Les régulations financières post-crise : où en sommes-nous ?
À l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage intitulé « Crises financières et régulations boursières » paru dans la collection Que sais-je ?, Bruno MOSCHETTO, Maître de conférences à ESCP-Europe, Président du conseil de surveillance de la Banque Delubac et Compagnie, a mené le débat sur une question d’actualité : « Les régulations financières post-crise : où en sommes-nous ?
Revenant à quelques fondamentaux qui sont parfois oubliés ou simplement mal connus, Bruno Moschetto nous a d’abord éclairés sur plusieurs questions essentielles pour comprendre le fonctionnement de l’économie et des circuits de financement avant d’ouvrir le débat sur la situation contemporaine et ses enjeux.
Pourquoi y-a-t-il des banques et des marchés financiers ?
Deux grandes catégories d’acteurs économiques ont des besoins et des capacités complémentaires : les uns produisent plus qu’ils ne consomment et ont donc une capacité de financement, d’autres consomment plus qu’ils ne produisent et ont donc un besoin de financement. Le rôle des intermédiaires financiers est d’orienter les financements des uns vers les autres grâce au système bancaire et financier : les banques prêtent par leur bilan et les marchés financiers prêtent par des jeux de titres. L’économie européenne et celle des Etats-Unis n’ont d’ailleurs pas les mêmes caractéristiques puisque l’économie européenne est financée plutôt par les banques (70%) alors que l’économie américaine est plutôt financée par les marchés financiers (70%).
Qu’est-ce qu’une monnaie et quelles sont ses fonctions ?
La monnaie est une créance à vue qui n’a pas d’échéance ; on la détient en poche ou en compte. La monnaie a trois fonctions qu’Aristote avait déjà mises en évidence il y a 2500 ans : avec une monnaie, on règle des dépenses, on mesure des valeurs et on peut conserver des valeurs.
Qui crée la monnaie ? Ce sont les banques commerciales. Contrairement à une idée reçue, les banques centrales n’ont pas pour rôle de créer de la monnaie, elles émettent des billets au profit des banques commerciales qui apportent des créances en contrepartie. Mais il arrive que les banques centrales créent de la monnaie quand elles prêtent directement à des acteurs économiques (par exemple quand la FED -banque fédérale des Etats-Unis – prête à l’industrie automobile de Detroit). « Une banque centrale crée de la monnaie à partir de rien, la planche à billets. Une banque commerciale crée de la monnaie à partir de contreparties, « l’imprimante à dépôts », nous dit Bruno Moschetto avec ses formules imagées.
Les OPCVM : qu’est ce qui se cache derrière ce sigle ?
Ce sont des « Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières » avec les deux grandes catégories que sont les SICAV (société d’investissement à capital variable) et les Fonds communs de placement. Ce sont « des copropriétés de créances » dont on n’est remboursés qu’à l’échéance fixée. « On ne peut pas les casser à tout moment ». Elles sont gérées par des « sociétés de gestion » et sont liées à des banques dépositaires. Celles-ci garantissent la réalité des actifs, l’égalité de traitement des porteurs de parts et la conformité de la gestion.
La titrisation et ses risques.
Avec la titrisation, on franchit une étape qui éloigne du client final. Titriser signifie transformer des crédits inscrits à l’actif des banques en « titres » qui sont cédés à des structures ad hoc externes. La titrisation a commencé aux Etats-Unis ; les titres sont négociés sur des marchés de gré à gré et peuvent avoir des « contreparties pourries » pour lesquelles il faut passer des provisions dans les bilans des banques pour faire face aux pertes. La crise financière de 2007-2008 est une crise financière due à cette titrisation de contreparties pourries.
Crise financière de 1929 et crise financière de 2007: une différence de nature
En 1929, les banques étaient débitrices vis-à-vis de leurs déposants en actif à valeur fixe. Elles avaient, en contrepartie, acheté des titres boursiers à valeur variable et, lorsque les cours se sont effondrés, elles ont été incapables de rembourser leurs avoirs à leurs déposants. Autrement dit, « la bourse était rentrée dans la banque ».En 2007, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. « La banque est rentrée dans la bourse » puisque les crédits bancaires, transformés en titres, ont été acquis par des investisseurs (individuels ou institutionnels). Et lorsque les valeurs des titres se sont effondrées, les investisseurs ont dû assumer la perte, sauf lorsque ces titres avaient été « réintermédiés » dans les bilans des banques. Dans ce cas de figure, ce sont les banques qui ont dû assumer la perte. D’où les plans de sauvetage organisés par les Etats (les fameux « bail out ») qui ont été financés en dernier ressort par les contribuables.
En 2008, deux actions ont été nécessaires pour faire baisser la pression et tenter de soigner cette maladie du système financier :
- Séparer les activités bancaires et financières : centrer le rôle des banques sur la collecte des ressources monétaires et les prêts d’une part, et centrer les marchés financiers d’autre part sur le financement des investissements des entreprises à leurs propres risques.
- Conforter les bilans des banques par une intervention directe des Etats qui ont alors assumé un rôle de « sauveteur en dernier ressort ».
Aujourd’hui, où en est-on de la séparation des activités financières et bancaires ?
Cela revient peu ou prou à se demander si le système de la banque dite « universelle » (banque de détail, de financement et d’investissement, de gestion d’actifs au sein d’un même établissement) est abandonné.
Aux Etats-Unis, une première régulation a été mise en place en 2010 (loi Dodd Franck, sur l’inspiration de Paul Volcker).
En Grande-Bretagne, cette séparation est timide (commission Vickers) avec un cantonnement des différentes activités qui peuvent donc rester pour l’instant au sein d’un même établissement bancaire.
Dans l’Union Européenne, le rapport de la « commission Liikanen » remis en octobre 2012 prônait le renforcement des exigences de fonds propres et de liquidité des banques, ainsi que la mise en place d’un mécanisme européen de résolution des défaillances bancaires pour limiter l’appel aux contribuables en cas d’éventuelles défaillances bancaires. Il jugeait « nécessaire d’imposer, au sein des groupes bancaires, une séparation légale entre certaines activités financières particulièrement risquées, d’une part, et les banques de dépôt, d’autre part ». La Commission européenne a certes accueilli positivement les préconisations de ce rapport mais sans modifier son agenda qui donnait la priorité à la construction d’une union bancaire européenne.
En France, Pierre Moscovici, lorsqu’il était ministre de l’économie, a fait adopter en 2013 une loi selon laquelle les activités spéculatives d’une banque réalisées pour son propre compte, sans utilité pour le financement de l’économie et sans lien avec les clients, devront être cantonnées dans une filiale séparée. Celle-ci est soumise à certaines mesures visant à prévenir toute transmission de risques à l’ensemble du groupe bancaire (interdiction de recevoir des dépôts par exemple).
En cas de difficultés financières avérées, la banque devra demander au préalable l’autorisation des autorités de supervision compétentes pour recapitaliser sa filiale ; la recapitalisation directe ou indirecte par l’État est interdite.
L’avis de Bruno Moschetto sur ce point
La séparation des activités bancaires et financières est plus que nécessaire selon lui et il est faux de continuer à penser « too big to fail ». La loi Moscovici de 2013 est insuffisante car la séparation n’est réalisée qu’à hauteur de 0,5% des bilans. Les banques françaises ont une titrisation élévée, mesurée par les travaux de la commission Liikanen par exemple : 42% des actifs de BNP Paribas sont placés en titres alors que c’est 8% pour le Crédit Mutuel). En cas de nouvelle crise, que se passera-t-il dans le système tel qu’il est encore aujourd’hui ? Les Etats (c’est à dire les finances publiques, donc l’impôt) seront appelés à la rescousse.
« Bail in ou bail out ? ». En cas de crise, les banques doivent assumer leur risque face à leurs proches actionnaires, créanciers, déposants- (bail in) ou peuvent être recapitalisées par l’extérieur, en l’occurrence l’Etat, c’est-à-dire les contribuables (bail out).
Un Etat peut-il être en faillite ?
Sous réserve qu’il soit endetté dans sa propre monnaie, un Etat ne peut pas être en faillite. Il peut par contre y avoir des situations où un Etat ne peut plus prélever d’impôt (crise de confiance ou fuite du potentiel fiscale).
Zone monétaire parfaite versus zone monétaire optimale
Nous sommes en zone monétaire « parfaite » (monnaie unique et libres échanges internes) même si les systèmes économiques et sociaux européens voient leurs divergences s’accentuer depuis la création de l’euro.
Les pays de l’Euro sont depuis 2014 dans une zone de supervision bancaire unique
L’espace monétaire de l’Euro est un espace fédéralisant avec une banque centrale (BCE), des superviseurs européens qui contrôlent les 150 grandes banques européennes, des superviseurs nationaux appliquant les normes européennes et qui contrôlent les petites banques.
Aux Etats-Unis, le système bancaire est contrôlé par 3 superviseurs.
La monnaie hélicoptère, une absurdité
« C’est une idée fantasque » nous dit Bruno Moschetto car une banque centrale ne possède pas de billets, ils sont possédés par leurs porteurs. L’idée est due à Milton Friedman (école de Chicago).
Les clients des banques paient-ils trop de frais bancaires ?
« Les banques sont le système sanguin du corps économique ». Par cette image saisissante, Bruno Moschetto a conclu sa conférence en abordant un sujet qui interroge tous les clients des banques, celui des frais bancaires.
Deux solutions s’offrent aux banques et à leurs clients pour rémunérer les métiers de la banque : faire payer des frais bancaires, prélevés sur les débiteurs autorisés ou faire payer les services (chéquier par exemple). Compte tenu du niveau très faible du loyer de l’argent et des taux d’intérêt depuis plusieurs années, on voit de plus en plus de services bancaires payants.
A la fin de son propos, clair et pédagogique, des questions ont été débattues. Bruno Moschetto y a répondu avec sa générosité tout en partageant ses propres interrogations.
Gilbert Deleuil,président de Galilée.sp, a eu le mot de la fin pour remercier notre invité : comprendre le financement de l’économie est possible et, quand c’est bien présenté comme ce fut le cas, cela peut être simple et fort intéressant. Au-delà, les citoyens ont besoin d’être informés sur l’essentiel pour comprendre le contexte global de l’économie car c’est là qu’ils vivent leur quotidien. Une bonne pédagogie est toujours indispensable !
Autre ouvrage récent de Bruno Moschetto : « Tout savoir ou presque sur la face cachée de l’euro »