« Regarder l’avenir, c’est déjà le changer »
Cette deuxième rencontre avec Monsieur Michel Camdessus à l’occasion d’un petit déjeuner avait pour objectif d’explorer ensemble le champ du futur à l’horizon 2050. Ceci sur la base d’un travail mené au sein d’un groupe d’experts mondiaux issus de 12 pays et des 5 continents qui a donné lieu à la parution d’un ouvrage intitulé « The World in 2050: Striving for a more Just, Prosperous and Harmonious Global Community » (« Le Monde en 2050 : pour une communauté mondiale plus juste, plus prospère et plus harmonieuse »
La version française du livre devrait paraître prochainement.
« L’avenir n’est pas ce qui vient après le présent, mais ce qui est différent de lui » (Gaston Berger 1896-1960)
Evoquant le philosophe Gaston Berger, à l’origine du développement de la prospective (et non de la prévision …) Michel Camdessus est très vite entré au cœur du sujet, à savoir « aider les hommes publics à relever le nez du guidon pour regarder le long terme » (sic) et voir comment surmonter le pessimisme radical de nos compatriotes. Le « choc » risquant d’être brutal…
Des constats avant l’action…
Ils sont nécessaires pour prendre la mesure des défis que nous avons à relever, en sachant que nous sommes d’ores et déjà confrontés à un changement de culture dans un monde en gestation.
Les défis économiques, démographiques et environnementaux…
En termes économiques, on peut penser au retour de la croissance avec une moyenne de 3 à 3,5 % pour les pays « industrialisés », de 4,2 % pour les pays émergents et d’environ 5 % pour l’Afrique, si ce continent accentue ses efforts de bonne gouvernance.
En 2050, la taille du monde aura été multipliée par 3. La population mondiale vieillit, sauf l’Afrique, qui comptera alors 2 milliards d’habitants. La question des inégalités n’aura sans doute pas été réglée et elle restera, avec celui des courants migratoires, l’un des principaux défis.
5 défis nous attendent :
- Les migrations
- La globalisation (qui continuera)
- La financiarisation et l’instabilité qui va avec…
- L’urbanisation (50 % aujourd’hui, 60 à 70 % à l’horizon 2050)
- Le développement des classes moyennes qui avec les classes « supérieures », atteindront 84 % de la population mondiale, en sachant que sont considérées comme classes moyennes les populations qui disposent d’un revenu minimum de 10 dollars/jour).
On peut penser qu’avec l’arrivée de ces nouvelles classes moyennes, la démocratie gagnera du terrain, mais on peut aussi craindre les dérives du populisme.
Avec la prise de conscience de la finitude des ressources de notre planète et des changements climatiques qui se font déjà sentir, il faudra trouver des modèles économiques alternatifs, permettant de s’adapter aux nouvelles conditions de vie et de développement.
Pour le meilleur…. Ou pour le pire ?
De nouvelles régulations et règles sont d’autant plus nécessaires que nous ne sommes déjà plus dans le « monde d’hier ». Il faut s’atteler à la transformation des organisations internationales et de la gouvernance mondiale pour faire face aux défis et aux menaces posés par l’activité d’acteurs non-étatiques violents.
Dans une note remise aux participants à ce petit déjeuner, M. Camdessus écrit : « Des changements technologiques et des innovations d’une portée inimaginable peuvent considérablement changer le monde pour le meilleur ou pour le pire ».
Les centres de pouvoir vont se déplacer. Michel Camdessus parle d’un glissement tectonique du pouvoir économique et politique mondial de l’Ouest vers l’Est. En 2050, les Etats-Unis sont toujours dans le « peloton » de tête, au coude à coude avec la Chine et l’Inde.
Mais quid alors des pays européens comme le nôtre ? Ils ne figureront plus dans le « top 10 » de la puissance. Ils ne pourront s’y maintenir qu’à travers l’Union européenne. Mais Les menaces qui pèsent sur sa pérennité sont là, au premier rang desquelles le Brexit et ses conséquences, ainsi que l’attitude des ex-pays de l’Est… L’avenir de l’Europe est incertain…
Des changements nécessaires
Pour Michel Camdessus, nos cultures actuelles dominées par l’accumulation financière et l’hyperconsommation ne sont pas compatibles avec le monde qui vient. Les 17 nouveaux objectifs fixés par l’ONU pour éradiquer la pauvreté et préserver la planète à l’horizon 2030 impliquent des changements très lourds et la question du financement du développement pour réaliser ces objectifs en matière de changement climatique, d’énergie, de santé, d’éducation est cruciale.
Michel Camdessus pense que la mobilisation de l’épargne privée pour financer des investissements publics doit constituer un élément essentiel de la réponse à ce problème.
Mais d’autres questions surgissent déjà ou ne tarderont pas à surgir : celle des prix et de l’accès à certaines denrées ou services qui risquent d’accentuer le clivage entre riches et pauvres.
Le monde est UN…
Alors qu’une vision GLOBALE s’impose, notre conception du bien commun reste plutôt locale, « villageoise » (sic). Cela concerne chacun d’entre nous. Nous avons besoin de faire ou de parfaire notre éducation en matière de connaissances et d’approches des questions internationales. Il s’agit de développer des actions en rapport avec les valeurs contenues dans le titre même de l’ouvrage auquel Michel Camdessus a apporté sa contribution : justice, prospérité et harmonie.
Cette question des valeurs, notre invité l’avait déjà abordé dans son livre « La scène de ce drame est le monde : Treize ans à la tête du FMI » en prenant une intervention du Président tchèque Vaclav Havel lors de l’Assemblée générale du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale réunie à Prague en octobre 2000 : « Des voix se lèvent soulignant la nécessité de restructurer l’économie des pays en voie de développement et le devoir des riches de les soutenir. Si cela se fait en douceur, sur la base d’une excellente connaissance d’un milieu concret et de ses intérêts et besoins uniques, c’est certainement bien et utile. Mais j’estime qu’il nous revient de penser à une autre restructuration : celle du système de valeurs sur lequel repose notre civilisation actuelle » (Ed. Les Arènes, 2014)
Après un échange entre Michel Camdessus et les participants à ce petit déjeuner, la conclusion de cette rencontre est revenue à Catherine Gras, Présidente de Galilée.sp, pour souligner à la fois la gravité des propos de notre invité et le fait que l’espérance est « au travail » (sic).
Le diagnostic, la compréhension, la prospective sont des faits nouveaux dans l’histoire de l’humanité. Ces outils, ces « clés » doivent permettre d’œuvrer à l’avènement d’un monde « plus aimable » (selon les mots de M. Camdessus) à l’horizon 2050.