Par Myriem MAZODIER qui nous interpelle, tous et toutes, avec vigueur !
Il est de bon ton de dénigrer les réseaux sociaux qui seraient la source de tous nos maux par les infox qu’ils véhiculent.
Je n’ai jamais eu cette position :
- D’abord parce que j’ai eu jeune une expérience des pays dictatoriaux communistes et notamment de la STASI et que le premier ressort de la propagande gouvernementale est toujours d’interdire toute autre expression que celle des journalistes officiels. La Chine continue sur cette voie et l’on pourrait prendre comme critère de la liberté d’expression la liberté laissée aux réseaux.
- Ensuite parce que je suis partisane de réprimer et de sanctionner fermement les calomnies et les infox d’où qu’elles viennent ; dans ce contexte il me paraît normal de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’il n’y ait pas d’anonymat devant la Justice. Et je souhaite que les sanctions financières et pénales envers les journalistes des médias classiques comme envers les citoyens coupables de mensonges soient mieux connues du grand public.
- Enfin parce que les réseaux sociaux sont un important vecteur de changement car ils expriment souvent (parfois de manière trop vive) le sentiment de la majorité silencieuse et les évolutions de la société.
Un bon exemple me paraît être l’affaire des viols de Mazan, dans laquelle plus de 50 hommes sont accusés d’avoir violé la même femme, une ouvrière, Gisèle Pélicot, droguée à son insu par son mari, un ouvrier, Dominique Pélicot. Les faits se sont déroulés du 23 juillet 2011 au 23 octobre 2020.
« Un homme aurait drogué sa femme pour la violer et la filmer », Vaucluse Matin, 7 novembre 2020, information qui, en l’absence de personnalité connue, ne suscite pas d’intérêt régional, a fortiori national, mais qui en suscite sur les réseaux sociaux.
Le Midi Libre – 29 septembre 2021 consacre une page à l’affaire Droguée par son mari, elle a été violée par plus de cinquante hommes. « Une affaire hors norme De mémoire de policier comme d’avocat, aucune affaire criminelle de mœurs n’a rassemblé en France autant de suspects : l’affaire d’Outreau comptait 17 accusés. « On est sur une affaire totalement hors norme, par la durée des faits comme par le nombre de participants mis en cause », estime un enquêteur. « C’est un dossier historique », ajoute un magistrat d’Avignon, où l’on s’interroge déjà sur l’organisation matérielle d’un futur procès : la salle de la cour d’assises du Vaucluse n’est en rien dimensionnée pour gérer une audience avec une cinquantaine d’accusés. » Toujours pas d’information nationale, mais indignation générale sur les réseaux sociaux et expression d’un soutien total à la victime…
En avril 2022, Caroline Darian, la fille de l’accusé et de la victime, publie le livre Et j’ai cessé de t’appeler Papa aux éditions Jean-Claude Lattès. Elle fonde l’association « #MendorsPas, stop à la soumission chimique » afin de militer pour une meilleure prise en charge des victimes et la formation des professionnels de santé. Le compte de l’association sur Instagram a 14 200 abonnés. Certains journaux féminins commencent à s’intéresser à l’affaire et en 2023, d’abord le Parisien en février, puis Le Monde en juin en parlent.
Ce qui va faire de cette affaire une affaire internationale suivie par les journaux du monde entier, c’est en septembre 2024 à l’ouverture du procès le désir de la victime de témoigner à visage découvert et son refus du huis clos demandé (pour la protéger) par l’avocat général. Mais l’aurait-elle fait si elle n’avait pas vécu le soutien d’autant d’internautes ? Certains n’ont pas hésité à se déplacer pour venir l’applaudir sur place.
“On va parler de scènes de sexe plutôt que de viols.” Cette phrase, prononcée par le président de la cour criminelle du Vaucluse, lors du deuxième jour du procès, respecte un principe fondamental en matière pénale : la présomption d’innocence. Mais, en salle d’audience comme sur les réseaux sociaux, la bronca a été immédiate. Sur le réseau social X, des internautes s’indignent : “Ça suffit de dire sexe, ce n’est pas du sexe”. L’incompréhension est totale : comment peut-on qualifier de “scènes de sexe” ces séquences, retrouvées dans l’ordinateur du principal accusé, sans volonté d’humilier la plaignante en la présentant comme une menteuse, une exhibitionniste ?
« Monsieur le Président, la justice qui doit passer au 21e siècle ne doit pas s’abreuver des réclamations et demandes des réseaux sociaux, ceux qui cherchent vengeance et non plus justice. » A défaut de huis clos intégral, les avocats des accusés le demandent pour les photos et vidéos de viol que l’avocat général souhaite visionner systématiquement. Le Président tranche (décision qu’il précise n’être pas celle de la Cour mais qui résulte de son pouvoir propre de président) : pas de diffusion systématique et, en cas de diffusion, huis clos. Décision saluée par les avocats de la défense, mais les avocats de la partie civile ont regretté cette décision, « j’ai l’impression que plutôt que de faire bouger les lignes, nous repartons 50 ans en arrière. » « Pour que cette société change, il faut qu’on ait le courage de se confronter à ce qui est véritablement le viol, dans un dossier où il est exceptionnel d’avoir justement la représentation précise et réelle de ce qu’est un viol, et pas simplement une description sur un procès verbal ».
Sur les réseaux sociaux, quasiment tous les internautes mettent en cause les avocats des violeurs et la déontologie de la justice française. Ils saluent la décision de la Cour de cassation qui a (enfin) statué qu’une femme qui dort n’est pas consentante.
Et si c’était la même chose sur d’autres sujets ? Si nous nous intéressions davantage à ce qui s’exprime sur les réseaux sociaux ? Si au lieu de vouloir créer (d’en haut) une démocratie participative dans des cadres bien bornés, les autorités politiques et administratives se préoccupaient de répondre aux réclamations et demandes des réseaux sociaux ? Pas seulement aux ragots, mensonges, infox qui circulent, mais aussi aux cris de rage, plaintes, satisfactions, suggestions, conseils des citoyens. Tout ce qui provient d’en bas.
Non, la base ne se plaint pas du manque de moyens de l’hôpital ou de l’école ou de la police ou de l’administration, elle se plaint de la lourdeur des formalités, de la tracasserie administrative, des humiliations subies, des réglementations impossibles à respecter.