30/05/21
Gallilée.sp, thint-tank opérationnel dédié à l’avenir du service public, choqué par le meurtre de Samuel Paty et sa symbolique, a souhaité apporter une contribution citoyenne à la protection des enseignants et, son corollaire, la promotion des valeurs de la République. L’école est un enjeu crucial à la fois pour la République et ses adversaires. La Nation se doit de la soutenir avec fermeté et lucidité.
I – L’ECOLE N’EST PAS RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX
Il est maintenant de science certaine que le modèle d’intégration français, qui avait bien fonctionné jusqu’aux crises économiques des années 70, se trouve depuis lors en très grande difficulté malgré différentes alertes (cf. déclaration de Georges Marchais de 1980 sur les immigrés et l’emploi, foulard de Creil en 1989, parution de l’ouvrage « Les quartiers perdus de la République » en 2002, rapport de Jean-Pierre Obin en 2004 etc.).
La question de la régulation des flux d’immigration fait débat. Celui-ci peut expliquer nombre de dérives individuelles. Mais le problème le plus massif est celui de l’intégration d’une population importante déjà installée, souvent de nationalité française et d’origine musulmane, maghrébine ou subsaharienne. Hélas, les anciens outils d’intégration des quartiers populaires ont disparu : emploi, service militaire, patronage religieux, activités tribuniciennes et de reliance de partis politiques, rôle des syndicats, associations diverses de jeunesse et d’éducation populaire, bureaux de police, divers services publics…
Nouveaux défis pour l’école de la République
Dans ce contexte nouveau, également marqué par une large substitution de l’immigration familiale à l’immigration de travail, le développement méthodique de réseaux islamiques, avec le soutien d’Etats étrangers, est venu accentuer jusqu’au paroxysme le fossé culturel entre les jeunes de ces quartiers populaires et le reste de la population. A cet égard, il est instructif de rappeler qu’une étude de l’INED et de l’INSEE de 1992 se montrait, à l’époque, optimiste quant à l’intégration culturelle de ce populations ! …
Aujourd’hui, une part très importante de la jeunesse concernée, souffrant d’un conflit de socialisation entre sa culture familiale et celle de l’école de la République, se trouve en situation de franche rupture avec notre société (primat de la religion sur la loi ou par rapport à la science, antisémitisme larvé, rejet des symboles républicains et du récit national…). Il y a une « psychologie de la radicalité ». Affectés d’une profonde crise identitaire, la plupart versent dans le désœuvrement et la rancœur, certains dans la délinquance, d’autres dans le fondamentalisme religieux voire dans le djihad.
A propos de laïcité…
La laïcité à la française, née au 18ème siècle et développée à la fin du 19ème siècle se voit donc brutalement questionnée par le développement de l’islamisme. Dans le même temps, le communautarisme de type anglo-saxon et, aujourd’hui, « la culture woke » (cancel culture, décolonialisme, racialisme, néo-féminisme etc.) semblent s’installer dans l’esprit de nombreux français. De récents sondages ont permis d’en mesurer l’ampleur chez les jeunes et jettent le trouble sur la consistance de l’engagement laïque des enseignants et de l’institution scolaire.
Prise en tenaille, l’Education nationale se heurte donc aujourd’hui à une sérieuse problématique d’adaptation, « relativement » nouvelle, à laquelle elle était peu préparée.
Un Plan Marshall pour l’école ?
Dans ce contexte, comment nos enseignants peuvent-ils redevenir les « Hussards noirs de la République » au 21ème siècle ? A quelles conditions matérielles, intellectuelles et morales ?
Au-delà des mesures, fort bienvenues, sur la protection juridique des enseignants dans le cadre de la loi sur le séparatisme » et dans la ligne du discours présidentiel des Mureaux (02/10/20) le besoin se fait sentir d’une sorte de « plan Marshall matériel et moral pour l’école ».
Mais la loi sur le séparatisme n’attaque pas le mal à la racine, les interdictions ne suffisent pas si elles ne sont pas accompagnées par des mesures socio-éducatives spécifiques. Et les enseignants, dont l’autorité est entamée par un certain déclassement social, ne peuvent assurer seuls cette mission.
II – CREER LA NOUVELLE ECOLE DE LA REPUBLIQUE
L’école n’est pas « hors sol », son avenir ne peut s’envisager que dans le cadre d’une vision prospective systémique mettant en jeu d’autres politiques publiques : régulation de l’immigration, lutte contre la ghettoïsation de l’habitat, intégration sociale et culturelle, lutte contre l’islamisme… Cependant, elle a aujourd’hui besoin d’un nouveau « contrat » avec la Nation et d’une nouvelle stratégie.
Un nouveau contrat avec la Nation
Au tout début de la IIIème République, alors qu’il fallait l’affermir, l’école avait clairement reçu la mission de former ses citoyens.
Dans la période actuelle de perte de repères républicains, une sorte de refondation s’impose.
Tant les enseignants que les autres personnels de l’école doivent être pleinement pénétrés et porteurs des valeurs, des principes et de la culture républicaine française afin de toucher efficacement les élèves.
- L’Ecole est un creuset républicain majeur : c’est là où les enfants apprennent la liberté, l’égalité, la fraternité et des connaissances et qu’ils s’imprègnent de la culture laïque qui les rend possibles. La laïcité est la clé de voûte de notre dispositif républicain.
- Il est urgent de redécouvrir la laïcité, faire entendre qu’elle n’est dirigée contre aucune religion.
- La culture laïque est émancipatrice : elle affranchit la loi civile de la loi religieuse, la raison de l’obscurantisme, confère les mêmes droits sans distinction d’origine, de croyance, de sexe ou de sexualité.
- La laïcité garantit un égal accès aux libertés ; en particulier la liberté intellectuelle (liberté de penser selon la raison) et spirituelle (liberté de croire, de ne pas croire ou de changer de religion…).
- La laïcité n’est pas une anomalie française : d’autres pays, malgré les reculs contemporains, l’ont explicitement mise en œuvre (y compris dans des pays musulmans…) ; le rejet de la théocratie est commun à toutes les démocraties avec des modalités, il est vrai, diverses.
- La laïcité est la seule réponse raisonnable au « séparatisme » et au risque de guerre civile.
Une nouvelle stratégie
Principaux points clés :
- Se doter d’outils pour la bataille culturelle et développer le contre-discours
- Professionnaliser l’enseignement des valeurs de la République et de la formation des intervenants
- Approfondir le partenariat de l’école avec les acteurs locaux de la politique de la ville
- Intégrer la sécurité, la prévention des fondamentalismes dans les missions des établissements
- Développer la sécurité des enseignants dans le cadre d’une approche globale…
III – DES PROPOSITIONS CONCRETES
PROPOSITIONS GENERALES SUR LA DIFFUSION DES VALEURS DE LA REPUBLIQUE AU SEIN / AUTOUR DE L’ECOLE
Se doter des outils de la bataille culturelle…
- Constitution d’un collège national des influenceurs / influenceuses de la République
Il réunirait des personnalités pouvant promouvoir la laïcité et les valeurs de la République en utilisant tous les médias accessibles (quelques noms : Erik Orsenna, Elisabeth Badinter, Cynthia Fleury, Abd al Malik, Leïla Slimani, etc).
- Créer l’Institut National de la laïcité scolaire
Il semblerait judicieux de mettre en place un institut de la laïcité scolaire qui serait une instance de réflexion avec des experts et des personnalités reconnues, il pourrait être également un lieu de concertation sur la mesure des phénomènes, la stratégie à mettre en place etc.
- Créer une chaire universitaire « laïcité »
Cette chaire universitaire pourrait devenir l’amorce d’une école doctorale. Nous plaidons avec Gilles Kepel pour le renforcement de la recherche universitaire sur l’Islam politique et ses relais.
- Redéfinir les missions des établissements d’enseignement
Parmi les missions des établissements, peut-être conviendrait-t-il d’ajouter la sécurité et l’animation socio-éducative en lien avec les partenaires extérieurs. De même ne faudrait-il pas rendre obligatoire l’existence d’un volet laïcité dans le projet d’établissement des EPLE (établissements publics locaux d’enseignement) et intégrer les actions en découlant dans l’évaluation triennale du Contrat d’Objectifs ?
- Formation massive à la laïcité des personnels enseignants et administratifs
Formation initiale et continue des enseignants, des cadres (proviseurs et principaux, Conseillers Principaux d’Education…) et plus largement de tous les intervenants dans l’école, y compris les agents dépendants des collectivités territoriales concernés par les valeurs de la République, la laïcité, l’histoire des religions. En ce qui concerne les enseignants, il faudrait veiller à ce que leur formation ne soit pas entravée par le principe de liberté pédagogique semble-t-il en vigueur dans les instituts de formation. Un plan massif de rattrapage est nécessaire. Il faudrait y associer l’Institut des Hautes Etudes de l’Education et de la Formation qui pourrait devenir l’opérateur national.
- Eriger l’Education morale et civique (EMC) en véritable discipline avec un corps d’enseignants spécifique
Il faudrait envisager la création d’un CAPES ou d’une agrégation spécifique, voire instaurer une certification comme cela s’est fait pour l’informatique et les sciences du numérique.
Actuellement, l’EMC est enseignée par les professeurs d’histoire-géographie-éducation civique et parfois, par les professeurs de philosophie et de lettres en raison de leur proximité avec les grands textes fondateurs de la civilisation dont nous sommes les héritiers. Cette cohabitation ne poserait aucun problème particulier dès lors que ces questions sont examinées en conseil pédagogique.
Bien évidemment, l’apprentissage des connaissances doit faire l’objet d’une évaluation régulière et figurer au programme de tous les examens (y compris le Bac).
Un bilan et une réflexion devraient être conduits sur l’enseignement des faits religieux.
Les programmes d’EMC devront probablement être revisités. Ils devraient comporter à tous les niveaux une initiation au Droit (la République s’inscrit dans un Etat de droit…).
- Elargir la mission des « Cités éducatives » aux valeurs de la République.
Afin de mieux assurer la prise en compte des valeurs de la République, il est nécessaire de mieux articuler l’école avec la ville en approfondissant la logique de cet outil partenarial véritablement novateur récemment mis en place (2019) et en élargissant la mission des Cités éducatives . Elles peuvent constituer un puissant outil d’ouverture réciproque de l’école et de son environnement local. Il faut éviter la discontinuité entre le travail des enseignants et celui des formateurs et intervenants sociaux auprès des jeunes et de leur famille dans le quartier. L’école doit s’articuler avec les initiatives prises par les collectivités territoriales en partenariat avec l’Etat dans le cadre de la Politique de la Ville.
En raison du formatage familial et social qu’ils connaissent, il ne sert à rien de faire réciter par cœur à certains élèves un « catéchisme républicain ». Ils ne peuvent s’approprier ces notions qu’au travers d’un processus d’apprentissage psycho-social complexe.
En complément de l’action proprement scolaire, et sur la base d’un ciblage conjoint, il convient « d’aller vers » les publics les plus problématiques dans le cadre d’une approche de type « éducation spécialisée » ou « éducateurs de rue » voire « travailleur social ». Il s’agit d’établir avec chacun d’eux une relation personnalisée, hors des codes habituels de l’Education nationale, de créer les conditions d’une mise en confiance et d’un dialogue.
- Redynamiser la réserve citoyenne : « les conférenciers de la République »
Il serait très utile de relancer la réserve citoyenne de l’Education Nationale, semble-t-il actuellement sous-utilisée, en la faisant bénéficier de la compétence de personnalités, des administrations et des associations intervenant habituellement auprès des jeunes en difficulté.
Ses membres, mis en valeur, deviendraient les « Conférenciers de la République dans les écoles ».
- Initier les familles à la laïcité au travers des centres sociaux
Dans les quartiers de la politique de la ville, les centres sociaux dépendant largement des caisses d’allocations familiales, sont souvent, avec les écoles, les éléments les plus avancés de la République auprès des populations. Ils jouent déjà un rôle important d’intégration sociale et culturelle (par exemple par l’organisation de cours d’apprentissage du Français pour les mères de famille…).
- Former les acteurs de l’école à la psychologie des personnes radicalisées.
Des travaux très intéressants ont été produits sur la psychologie des personnalités radicalisées (voir notamment ceux de Jean-William Wallet). Ils peuvent utilement s’intégrer dans un programme de formation des fonctionnaires de l’Education nationale.
- Créer des équipes spécialisées « autorité et du dialogue » au sein des établissements
Au fil des années on a assisté à une diminution de toute une série de personnels (médecins, infirmières, psychologues, pions etc.) qui apportaient une présence adulte, assurait un certain encadrement social au sein des établissements, pouvaient être des détecteurs de signaux faibles, des instances informelles de dialogue. Ne pourrait-on pas, au moins dans les REP (Réseaux d’Education Prioritaire, procéder aux recrutements nécessaires ?
De nouveaux métiers existent, notamment celui des « médiateurs » ; il faut également en recruter. Il s’agit de créer sur le terrain, des équipes pluridisciplinaires de « veille active de la qualité républicaine des rapports sociaux » travaillant en réseau mais coordonnées au niveau de la Cité éducative.
- Une méthode partant du terrain : différencier les dispositifs selon la géographie scolaire.
Comme cela devrait être systématiquement le cas dans les quartiers « difficiles », les moyens déployés par l’Education nationale doivent être exceptionnels et adaptés au contexte local. Il s’agit de pouvoir traiter les situations de manière différenciée en fonction de l’acuité des problèmes.
- Mobiliser « le monde de la Culture »
Le ministère de la Culture pourrait recentrer un peu ses actions en direction des publics sensibles au message islamiste et des « influenceurs » : soutien à l’élaboration d’outils pédagogiques créatifs, films, bandes dessinées, dessins animés, musique (mobilisation de rappeurs…) etc.
Sécurité des enseignants
La sécurité personnelle des enseignantssera d’autant mieux assurée que les élèves, et leur famille, auront bien intégré les valeurs de la République et le principe de laïcité. Malgré les efforts bien réels accomplis par l’institution, un grand nombre d’enseignants se sentent isolés et peu soutenus. Or, la « sécurité est une construction » qui ne peut être entièrement externalisée…
- Former les enseignants, les assistants d’éducation et les CPE aux enjeux de sécurité
Exercice de l’autorité, prévention des crises, gestion de crise, gestion des conflits, signalements…
- Affiner le partenariat avec la police et la justice
Depuis 1998 tant au niveau académique qu’à celui des établissements des relations institutionnelles ont été établies avec la Police Nationale (sécurité publique et renseignement territorial) et la Gendarmerie Nationale et, moins fréquemment, avec la justice à travers les Groupes de Liaison pour le Traitement de la Délinquance (GLTD) qui mériteraient d’être réactivées. Les échanges réguliers avec le RT (renseignement territorial) revêtent une importance particulière puisque les problèmes évoqués sont au cœur de ses missions et que le sujet est largement d’origine extra-scolaire. La sécurité publique est plus tournée vers la sanction pénale ou l’intervention en flagrant délit… Autant dire que l’éducation nationale ne peut pas déléguer entièrement les questions de sécurité.
- Surveillance des réseaux sociaux
Etant donnée l’importance prise par les réseaux sociaux dans la vie scolaire des élèves, il est nécessaire de s’organiser pour les surveiller. Veille des réseaux sociaux au niveau des cellules laïcité ? C’est malheureusement un angle mort de notre action. Longtemps, les principaux et les proviseurs de lycée ont été réticents à investir cette réalité virtuelle de leurs établissements. Or, nombre d’informations passent par ces canaux, déterminant très largement le climat de la vie scolaire. La veille doit se situer à l’échelle des établissements par la création d’un emploi pérenne de « community manager » pour la mise en ligne des informations et la veille sur les réseaux sociaux. En d’autres termes, il faut apprivoiser cet outil pour mieux le contrôler en modernisant la conception des secrétariats dont l’organisation actuelle est frappée d’obsolescence.
- Renforcer l’aide aux victimes et les cellules psychologiques
On pourrait envisager le renforcement du rôle des policiers-référents et pourquoi pas, le détachement à mi-temps ou à plein temps d’un officier de police judiciaire dans les EPLE en fonction de leur taille et de la réalité des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Il existe une variété d’initiatives qui peuvent être déployées dans le cadre de la réflexion opérationnelle des GLTD (Groupes locaux de traitement de la délinquance) ou de leur équivalent actuel.
- Développer le recueil d’incidents dans les établissements pour affiner l’analyse de la menace au niveau du Haut secrétariat de Défense et de la Sécurité Nationale
Il existe déjà un recueil numérisé des incidents de vie scolaire géré par les EPLE. Cette plate-forme est reliée aux Directions des services départementaux de l’éducation nationale DSDEN et aux Rectorats. Le dialogue ascendant et descendant est permanent. En revanche, Il faudrait renforcer la mission de la Haute-Autorité de Défense en créant un chargé de mission pour chaque rectorat de région académique. L’analyse de l’information à l’échelle locale, en lien avec les services de la SDRT (renseignement territorial), est déterminante pour repérer les menaces.
Il semble que l’adossement aux services du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales doive être mieux organisé pour que les évènements relatifs à la sécurité des personnes et des biens dans le milieu scolaire ou à partir du milieu scolaire soient scrupuleusement recensés puis analysés afin de prescrire des contremesures.
Les auteurs des entorses aux valeurs de la République, impliqués ou mis en cause, doivent être entendus le plus rapidement possible pour recueillir leurs déclarations et porter des appréciations au niveau individuel ou au niveau collectif.
Le lucide discours des Mureaux et le choquant assassinat de Samuel Paty nous obligent à agir en profondeur. Les interdictions ne suffisent pas, elles doivent être accompagnées de bien d’autres mesures …