Qui n’a pas entendu parler de l’expression « Connais-toi toi-même » datant de l’antiquité grecque ?
Aujourd’hui on parle de « La connaissance de soi » comme s’il suffisait d’énumérer quelques traits de la personnalité et de ses identités civiles et sociales. Pourtant « La connaissance de soi » est redevenu un thème de développement récent avec l’attrait pour la pratique de la méditation.
De quoi parle-t-on ? Dans la vie trépidante de notre époque où tout va toujours plus vite et où la part de l’humain perd du terrain face au confort matériel et aux autres intérêts, on peut se questionner sur le sens de la vie et surtout se poser la question : pourquoi est-on comme on est (serein ou tourmenté, satisfait ou frustré, bien-être ou mal-être, etc.) ? Souvent on se résigne à penser que c’est comme çà et que c’est normal (i.e. on n’y peut rien) en mettant en cause uniquement des facteurs extérieurs. A mon sens, la méconnaissance de soi et de notre moteur de fonctionnement, le couple émotion-raison, est largement à l’origine de la perte de repères dans nos vies trépidantes.
Les trois textes suivants partagent des expériences personnelles complémentaires : l’apport de la méditation d’abord, puis un voyage dans les connaissances, de l’antiquité grecque jusqu’à nos jours, et finalement une perte de repères momentanée suite à un accident.
Une meilleure connaissance de soi permet de mieux vivre en harmonie avec soi-même et avec son entourage, i.e. avec la réalité !
Bonne lecture !
Jean Oudinot
Du matin au soir, nous autres, êtres vivants ressentons une infinité d’émotions, des émotions positives, des émotions négatives plus ou moins fortes qui se déclenchent malgré nous, touchant notre corps et notre esprit telles que la joie, la tristesse, la colère, la peur, le jugement des autres, la honte, la culpabilité, etc… Chaque émotion est un message pour attirer l’attention sur des besoins à satisfaire.
Ainsi, la peur répond à un besoin d’attachement ou la crainte de l’abandon (Lise Bourdeau).
Nos émotions sont impermanentes et influencent notre façon d’agir. Elles nous font agir, réfléchir, réagir, parfois à bon escient mais parfois à tort et à travers. Ainsi, la méditation de pleine conscience (mindfulness) a été développée et rendue accessible à tous aux États Unis par Jon Kabat-Zinn et en Europe par Francisco Varela puis en France par Christophe André, Matthieu Ricard, Fabrice Midal, Frédéric Lenoir et Jean Oudinot (en ce qui nous concerne).
De très nombreuses études, les neurosciences, la neuro-imagerie fonctionnelle ont apporté la preuve de l’efficacité de la méditation sur notre cerveau et nos émotions. Sa pratique régulière peut nous aider à apprendre à mieux gérer nos émotions et à développer notre intelligence émotionnelle, ce qui est essentiel à notre bienêtre, notre santé, nos relations aux autres et à notre environnement.
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De très nombreuses études, les neurosciences, la neuro-imagerie fonctionnelle ont apporté la preuve de l’efficacité de la méditation sur notre cerveau et nos émotions. Sa pratique régulière peut nous aider à apprendre à mieux gérer nos émotions et à développer notre intelligence émotionnelle, ce qui est essentiel à notre bienêtre, notre santé, nos relations aux autres et à notre environnement.
Comment La méditation peut-elle nous aider à travailler sur nos émotions
La psychologie définit une émotion comme étant un ensemble automatique de réponses adaptatives. Reprenons chaque terme de cette définition :
• Un ensemble
En effet l’émotion mobilise toute notre personne, notre corps, nos pensées, nos comportements, notre biologie, nos impulsions.
Il faut donc apprendre à la décomposer en s’arrêtant pour l’observer : c’est ce que nous faisons en méditation
• Un ensemble automatique
Nous ne décidons pas d’avoir peur ou d’être heureux. Cela se produit automatiquement en nous et nous ne pouvons pas empêcher l’apparition d’une émotion.
Dans la méditation nous apprenons « à chevaucher le dragon » à savoir accueillir nos émotions même si elles sont douloureuses.
• Un ensemble automatique de réponses
Une émotion est une réponse à une modification interne (par exemple apparition d’un souvenir) ou externe venant de notre environnement. Nous avons à nous pencher sur les causes de nos émotions pour comprendre ce qui nous touche et pourquoi cela nous touche.
La méditation nous permet de faire ce travail de discernement en apprenant à examiner les tenants et les aboutissants de nos réactions.
• Un ensemble automatique de réponses adaptatives
Si nous les écoutons, les émotions sont là pour nous aider à nous adapter et à avoir une attitude appropriée. Ce sont des messagères, des informations et nous proposent des solutions.
Après le travail d’accueil, d’écoute, d’observation, la méditation va nous permettre de revenir à l’action pour nous préparer à agir.
En résumé
Une émotion est un ensemble complexe car elle mobilise notre corps, nos pensées, provoque des réactions, des comportements, des modifications biologiques. C’est pourquoi il faut apprendre à la décortiquer pour mieux l’observer, la nommer, l’interpréter, la gérer, la réguler afin de bien vivre avec ses émotions car sans émotions il n’y a pas de vie : c’est ce que la méditation peut aider à faire.
Chez les pratiquants réguliers, de nombreuses études montrent une modification favorable de la balance émotionnelle avec pour conséquence une plus grande fréquence des émotions dites positives et une réduction des émotions dites négatives : moins de stress, meilleur sommeil, meilleure concentration, moins de sensibilité à la dépression.
Conclusion
La méditation de pleine conscience consiste à se concentrer sur l’instant présent, pour reconnecter le corps et l’esprit, les deux étant indissociables.
Alors que et comment faire ?
• C’est simple, ne rien faire ! Oui ne rien faire, juste se poser, observer, et quand nous arrivons à apaiser le mental, à calmer les pensées : les laisser passer. C’est ce que nous apprenons à faire lors d’une méditation
• S’assoir, respirer en pleine conscience, en se concentrant sur le mouvement de notre abdomen qui se soulève et s’abaisse. Se concentrer sur l’air frais à l’inspire, et sur le souffle tiède à l’expire.
Vivre en pleine conscience, c’est observer nos émotions, les accueillir et s’en libérer.
La méditation de pleine conscience apporte la paix de l’esprit, nous permet d’être en cohérence avec nos ressentis, d’être aligné avec soi-même.
« Bien vivre avec ses émotions est l’un des chemins proposés par la méditation vers la sérénité.
La méditation n’est pas une thérapie, c’est une proposition d’hygiène mentale, de style de vie. »
Christophe ANDRÉ.
Catherine Guyard et Régine Desaint
Références : Interview de Christophe André en 2019. Cours de Jean Oudinot
« L’émotion est ce moment où l’acier rencontre une pierre et en fait jaillir une étincelle car l’émotion est la source principale de toute prise de conscience ». Carl-Gustav Jung Dans la tradition philosophique occidentale, la connaissance de soi ne fait pas l’impasse sur les émotions « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » : telle était l’inscription figurant sur le temple d’Apollon (dieu grec de la connaissance et des arts) à Delphes. Socrate, d’après Platon, se référait à cette devise déjà ancestrale, la mettait en pratique pour lui et aidait les autres à mieux se connaître. L’être humain est « un sac de peau » L’image vient de Platon (La République, Livre IX) ; image simple et forte pour montrer que l’homme est complexe, avec trois parties opposées en lui mais cousues dans un même sac de peau. C’est la tripartition de l’âme. Tout au long de sa vie, l’être humain aura donc à surmonter des conflits intérieurs, à composer avec lui-même et à faire des choix pour vivre de manière juste. Quelles sont ces trois parties ? · La première, la plus grosse et la plus encombrante, a la figure d’un monstre multiforme et polycéphale, ayant des têtes d’animaux dociles et d’animaux féroces. C’est la part animale en nous, nos pulsions et instincts nombreux et contradictoires. « Il n’est point de folie, point d’impudence dont elle ne soit capable. » · La seconde a la figure d’un lion, C’est le « cœur ». Les désirs spécifiquement humains et les émotions dont la colère, la joie mais aussi la peur, l’appétit vorace et le désir … · La troisième est de loin la moins grosse et la plus fragile des trois. Elle a la forme d’un petit homme et représente l’intellect, la raison. Ces trois parties [1] étant solidement cousues entre elles, l’être humain n’a pas d’échappatoire : il aura à trouver en lui-même un juste équilibre pour ne succomber ni à ses conflits intérieurs ni à des conflits avec son environnement. Comment ? Par la « connaissance de soi » pour être le plus au clair possible avec qui l’on est et ce qui se joue en soi. C’est la voie de Socrate et de ses successeurs depuis plus de 2000 ans. Savoir distinguer en soi ces trois niveaux (instincts, émotions et raisonnements) est un parcours de découverte des parties – conscientes ET inconscientes – de soi et d’éducation, qui ne se fait ni sans mal ni sans effort mais qui apporte une stabilité nouvelle et une confiance en soi. [1] De nos jours, on parle couramment du cerveau dit reptilien (monstre), ou limbique (lion), ou cortical (petit homme). / |
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Connaissance de soi et vie dans la cité
Cette invitation à la connaissance de soi mène-t-elle pour autant à un nombrilisme voire à un égoïsme ?
Non, et pour au moins deux raisons :
- La philosophie de Socrate et de Platon est une philosophie morale et politique autant qu’une philosophie de la connaissance et une métaphysique. Ainsi l’être humain dominé par ses pulsions sera bestial et délirant aussi bien dans sa vie privée que dans la cité (populiste) ; l’être humain dominé par ses émotions sera tyrannique chez lui et dans la vie sociale (tyran) ; l’être humain dominé par sa raison sera manipulateur d’idées (sophiste). L’individu accompli, sage et juste avec son entourage, en société et en politique (dirigeant philosophe dans la cité démocratique) réussira à être guidé – et non dominé – par sa raison.
La République de Platon est aussi une réflexion sur le programme d’éducation des dirigeants de la cité idéale : l’individu qui réussit à vivre une coopération harmonieuse dans son « sac de peau », aura l’assise et la sagesse nécessaires pour diriger la cité par une coopération harmonieuse entre les citoyens même si ceux-ci ont des intérêts souvent opposés.
- De nos jours, on pourrait formuler ainsi les choses : les êtres humains sont des êtres sociaux empathiques[1]. Sentir en soi et savoir (ou pas) reconnaître ses propres émotions ainsi que les relations émotionnelles autour de soi, aura donc aussi un effet clarifiant (ou pas), apaisant (ou pas) sur les comportements en société. Voilà un bel effet systémique !
Une phénoménologie contemporaine des émotions
Peur, colère, joie, tristesse, surprise et dégoût sont les six émotions de base, selon les travaux du psychologue et anthropologue américain Paul Ekman.
Ces émotions peuvent être mises en relations avec des expressions des visages et Paul Ekman a pu montrer qu’elles étaient exprimées et identifiées de la même manière par des membres de cultures très variées (occidentale et non occidentale) et par des membres de tribus lointaines (une tribu de Papouasie-Nouvelle Guinée). SI les émotions sont comparables, leurs déclenchements et leurs extériorisations varient toutefois d’une culture à l’autre et selon les normes sociales.
Les émotions apparaissent alors dans leur diversité :
LA JOIE : amoureux, enchanté, euphorique, excité, passionné, réjoui, enjoué, satisfait, content
LA COLÈRE : froissé, contrarié, agacé, agité, irrité, exaspéré, furieux, hostile, agressif
LA SURPRISE : enthousiaste, impatient, secoué, sidéré, stupéfait, émerveillé, ébahi, étonné, troublé
LE DÉGOÛT : aigri, amer, intimidé, blessé, écœuré, mépris, irritable, aversion, rejet
LA PEUR : angoissé, anxieux, terrifié, horrifié, effrayé, inquiet, méfiant, craintif, préoccupé,
LA TRISTESSE : désespéré, accablé, affligé, abattu, blessé, chagriné, , désolé, navré, déçu
La connaissance de soi consiste alors à ressentir en soi les émotions qui nous traversent, tout en gardant la capacité de les observer et de les nommer. C’est acquérir la capacité de ne pas se laisser submerger par leur flot varié et sans cesse mouvant ; c’est cultiver une capacité à se maîtriser.
L’intelligence émotionnelle
Ce concept a été popularisé par un ouvrage du psychologue américain, Daniel Goleman. Alors que la conception occidentale de l’intelligence valorise essentiellement l’intelligence cognitive et les capacités intellectuelles (d’où l’élaboration dès les années 1905-1915, d’un test psychométrique du fameux QI), l’intelligence émotionnelle, située à l’intersection des cognitions et des émotions, a été négligée. Pourtant… comme l’exprimait déjà Jean Piaget « L’intelligence ce n’est pas ce que l’on sait mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ».
L’intelligence émotionnelle, définie en 1997 par Mayer et Salovey, c’est « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres. »
On voit dès lors les recherches en neurosciences sociales se développer.
Citons enfin quelques éléments d’une étude de Jean-François Chanlat : « Le développement de l’intelligence émotionnelle est un impératif pour les organisations. Celles-ci étant dépendantes des personnes qui y travaillent, le profil psychologique, notamment émotionnel, de ces personnes ayant une influence sur la dynamique et les résultats de leur organisation, les organisations et leur direction ne peuvent pas ne pas s’en préoccuper. (…) L’explosion des publications sur les notions d’émotions, d’intelligence et/ou de compétence émotionnelle que le champ de la psychologie des organisations connaît depuis le début des années quatre-vingt-dix, est attribuable à une cause bien précise : l’épuisement du modèle du gestionnaire rationnel et de son postulat de base : l’acteur rationnel. (…) Il reste que le monde de la gestion a été, et est encore aujourd’hui, souvent très réfractaire aux aspects affectifs. L’affectivité est perçue comme une menace potentielle pour la performance de l’organisation. (…) »
Retour aux sources
L’illusion rationaliste et scientiste[2] qui a voulu oublier que l’homme est « un sac de peau » a contribué à nous fourvoyer dans un monde où la croissance se fait au détriment de l’humain et de son environnement de vie sur terre.
Alors, il est temps de changer de référentiel pour faire mieux société en soi et avec les autres.
[1] L’empathie est la capacité à « capter » les émotions, les sentiments, les points de vue des autres et à éprouver un intérêt réel pour leurs préoccupations.
[2] Citons Ernest Renan à titre d’exemple : « Nous n’avons pas le droit d’avoir un désir quand la raison parle ; nous devons écouter, rien de plus ; prêts à nous laisser traîner pieds et poings liés où les meilleurs arguments nous entraînent ».
Catherine Gras
Quelques livres
PLATON, La République, Editions Garnier-Flammarion
C.G. JUNG, Présent et avenir, Editions Livre de poche
D. GOLEMAN, L’intelligence émotionnelle, Editions J’ai Lu
L. JERPHAGNON, À l’école des Anciens, Editions Perrin
J’ai vu le monde à l’envers par Anne-Marie Perret
Pendant un peu plus de 5 heures, j’ai vu « le monde à l’envers » ….
Drôle d’impression, drôle de sensation, sacrée émotion… le 27 mai dernier, j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Victime d’une rencontre brutale avec une trottinette électrique, je n’ai pas eu le temps d’avoir peur ; j’ai été projetée à terre sur la chaussée. …. Des personnes m’ont aidée à me relever, je n’ai pas perdu connaissance, j’ai très vite compté mes « abattis » et j’ai constaté que la « carcasse » avait tenu bon.
J’étais « sonnée », mais consciente, avec pour le coup, un drôle de sentiment de « lâcher prise ».
Les pompiers m’ont emmenée aux urgences de l’hôpital Saint Antoine, et là, j’ai eu le temps de faire une drôle d’expérience à partir de la position allongée de mon brancard : visuellement, je n’avais plus accès qu’aux seuls plafonds des différents couloirs, boxes, salles de radio et de scanner. Du coup, lorsqu’on qu’on venait me chercher pour effectuer les différents examens, j’avais l’impression que les plafonds étaient en fait des planchers aux surfaces inégales et que le brancard allait « verser » à tout moment…. En fait, je voyais défiler « le monde à l’envers » !
Drôle de sensation, drôle de sentiment : me sont alors revenues intactes les paroles d’une de mes chansons fétiches intitulée « Erase una vez » (il était une fois). C’est un poème de José Agustİn Goytisolo mis en musique par Paco Ibañez, dont voici le texte :
Il était une fois
un petit loup gentil
qui était maltraité
par tous les agneaux.
Il y avait aussi
un méchant prince
une belle sorcière
et un pirate honnête
Il y avait toutes ces choses
quand je rêvais
Un monde à l’envers
Au final, une expérience déstabilisante et une irrésistible envie de retrouver au plus vite le plancher des vaches !
Anne-Marie Perret