolutions de la vie économique, se retrouve en première ligne dès qu’’il s’agit d’anticiper, pour ne pas les subir, des évolutions dont il est souvent difficile de mesurer les conséquences sociales. Ainsi internet et la mondialisation des moyens de production ont changé profondément l’organisation du travail et la capacité à prévenir les risques et ce n’est sans doute que le début du changement planétaire que les technologies nouvelles vont peu à peu imposer. Le rôle de pilotage de l’Etat devient donc essentiel car il est le dernier garant de l’intérêt général.
La façon de concevoir et de mettre en œuvre les obligations inhérentes à l’existence de missions répondant à la satisfaction de besoins d’intérêt général a fortement évolué dans la seconde moitié du 20ème siècle pour aboutir, dès la fin des années 1980, à une approche basée sur un raisonnement économique assez rigide dont le fondement repose essentiellement sur la nature des activités concernées. Pour rester simple, on peut dire que selon qu’elles portent ou non sur des domaines relevant de la libre concurrence, elles quittent ou non le domaine du service public (ex : les télécommunications). Depuis le début du 21ème siècle, l’Etat se trouve confronté à des situations complexes qui l’obligent à intervenir, parfois dans l’urgence, pour organiser des changements de cap dont les conséquences sociales peuvent être lourdes.
Dans son intervention, Jean-Marie Rossinot a mis en lumière trois grands axes de bouleversements à travers quelques exemples impliquant l’Etat dans ses différentes composantes : le service public, les établissements publics relevant de la tutelle étatique et les entreprises publiques dont le capital est par définition majoritairement d’origine « publique » (organismes et entreprises publiques voire par l’Etat, représenté en principe par l’Agence des participations de l’Etat (APE). Les exemples choisis permettant de dialoguer sur trois thèmes, à savoir :
- L’Etat, protecteur des administrés au regard de la santé publique,
- L’Etat, l’écologie et la science,
- L’Etat et la remise en cause du pilotage des établissements et entreprises publics.
- La protection des administrés au regard du vaste ensemble représentatif de la santé publique :
Dans le contexte précité, l’Etat a trois obligations : la prévention des risques, le devoir de protection et la nécessité d’organiser le service public dans le respect des valeurs républicaines. Cet ensemble suppose des gouvernances à la hauteur des enjeux à chaque étage de la pyramide
La prévention :
Deux exemples qui concernent les services de l’Etat illustrent cette obligation : d’une part le respect des normes dans le domaine des productions agro-alimentaires, d’autre part l’obligation de disposer d’un service public de la santé de qualité dans le respect de nos traditions républicaines. Le choix de ces deux préoccupations reflète ce que chaque administré quel qu’il soit attend de la puissance publique.
– La sécurité sanitaire des aliments est en principe suivie par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
. Elle regroupe l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments et du centre national d’études vétérinaires et alimentaires (établissement public administratif créé le 1er juillet 2010). Cet établissement public de l’Etat intervient pour prendre les mesures préventives d’urgence en cas de crise grave (ex en 1999 avec la vache folle) et procéder aux analyses nécessaires en coordination avec les services de l’Etat concernés.
Ainsi, l’affaire Lactalis, a montré à la fois la difficulté de mise en application d’un dispositif de prévention efficace dans la détection de la présence de salmonelle dans une unité de fabrication (mission interministérielle de l’agence départementale de l’Anses) et l’action plus efficace de suivi des produits concernés organisée de façon systématique par les services de la Direction générale de la concurrence, consommation et répression des fraudes qui dépend d’un seul ministère (Economie et Finances).
La protection :
Ce devoir de protection c’est aussi et surtout l’obligation pour l’Etat, de permettre au service public de la santé de bénéficier d’une organisation efficace, notamment au regard des gouvernances au sein de l’administration hospitalière. Il est urgent de procéder à une analyse des causes de l’incroyable dégradation des services publics concernés sans oublier la scandaleuse insuffisance de moyens qui ne constitue pas l’unique cause de la situation actuelle. Cela fait trente ans que des mesures de prévention du risque de déperdition des capacités d’intervention du service public de la santé auraient dû être prises progressivement. Il s’agit d’un devoir national notamment au regard des plus faibles (personnes âgées) et des plus démunis. Nous l’avons ignoré et la Nation, dans son ensemble, en porte la responsabilité. En amont il faudra un nombre de médecins généralistes suffisant pour permettre aux services d’urgence de fonctionner dans des conditions normales. Des études sur les besoins réels des populations par secteur géographiques et tranches d’âge devraient permettre, en amont, de déterminer la nature des établissements auxquels il faudra donner des moyens exceptionnels (sans délai) pour arrêter la dégradation, investir dans du matériel du 21ème siècle, accueillir des personnels formés dans des conditions acceptables en ciblant un par un les établissements prioritaires. Il y a assez d’experts indépendants pour faire très rapidement ce travail d’analyse en concertation avec tous les acteurs concernés.
L’organisation :
L’exemple des organismes de recherches médicales et biologiques directement impliqués dans la prévention et les soins montre la nécessité de moderniser les gouvernances et les priorités du fait des coopérations internationales et des liens qui existent entre la recherche en laboratoire, l’industrie du médicament, les hôpitaux et les universités. C’est en cela que l’Etat exerce un réel pouvoir de coordination, d’organisation et du choix des professionnels qui dirigent les « institutions » concernées. Les meilleurs résultats reposent sur la coordination des actions entre la recherche, les universités, l’enseignement, l’industrie au niveau européen ou mondial.
L’Institut Pasteur qui est à l’origine de la vaccination et qui a permis de prévenir les maladies les plus redoutables à compter de la fin du 19ème siècle. L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) créé en 1964 est spécialisé dans les recherches biomédicales. Il travaille notamment sur les maladies dégénératives au centre NeuroSpin de Saclay avec des équipes du CEA, du CNRS et des universités. L’Agence Nationale sur le Sida créée par l’Institut Pasteur en 1988 a été rattachée à l’INSERM en 2012. L’Institut Curie créé en 1920 spécialisé dans les recherches et les soins relatifs au cancer regroupe également les compétences d’autres établissements, tels que le CNRS, l’INSERM, l’Université et des partenariats avec des laboratoires du secteur marchand. Ce schéma d’organisation tend à se généraliser dès lors qu’il est piloté dans une bonne compréhension entre les directions générales des établissements, les chercheurs et les unités de soin. Le dépistage des difficultés de pilotage est devenu une priorité, ce qui facilite grandement la qualité des travaux des organismes et les partenariats internationaux.
- L’Etat, l’écologie et la science ont renforcé leur cohésion à tous les niveaux :
Les services de l’Etat et les établissements scientifiques veillent à ce que l’écologie soit, en permanence, une priorité. Il est toutefois évident que le « reste à faire » est considérable car il dépend en partie des innovations technologiques à venir et des coopérations internationales.
– L’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) créé en 1946 est en prise directe avec les préoccupations écologiques les plus urgentes : en tout premier lieu, la qualité de l’eau et des sols par rapport aux pratiques d’une agriculture intensive qui dénature les écosystèmes. C’est le premier établissement public en Europe dans le domaine de la gestion durable des sols et la qualité des produits. La qualité des aliments et le respect de l’environnement constituent le travail quotidien de l’INRA (recherches sur les risques OGM, l’abus de produits phytosanitaires). Grâce à son rapprochement avec l’Institut National de Recherche en Science et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture (IRSTEA) et les partenariats industriels, l’orientation prioritaire du caractère écologique des recherches est clairement constaté : mesures de la biodégradabilité des déchets, protection des milieux naturels et des captages d’eau potable…
– Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a mis l’accent depuis près de 30 ans sur l’énergie solaire, l’énergie éolienne etc. tout en veillant, sur ses gros chantiers, à déclarer la présence d’espèces protégées dès leurs découvertes (exemple le pique-prune, scarabée en voie de disparition ; l’orchidée sauvage, etc…).
Des zones de protections qui peuvent s’étendre sur plusieurs hectares sont organisées en liaison et sous le contrôle des autorités compétentes. Les études scientifiques de cet établissement portent aussi sur des mesures très fines relatives à l’évolution du climat, les risques sismiques et les tsunamis.
– Le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) réalise en partenariat avec des pays de tous les continents des recherches par satellites : cycle de l’eau en zone tropicale, salinité des océans, humidité des sols, mesure du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, de la biomasse etc.
L’Etat favorise depuis plusieurs années les partenariats internationaux car ils répondent aux objectifs de protection voire de sauvetage de la planète.
- L’Etat et la remise en cause du pilotage des établissements et entreprises publiques.
- L’Etat doit faire face à de sérieuses difficultés lorsque le management d’une entreprise publique est défaillant.
Des privatisations ont ainsi dérapé au point de mettre en péril grave des entreprises réputées prospères telles que le Crédit Local de France (CLF) privatisé sous le nom de Dexia spécialisé dans les prêts aux collectivités locales ou le groupe AREVA, leader mondial du nucléaire, démantelé suite à des erreurs graves et répétées de gestion.
- L’Etat doit aussi respecter les traités de l’Union Européenne dans des conditions socialement difficiles et contraignantes.
C’est ainsi que les services de la Poste (ex PTT) ont été démantelés pour évoluer soit en privatisation pure et simple (les Télécoms) soit en entreprises publiques : après le départ de la branche « téléphone », le groupe La Poste s’est divisé en deux sociétés anonymes à capitaux majoritairement publics : la Poste et la Banque postale ces deux entreprises constituant le groupe La Poste avec 251.249 salariés fin 2016.
Les télécommunications :
Un certain manque de réalisme et un pilotage particulièrement dur ont rendu l’évolution de la branche télécom peu lisible et surtout fort contestable au début du 21ème siècle.
Historiquement les étapes de l’évolution sont les suivantes :
– Le 1er janvier 1988 la Direction générale des télécommunications adopte le nom commercial « France-Télécom ».
– La loi du 2 juillet 1990 transforme le service public administratif France Télécom en établissement public industriel et commercial (EPIC).
– En 1996 l’EPIC France-Télécom est transformé en société anonyme à capitaux publics.
– En 1997 et 1998 soit très rapidement, l’Etat procède à deux ouvertures d’une fraction minoritaire du capital. L’opération est un succès financier.
– En 2000 l’état rachète la SA Orange au moment où les cours sont au plus haut mais les titres s’effondrent sept mois plus tard. C’est une déroute financière à laquelle il faudra faire face (dette à cout terne de plus de 69Md€). Le réaménagement de la dette est réalisé par les banques et des investisseurs à hauteur de 15Md€, l’Etat majoritaire au capital à hauteur de 15Md€ et une réduction drastique des frais de fonctionnement.
– En 2004 l’Etat devient minoritaire au sein du groupe Orange privatisé.
– En 2011 le redressement du groupe privé Orange est considéré comme achevé. Entre 2004 et 2009, on a assisté à des drames sociaux et des suppressions de poste de travail dans une ambiance délétère. Quel que soit le résultat final c’est l’exemple de ce qu’il ne faut surtout pas recommencer même si le groupe Orange et devenu compétitif, international et très vigilant sur la nécessité de rester à la pointe de l’innovation.
La Poste et la Banque Postale (groupe La Poste) :
A l’inverse, malgré le déficit de la branche « courrier », la transformation de La Poste en un groupe homogène doté d’un réseau efficace s’est déroulée dans des conditions mieux maîtrisées grâce à un dialogue social difficile mais constant. Aujourd’hui, les agents fonctionnaires et les salariés de droit privé devenus majoritaires travaillent ensemble. En dépit de la sous-traitance d’une grande partie de l’activité colis et des nombreuses filiales de la Banque Postale, le groupe demeure encore lisible et semble appelé à un avenir positif si le management demeure vigilant.
La Caisse Nationale de Prévoyance (CNP) : la prévoyance est un ancien département de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).
Bien que créée officiellement en 1959, la prévoyance existait à la CDC depuis l’origine de l’institution en 1816. Sa privatisation progressive a fait l’objet de négociations dans le respect des individus en veillant à leur donner des garanties juridiques au regard de leur statut d’origine : 1987 transformation en EPIC ; puis transformation en SA à capitaux publics en 1998 avec introduction en bourse de 22,5% du capital. Si aujourd’hui le puissant réseau CNP (21.000 points de vente grâce à la Banque postale et aux caisses d’épargne), est en 2017 le premier assureur de personnes en France, le départ progressif des agents fonctionnaires s’est déroulé dans de bonnes conditions (départs en retraite dans les 12 années suivant la privatisation, intégration prioritaire à la CNP en tant que salariés, les réintégrations à la CDC ont été globalement assez peu nombreuses. Au vu de la stabilité et du développement de l’entreprise, on peut considérer qu’elle représente un exemple de privatisation réussie (sur un marché « porteur »).
La SNCF :
Elle a fêté ses 80 ans le 1er janvier dernier. Sa transformation en société anonyme à capitaux publics constitue une difficulté bien plus sérieuse ! En y regardant de près, malgré un effectif de 260.000 salariés, ce n’est pas une entreprise, elle ne présente pas de comptes consolidés, elle a accumulé des pertes énormes considérées comme répondant à des actes normaux de gestion qu’il incombe aux contribuables d’assumer, son morcellement très cloisonné est devenu la caractéristique d’une organisation peu lisible ; sa gouvernance et l’opacité de ses moyens de communication ont été fortement critiqués par tous les acteurs, (Cour des Comptes, rapport Spinetta salariés y compris l’encadrement etc…).
La SNCF ne peut pas davantage être considérée comme un vrai service public capable de fonctionner de façon transparente ; Il en résulte que la réforme décidée par l’Union Européenne et le droit interne français ne peut pas se réaliser dans la sérénité et la confiance entre les interlocuteurs. Or, conformément au projet de loi du 9 avril 2018 autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance pour « modifier les missions, la gouvernance et la forme juridique du groupe ferroviaire », cette réforme devra être réalisée dans une certaine urgence du fait de la défaillance de tous les gouvernants depuis la fin des années 1990 [1].
Les questions à traiter sont graves : s’entendre sur la lisibilité attendue en ce qui concerne la gouvernance et le statut juridique de l’entreprise SNCF ; s’entendre sur le sort d’une dette qui n’est plus supportable et qui ne doit plus se reconstituer au fil du temps (respecter les règles d’une comptabilité d’entreprise lors de la réforme) ; s’entendre sur les rôles respectifs de l’Etat, les Régions et la SNCF en ce qui concerne les TER et les Intercités ; s’entendre sur les priorités des prochaines années en matière d’investissements ; consolider l’abandon du statut en sifflet c’est à dire à mesure des départs en retraites tout en réglant l’éventuelle difficulté constitutionnelle du maintien d’un statut spécifique en cas de mise à disposition auprès d’une entreprise privée du secteur concurrentiel sur une longue durée. En effet, le maintien du statut concernera tous les salariés à la date de la transformation en SA publique c’est à dire y compris les derniers entrants. Il en résultera une durée très longue avant d’aboutir à la généralisation du statut de salarié de droit commun. On se trouve en face d’un travail de titan qui se présente avec des zones de confusion ! Mais…il faut le faire. On mesurera aux résultats la sagacité, la créativité et le courage des uns et des autres.
L’Etat, le secteur privé et l’intérêt général
- L’Etat, c’est enfin des interventions utiles à l’intérêt général pour protéger des entreprises privées dans des circonstances exceptionnelles.
PSA :
C’est ainsi que l’Etat est intervenu en 2017 pour sauver le groupe Peugeot d’un risque sérieux de démantèlement avec de très graves conséquences sociales. Il a participé avec un groupe chinois à une recapitalisation de 3 milliards d’euros. La confiance est rapidement revenue. Le groupe PSA a changé de manageur et fait état de bons résultats au 31 décembre 2017.
STX France et les chantiers de Saint Nazaire :
Problématique comparable en ce qui concerne les chantiers navals de St Nazaire appartenant au groupe coréen STX France en dépôt de bilan.Alors que les chantiers navals ont des commandes pour les 10 années à venir, l’arrivée d’un groupe Italien détenant déjà les plus gros chantiers naval d’Europe risquait de conduire au démantèlement des chantiers navals de St Nazaire par transfert des meilleurs contrats vers les chantiers italiens (il n’y a pas de règle qui interdise ce genre de pratique entre partenaires de l’Union Européenne). L’Etat a donc décidé de préempter l’acquisition du groupe italien jusqu’à l’intervention d’un accord entre les partenaires. La situation est stabilisée mais l’Etat, via l’Agence des Participations de l’Etat (APE, reste présent au capital pour prévenir les risques éventuels de dérapages. Là encore, l’Etat a évité un grave conflit social même si la situation est encore un peu fragile.
Le « panorama du praticien »
En émaillant son intervention de multiples références sociologiques, économiques, géopolitiques, d’exemples concrets, d’expériences vécues, Jean-Marie Rossinot a dépassé le seul aspect descriptif des interventions de l’Etat dans les différents domaines sus-cités pour offrir un « panorama de praticien » selon l’expression de Catherine Gras et permettre à son auditoire de s’interroger sur les évolutions et les enjeux (ou « les chambardements ») actuellement à l’œuvre aux différents niveaux : national, européen et mondial.
Reste une question essentielle, abordée par Catherine gras pour lancer le débat avec les participants : celle de la stratégie politique… Car quand bien même l’Etat dispose d’outils (établissements, organismes, instituts divers et variés) pour relever les défis, où est la vision, la ligne stratégique de l’Etat ? Celle qui donnerait à « rêver » plutôt que de s’arc-bouter sur la technologie, les chiffres et les algorithmes ?
Il semble que les politiques ne sont pas près de faire leur la formule en forme d’oxymore de Jean Jaurès « le courage, (…) c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » et qu’au contraire ils se sont laissés déposséder de toute capacité critique, ainsi que l’a rappelé Dominique Guézélou, en citant un extrait du livre de Bernard Stiegler « Dans la disruption » : “ A partir du moment où l’économie industrielle a fait du savoir conceptuel sa principale fonction de production, tout en court-circuitant les savoirs-vivre, les savoirs faire et les savoirs théoriques, par le machinisme au 19ème siècle, par le marketing et les media au 20ème siècle, et par la gouvernementalité algorithmique au 21ème siècle, la fonction politique (et par résonnance la fonction publique), qui n’en a pas pris la mesure, est dépossédée de toute capacité critique car bien trop lente et soumise à un programme ultra-libéral qui prétend absorber le social et le politique dans la technologie et l’économique en les pulvérisant : la technologie étant computationnelle, elle permet de dissoudre algorithmiquement le social.”
La part du rêve… Imaginer un monde meilleur plutôt que « le meilleur des mondes [2] »
« Imagine all the people
Sharing all the world »
(Extrait de la chanson de John Lennon,1971)
Pour Jean-Marie Rossinot l’une des pistes à privilégier pour « aller de l’avant sans s’en remettre à la devise des shadoks « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?» [3] et aller vers un monde meilleur serait de s’inspirer des modes d’organisation et de fonctionnement tels que l’Institut Curie, le CNES et bien d’autres encore qui pratiquent une recherche transversale de dimension internationale et planétaire.
Selon lui, « le vrai chercheur est un rêveur et la recherche qui marche est faite pour ceux qui rêvent » (sic).
Dans sa conclusion, Jean-Marie Rossinot admet que Si l’Etat a commis certaines erreurs (comme tout décideur), il reste le pilote incontesté des grands bouleversements économiques et sociaux. Dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, il a démontré sa capacité à gérer les crises et à surmonter les obstacles liés à la mondialisation des moyens de production dans des conditions difficiles à prévoir. Les problèmes qui l’interpellent sont aujourd’hui technologiques, écologiques et toujours économiques et planétaires. Il doit néanmoins rester le garant des valeurs de la République et veiller à ce que le service public en soit le levier.
Catherine Gras a remercié chaleureusement Jean-Marie Rossinot pour avoir su « retracer les projets, les réussites, les inévitables problèmes (là comme ailleurs, mais pas forcément plus qu’ailleurs) et donc la vigilance à avoir : lignes stratégiques claires, action et contrôles d’exécution (…) Sachons contacter et recharger les forces de sagesse ! Pointons des doigts dans la bonne direction stratégique et, oui, regardons la direction à suivre pour nous mettre en mouvement ».
Le débat s’est poursuivi de manière informelle après ce petit déjeuner, et il a été convenu qu’une « deuxième mi-temps » serait organisée avec Jean-Marie Rossinot à l’automne prochain.
[1] Voir aussi l’article sur la SNCF « Make SNCF great again » sur le blog ci-après, (ou sur ce document PDF) cité par Catherine Gras avec le commentaire suivant : « Jean-Baptiste Fressoz, par l’analyse faite sur les tramways et la politique d’ouverture plus ou moins large de la concurrence, montre bien que, selon que l’on prend en compte/ou pas les externalités positives et négatives, et selon que l’on élabore/ou pas un projet d’entreprise dans le cadre d’une stratégie nationale…..un vieux proverbe chinois se vérifie : le sage regarde la lune et l’idiot regarde le doigt ».
[2] D’après le titre du livre d’Aldous Huxley (1894-1963) « Brave new world », roman visionnaire paru en 1932 « Si nous voulons employer notre intelligence et notre bonne volonté, il n’y a pas de doute que nous pouvons faire des choses extraordinaires. Mais la question est : est-ce que nous allons vouloir employer notre intelligence et notre bonne volonté… » (extrait d’une émission de France Culture de 1961
[3] Extrait de la conclusion générale (volontairement courte) du document de 42 pages rédigé par Jean-Marie Rossinot pour Galilée.sp. Le document en format PDF est téléchargeable ici