Premier séminaire de Galilée sur le thème de la philosophie politique de l’Etat contemporain
« L’Etat républicain aujourd’hui : quels défis, quelles solutions ? »
Tel était le thème du séminaire organisé par Galilée.sp le 17 octobre dernier dans les locaux de l’OCIRP, rue de Marignan à Paris, avec le soutien de la CASDEN, qui a sponsorisé la nouvelle édition de l’Ouvrage de Galilée.sp « où va la fonction publique ? ».
Premier d’une série de quatre, ce séminaire, qui a réuni une trentaine de participants, faisait suite à la publication du rapport sur « La philosophie politique de l’Etat contemporain », rapport demandé par Thierry Mandon, alors Secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat.
Gilbert Deleuil, Vice-Président de Galilée.sp et animateur de cette soirée, a rappelé qu’il s’agissait, au cours de ces séminaires, d’enrichir ce document par une mise en débat et en perspective dans le cadre des échéances électorales à venir.
Les deux intervenants de cette soirée étaient Catherine Gras, Présidente de Galilée.sp et Jacques Fournier, haut fonctionnaire, ancien Président de Gaz de France et Président du Conseil d’administration de la SNCF, Président d’honneur du CIRIEC-France.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages traitant des services publics, de l’économie en général et de l’économie sociale et solidaire en particulier, ainsi que des questions sociales. C’est aussi un blogueur très actif, notamment sur les questions liées à l’action publique.
Galilée.sp : les fonctions publiques au cœur de l’innovation
Catherine Gras a présenté Galilée.sp, « think tank » créé en 2011 par des fonctionnaires, avec d’autres partenaires issus d’autres secteurs, au sein d’une association loi 1901, autour de 3 axes, piliers de son action :
- Un constat d’impuissance et de désenchantement: « rien ne va plus » dans des fonctions publiques soumises à des réformes permanentes, d’inspiration néo-taylorienne, qui montrent leurs limites : New Public Management, RGPP…S’y ajoute également une « doxa » malthusienne, avec une obsession : la dette, la dette… les fonctionnaires sont synonymes de dépenses et de coûts. L’idée de Galilée.sp est de promouvoir une autre culture.
- Une crise profonde: Le pays traverse une crise aux facettes multiples : crise de confiance, crise du lien, crise de l’engagement au service de l’intérêt général, ignorance de l’humain.
- La nécessité d’une mise en mouvement: Galilée.sp s’engage auprès des fonctionnaires et veut les accompagner pour combattre l’enlisement dans des représentations négatives et douloureuses. Dans sa charte, l’association rappelle à la fois son attachement au Statut, qui contrairement à ce qui est trop souvent dit, permet des adaptations, et les actions menées pour mettre les fonctions publiques au cœur de l’innovation.
Le Rapport : ses constats
Environ 40 personnes ont participé à sa rédaction : fonctionnaires, mais aussi retraités, syndicalistes, chefs d’entreprises …
Quels constats ?
- La défiance : il existe une défiance par rapport à la chose publique. Ce qui est paradoxal, car le besoin d’Etat est toujours fort : police, justice, emploi, éducation (l’Etat « sauveur »).
Les déserts ruraux ne cessent de s’étendre alors que les grandes agglomérations sont surchargées. Ce qui est inquiétant, c’est cette perte de lien, le doute qui s’installe, le désengagement, les confusions d’ordre sémantique et politique : les concepts de politique(s) publique(e)s, fonction publique, services publics sont devenus très « flous ». Du coup, on libère des pulsions, on attaque les grandes fonctions et missions de l’Etat, on assiste à la montée des extrémismes, au retour de l’obscurantisme.
Pourtant, on a besoin d’une vision claire, une vision à long terme, car l’intérêt général est selon l’expression de Catherine Gras « un métier à long terme ».
- Les faux procès : il faut rectifier le tir sur certaines données, notamment celles concernant le nombre de fonctionnaires, leurs salaires, leurs missions et obligations.
Il y a à l’heure actuelle 5 400 000 fonctionnaires et agents publics dont 2 400 000 dans la fonction publique d’Etat, 1 900 000 dans la fonction publique territoriale, 1 100 000 dans la fonction publique hospitalière. Si l’on compare les salaires moyens dans le public et le privé, la différence n’est pas vraiment significative : 2185 euros pour le public, 2202 euros pour le privé.
Le « tous pourris » touche non seulement les politiques, mais également les fonctionnaires… Or, ce sont les plus faibles qui en font généralement les frais… Alors que le mode de recrutement par concours, les droits et obligations du Statut général sont autant de remparts contre les risques de corruption.
Des pistes de solutions…
- Des solutions : Galilée.sp n’a pas trouvé la panacée universelle, mais propose de porter un regard neuf sur la fonction publique et son fonctionnement, en travaillant de manière ouverte, sans monopole (avec des personnes issues aussi bien du public que du privé), en développant de nouvelles méthodes telles que le coaching et la créativité pour accompagner et trouver des solutions avec les fonctionnaires, mais également avec les citoyens afin de « réaligner l’administration, les services publics et le /la politique ».
L’évolution du rôle de l’Etat
Pour brosser un « panorama » du rôle de l’Etat et présenter les deux thématiques qui lui tiennent à cœur, à savoir la notion d’Etat stratège et l’économie des besoins, Gilbert Deleuil donne la parole à Jacques Fournier.
Une longue transition…
Le cadre historique
Un premier constat est posé : l’Etat est dans une période de transition. Commencée avec la fin de la monarchie et la période révolutionnaire au cours de laquelle s’affirme la volonté populaire d’une organisation centralisée, cette transition se poursuit tout au long des 19ème et 20ème siècles jusque dans les années 70 où l’on assiste à un élargissement des champs d’intervention de l’Etat (développement économique, politiques sociales). On passe alors de la notion d’Etat régalien, à celle d’Etat interventionniste, d’Etat providence, qui va se trouver rapidement confronté à des faits nouveaux :
- Le retour au libéralisme, et le développement du néo-libéralisme
- Une construction européenne d’inspiration libérale
- La mondialisation de l’économie qui modifie les rapports entre Etat(s) et marché.
Le cadre géographique
A côté de l’Etat Nation se développe une gouvernance multi-niveaux (Europe, monde) ce qui a un impact sur la manière d’agir de l’Etat notamment dans ses rapports avec les individus, sa population.
L’Etat Nation n’est plus le seul niveau de l’action publique… Or, comme le rappelle Jacques Fournier en citant l’anthropologue Pierre Legendre« L’État Nation est le montage qui permet à la Nation de tenir debout ».A l’heure de la mondialisation, la liaison Etat/Nation reste forte. Il n’est pour s’en convaincre que de considérer ce qui se passe par exemple au niveau de la Palestine qui constitue une nation, mais qui n’est pas reconnue en tant qu’Etat…
L’Europe
Les tenants de l’idée européenne verraient bien une Europe devenant une Europe Nation, une Europe fédérale à l’image de la Suisse ou des Etats-Unis. Jacques Fournier pense pour sa part qu’on est très loin d’aboutir à une telle situation. D’où les difficultés et les turbulences de la période actuelle.
Pour sortir de cette situation, deux méthodes s’opposent :
- Celle consistant à commencer par une réforme des institutions
- Celle consistant à avancer par programme et à vérifier qu’on fait les choses dans le « bon sens ».
La première méthode avait été « expérimentée » lors de l’élaboration de la constitution européenne (années 2004/2005). Le Traité constitutionnel a été rejeté par la France et les Pays-Bas lors des référendums de 2005…
La deuxième méthode semble présenter moins de risques, à condition de s’organiser et de prendre les choses dans le bon sens pour les réussir. Pour Jacques Fournier, La mise en place de l’Euro était prématurée, car les structures qui devaient soutenir la création de l’union monétaire n’existaient pas.
Il évoque à ce propos le dernier livre de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, dont le titre n’incite guère à l’optimisme : « l’Euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe ».
Le monde
Les problèmes se posent de plus en plus au niveau de la planète et pour tenter de les résoudre (migrations, écologie, démographie, commerce, industrie…), on a multiplié les institutions (ONU, OCDE, G8, G20…), agences et groupements régionaux (Mercosur, APEC…) qui ajoutent à la complexité et contribuent à créer un sentiment de désordre au niveau mondial.
Les régulations et réglementations ne se font plus à la seule échelle d’un pays et sur ce plan, l’impact de la mondialisation sur l’Etat Nation est bien réel que ce soit pour les activités privées ou pour le secteur de l’administration. Malgré les vagues successives de déréglementation, l’Etat continue à jouer un rôle prépondérant en matière de services publics pour la satisfaction des besoins des populations.
Les rapports entre l’Etat et le marché
Il s’agit du deuxième thème abordé par Jacques Fournier dans son intervention pour cerner les contours des interventions de l’Etat sur le marché et hors marché et identifier d’abord deux périodes bien distinctes :
- Celle de l’immédiat après-guerre avec un Etat très présent qui intervient dans le cadre d’une économie dite « dirigée ». C’est l’époque des grandes entreprises publiques créées pour deux raisons essentielles : la satisfaction des besoins de la population, la reconstruction de la politique industrielle (SNCF, EDF, Régie Renault).
- Celle de la « poussée libérale » des années 70 avec la levée des contrôles, une réglementation beaucoup plus souple et un phénomène de banalisation de l’entreprise publique. Les monopoles cèdent le pas face au concept de « concurrence libre et non faussée ». Au cours de cette même période, on assiste à l’apparition des A.A.I. (Autorités Administratives Indépendantes) chargées d’assurer la régulation dans les secteurs des transports, de l’énergie, des télécommunications… Ce qui entraîne une réduction significative du champ d’action de l’Etat.
En France, le « hors marché », (services publics / secteur collectif) représente 22 % du PNB. C’est une véritable production, traitée comme telle dans les comptes de la nation.
Dans ce cadre du « hors marché », ce n’est pas la recherche du profit qui intervient, mais la satisfaction des besoins de la population sur la base d’un droit égal d’accès, de la gratuité (ou la quasi-gratuité) des prestations et la poursuite de l’intérêt général.
Mais du fait des contraintes budgétaires imposées par l’Union européenne (pas plus de 3% de déficit, pas plus de 60 % de dette publique), l’Etat va adopter des mesures et des méthodes qui vont avoir pour effet de dégrader les services publics, le fonctionnement des administrations publiques. Le but n’étant plus de faire mieux, mais de faire moins en recourant à de nouveaux acteurs et de nouvelles formes d’intervention : opérateurs privés, sous-traitance, partenariats public-privé (PPP).
L’introduction des méthodes de l’entreprise dans l’administration
Deux faits marquent le début des années 2000 :
- l’adoption de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances) va enclencher une transformation radicale des règles budgétaires et comptables de l’Etat.
- La mise en œuvre du « New Public Management », transposition des méthodes managériales du privé aux administrations publiques avec la remise en cause possible du Statut général, l’un des fondements de la fonction publique en France.
Des politiques de « réforme de l’Etat » s’enclenchent dans la foulée : la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques), puis la MAP (Modernisation de l’Action Publique). Le Statut général est sur la sellette.
La marchandisation de la fourniture des prestations
Ce qui était gratuit a tendance à marquer le pas. Du coup, on constate une augmentation des inégalités.
Rapports de l’Etat avec la société, les individus, les groupes
A ce stade de son intervention, reprenant les éléments développés par Catherine Gras, Jacques Fournier observe la manière d’agir de l’Etat vis-à-vis de la société et pose la question de savoir si l’on peut encore parler de la puissance publique ou plutôt de l’impuissance publique…
Certains phénomènes et/ou évolutions sont à l’œuvre qui renforcent la pertinence de cette interrogation :
Une évolution d’ordre culturel
Nous sommes à l’ère de la désacralisation de l’Etat. Le scepticisme et la dévalorisation du politique sapent les fondements de l’Etat et font émerger de nouveaux problèmes et problématiques.
Citant le livre « Après le Léviathan, l’Etat dans la grande transition » de Yannick Blanc, Préfet du Val d’Oise, Jacques Fournier met en lumière les questions et réflexions de l’auteur sur la remise en cause de la « matrice tutélaire » de l’Etat. Le citoyen du 21ème siècle, et notamment les groupes organisés (ONG, réseaux sociaux, la «société civile ») non seulement n’acceptent plus d’être sous la tutelle de l’Etat, mais n’hésitent pas à s’opposer frontalement à lui, comme à Notre Dame des Landes, Calais, ou les policiers attaqués récemment.
Pour Jacques Fournier, il s’agit de prendre le problème par les deux bouts.
Prendre le problème par les deux bouts :
- Par la réaffirmation de l’autorité de l’Etat par l’éducation, le civisme, mais aussi par l’application de la règle de droit, la prise de sanctions
- Par une conception différente des modes d’action de l’Etat par rapport à la population : il est souhaitable de voir se développer les communautés d’action (coopération public/privé), de savoir s’adapter aux besoins différents des uns et des autres par la diversification de l’offre (exemple dans le domaine de l’éducation), de pratiquer la décentralisation horizontale au niveau des unités du service public par la prise en compte des réalités de l’environnement, des acteurs en présence, par l’élaboration de projets.
Enfin, le service public doit se démocratiser, avec un système de consultation à tous les niveaux. L’administration de type « classique » laisse alors la place à un mode de fonctionnement basé sur la co-production de services publics entre ces services et ses utilisateurs. Jacques Fournier est bien conscient du côté utopique de cette idée, mais pense qu’il faut tendre vers ce nouveau mode de fonctionnement.
Le concept d’Etat stratège
Dernier thème abordé par Jacques Fournier : celui de l’Etat stratège, en référence à l’ouvrage collectif du CIRIEC-France « Quel modèle d’Etat stratège en France ? ».
La réflexion menée par les universitaires et les praticiens dans ce livre est bien adaptée à la période actuelle, afin de permettre à l’Etat de prendre en compte les évolutions en cours, d’adapter son action à la pluralité des acteurs et à la complexité des problèmes.
De son côté, « France Stratégie » qui a succédé au Commissariat au plan et au Centre d’analyse stratégique, mène des études sur les questions en lien avec ce concept d’Etat stratège, mais il s’agit de travaux d’experts qui restent trop confidentiels. Des rapports sortent mais qui ne trouvent pas d’application dans le monde « réel ».
Alors y-t-il vraiment une stratégie dans l’action publique aujourd’hui ? A cette question, Jacques Fournier répond : oui, dans les domaines de l’environnement (cela s’est vérifié avec la COP 21) et de l’éducation (avec la Loi Peillon, même si celle-ci reste inachevée…), mais déplore que la démarche gouvernementale ne se soit « jamais ordonnée autour de ces perspectives stratégiques » et qu’il n’existe pas un dessein d’ensemble.
Jacques Fournier pense qu’il faut développer le concept d’Etat stratège autour de 3 axes :
- Un encadrement prospectif des évolutions à long terme, ce qui implique de s’engager à l’international, et d’être moteur en développant la recherche et l’enseignement supérieur
- Revenir à une programmation des fonctions collectives à horizon de 5 à 10 ans. Les outils sont là…
- Un pilotage de l’économie de marché à moyen terme. Et mettre en œuvre la loi Sas (du nom de la députée écologiste Eva Sas) qui vise à la prise en compte d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable dans la définition des politiques publiques. Cette loi votée en 2015 est toujours en attente des décrets d’application.
A l’issue de ces deux interventions, les participants à ce premier séminaire ont pu poser leurs questions et alimenter le débat sur ce thème de la philosophie politique de l’Etat contemporain, sujet de 3 autres rencontres programmées pour le 23 novembre (Sécurité intérieure et extérieure de l’Etat républicain), le 18 janvier (L’action publique dans l’économie) et le 21 février 2017 (La laïcité aujourd’hui : enjeux, défis et nouvelles voies).
Le compte-rendu du Séminaire du 23 novembre 2017 sur la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat républicain sera prochainement publié sur ce blog.
Si vous souhaitez participer aux séminaires de Janvier et Février 2017, inscrivez-vous auprès de Gilbert Deleuil gildeleuil@gmail.com