Lorsque Michel Houellebecq livre sa vision de l’Europe dans son dernier livre « Soumission », Pierre Goudin, membre fondateur et administrateur de Galilée.sp, Expert national détaché auprès du Parlement européen, réagit en signant une tribune libre parue dans le quotidien« La Tribune » le 4 mai dernier.
Les opinions exprimées dans cet article le sont à titre personnel. Elles n’engagent que son auteur et ne représentent pas la position des Institutions sur ces sujets.
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Dans son dernier roman, Soumission, l’écrivain Michel Houellebecq imagine qu’en 2022, les Français élisent à la magistrature suprême un Président musulman et acceptent, atones, consentants et soumis, l’instauration progressive de la charia dans l’espace public, à commencer par l’éducation. Du contenu de ce roman, des thèses qu’il expose, des fantasmes qu’il véhicule, tout a déjà été dit, jusqu’à l’excès, sa campagne de promotion ayant d’une certaine façon bénéficié de la tragique actualité des attentats terroristes du début de l’année, contribuant à multiplier ces polémiques éphémères dont se délecte le microcosme germanopratin. Sans doute l’ouvrage n’en méritait-il pas tant, l’esprit de sérieux dont il se pare tout du long dissimulant mal l’ironie désabusée, l’approche nihiliste et, au fond, l’indifférence de l’auteur pour son sujet comme pour ses personnages.
Une image révélatrice
L’image que M. Houellebecq a et donne de l’Europe est particulièrement révélatrice de cet état d’esprit: sous un vernis raisonnable, ratiocineur, tout n’est que désinvolture et approximations. Commençons par ce qui, au sens propre, relève de l’anecdote: lors d’une conversation décisive, à but prosélyte, l’un des personnages importants du roman explique sa conversion à l’islam par le traumatisme qu’il a ressenti en apprenant… la fermeture du bar de l’hôtel Métropole, à Bruxelles. La fermeture de ce lieu, joyau de l’Art nouveau et de ce fait symbole d’un certain apogée de la culture et du rayonnement de l’Occident, incarnerait ainsi le « suicide » irrémédiable de notre civilisation. On pourra s’étonner qu’un prétexte aussi futile soit lesté d’un tel poids symbolique et qu’il conduise à une décision aussi radicale et lourde de sens qu’une conversion religieuse. On pourra surtout regretter que le personnage, et les lecteurs, n’aient pas su que le bar en question n’avait fermé que pour restauration et qu’il est aujourd’hui comme hier possible de jouir de son cadre somptueux. D’un coup, le raisonnement spécieux sur lequel le romancier fonde le geste de son héros s’effondre, et se dévoile la fumisterie dont relève une grande partie du récit; question conversion, n’est pas Claudel qui veut.
Un vocabulaire pseudo technocratique, mais qui sonne faux
Un peu plus loin, ressuscitant cette vieille lune du rétablissement des empires, qu’ils soient romain ou surtout ottoman (et donc, musulman), Houellebecq prête au Président français l’intention « de déposer une proposition de directive européenne visant à transférer le siège de la Commission à Rome ». Là encore, le propos se veut sérieux, empruntant à un vocabulaire pseudo-technocratique qui en impose. Le problème est que pour qui connaît un tant soit peu le fonctionnement de l’Europe ou plus précisément, de l’Union européenne cette phrase n’a aucun sens! En termes de compétences, de procédures, de fonctionnement concret des institutions, tout sonne faux. En revêtant l’apparence mais seulement l’apparence de la compétence et de la crédibilité, cette phrase fait penser à l’œuvre d’un faussaire dont la maladresse trahirait l’artificialité et la vacuité. « Le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête » disait Pascal….
Le français, langue de travail?
De même, en évoquant l’idée fantasmatique d’une adhésion des pays du Maghreb à l’Union européenne, qui aurait au moins pour conséquence positive d’y renforcer le poids de la francophonie, un des personnages du roman diagnostique que « tôt ou tard, il y aura un projet de directive imposant le français, à parité avec l’anglais, comme langue de travail dans les institutions ». Idée intéressante, séduisante même, si ce n’est que le français est déjà une des trois langues de travail principales de l’Europe (et en pratique, une des deux langues d’usage), et cela depuis… 1957. D’autres exemples pourraient être cités qui vont dans le même sens, telle cette description lapidaire du quartier européen de Bruxelles, « cette forteresse lugubre, entourée de taudis », qui laisse à penser que M. Houellebecq ignore probablement la définition du mot taudis.
Un propos pernicieux
Certes, Soumission n’est jamais qu’un roman. Certes, la liberté d’invention et de narration de l’écrivain, son droit à la licence poétique, au travestissement de la réalité, sont absolus. Certes encore, la méconnaissance dont l’auteur témoigne quant à la réalité de l’Europe ne fait que refléter celle de beaucoup de citoyens face à un projet et à une construction de plus en plus complexes, désincarnés et difficiles à expliquer. Le propos de Michel Houellebecq n’en est pas moins pernicieux car le traitement approximatif et désinvolte qu’il applique à l’Europe, expédié dans la toute dernière partie de son œuvre, se dissimule derrière le vernis de la plus grande respectabilité et le jugement d’esprits présentés comme cultivés et éclairés; ce faisant, aussi modestement que ce soit, il contribue à ancrer dans l’esprit de ses lecteurs des contre-vérités qui préparent et favorisent les dérives populistes dont son livre est une illustration quelque peu fantaisiste.