Grâce à Bernard Delacroix, membre du Conseil d’administration de Galilée.sp, Michel Camdessus, ancien Directeur du Trésor, ancien Gouverneur de la Banque de France et Directeur général du Fonds monétaire international (FMI) de 1987 à 2000, a répondu à l’invitation de notre association pour évoquer les faits marquants de son parcours, apporter son témoignage sur les évolutions mondiales et réfléchir sur les défis à relever à court et moyen terme.
D’Emmanuel Mounier à François Perroux …
L’engagement de M. Camdessus au service des Autres trouve sa source dans sa foi chrétienne ainsi que dans la philosophie personnaliste d’Emmanuel Mounier . A Sciences Po, il doit rédiger un travail sur l’Etat et découvre alors un livre de la collection « Que sais-je » intitulé « le capitalisme », dont l’auteur est l’économiste François Perroux . Une citation de cet ouvrage retient particulièrement l’attention de Michel Camdessus : « l’Etat, une contrainte au service d’une communion ». La dimension du service public et de ses exigences interpelle l’étudiant de Sciences Po qui intègre l’ENA et devient fonctionnaire.
Rencontrer l’Autre
Qu’est-ce-qui anime le fonctionnaire Michel Camdessus ? Sa soif de découvertes, de rencontres. De 1966 à 1968, le voilà à Bruxelles, en poste à la représentation permanente française auprès de ce qui s’appelle encore à l’époque la Communauté économique européenne (CEE).
Cette période de la construction européenne est propice à la découverte de l’Autre, notamment celle du voisin d’Outre-Rhin dans une dimension jusqu’alors inédite, celle de la Fraternité. Pour Michel Camdessus, cette valeur du triptyque républicain renvoie aussi à l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Au niveau national, Michel Camdessus fait une autre rencontre marquante : celle de François Mitterrand, Président de la République qui le nomme Directeur du Trésor en 1982. Les événements se succèdent à un rythme soutenu : Président du Club de Paris jusqu’en 1984, il devient Gouverneur de la Banque de France cette même année et est élu Directeur général du FMI en 1987.
« Vous donnerez confiance au monde »…
Belle découverte que celle faite par le Directeur fraîchement nommé lorsqu’il prend connaissance des statuts du Fonds monétaire international: le 5ème alinéa de l’article 1er de ces statuts, indique qu’il s’agit de « Donner confiance aux États membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement à leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de corriger les déséquilibres de leurs balances des paiements sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale ».
Un monde en « mille morceaux » ?
La chute du Mur de Berlin en 1989 marque le début d’une nouvelle page de l’Histoire humaine. Le FMI, « Crédit mutuel du monde » (sic), doit faire face à des situations inédites. Les soviétiques « redeviennent » des russes mais conservent encore longtemps le mode de fonctionnement de l’ancienne URSS, les pays dits « satellites » préparent déjà leur intégration au sein de l’Union européenne, la Yougoslavie explose, la guerre est aux portes de l’Europe, mais aussi en Irak, les crises économiques et financières se succèdent, l’Afrique est toujours aussi « mal partie » selon l’expression et le titre d’un livre de René Dumont. Il faut gérer ce « chaos ».
Le FMI est le « pompier » de ces crises multiformes mais aussi… le « bouc émissaire ». En tant qu’organisme prêteur, le FMI met des conditions à l’octroi des fonds pour les pays demandeurs. Pour Michel Camdessus, qui dit solidarité dit responsabilité, et doit conduire à la responsabilisation des gouvernants.
Pour cette tâche, Michel Camdessus recourt à un outil peu développé généralement dans le cadre des relations internationales : LA RENCONTRE, le tête-à-tête avec les gens en difficulté. Moments intenses, moments de vérité.
Selon lui, ce qui importe, c’est de pouvoir négocier et de trouver ensemble une sortie, afin d’éviter la frustration, l’humiliation. Il évoque alors certaines rencontres qui l’ont marqué :
- Margaret Thatcher, dont Mitterrand disait qu’elle avait « la bouche de Maryline Monroe et le regard de Caligula».
- Jean-Paul II qui n’hésita pas à demander à Michel Camdessus, non de prêter de l’argent à la Pologne mais de « Iui en donner ! ». En prenant soin d’ajouter comme s’il s’excusait : « Voyez, je m’emporte un peu, mais c’est parce que vous êtes un ami. » (cité dans le dernier livre de M. Camdessus « la scène de ce drame est le monde »)
- Nelson Mandela, qui forçait l’admiration et le respect et qui a fait partie des rencontres « lumineuses » de Michel Camdessus.
Former des humains… à l’humanité…
Pour Michel Camdessus, la « technocratie triomphante » a atteint ses limites. L’administration, la fonction publique doivent s’inspirer de valeurs, de principes et de comportements porteurs d’humanité et d’humanisme. Sur ce terrain, tout ou presque est à faire, pour mettre en œuvre ce devoir de Fraternité, une fraternité exigeante, basée sur la confiance, sur la notion de responsabilité.
« La solidarité, tendresse des peuples » (citation de Gioconda Belli, poétesse nicaraguayenne, formule choisie par Michel Camdessus en exergue de son dernier livre)
Des défis de taille sont devant nous et ils concernent justement l’Humanité dans sa globalité. Dans les tout prochains mois, 3 conférences mondiales rassemblant 196 pays vont se tenir qui mettent en lumière l’absolue nécessité d’œuvrer SOLIDAIREMENT à l’éradication de la pauvreté, au développement durable, à la préservation de notre planète. Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) 2000-2015 sont loin d’avoir été atteints. Il s’agit d’établir un état des lieux et surtout de rechercher les moyens de financer des programmes pour la période 2015-2030.
Ce sera le rôle des prochains Sommets et/ou Conférences qui se tiendront respectivement :
- du 13 au 16 juillet à Addis Abeba (Ethiopie) sur le thème du financement du développement
- du 1er au 4septembre à New York sur le thème du développement durable
- La troisième conférence sur le thème crucial des changements climatiques – COP21 – se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015
Selon Michel Camdessus, ces conférences devront être l’occasion pour le monde de « se pencher sur son destin », de faire face au « boom » démographique de l’Afrique, de développer les énergies renouvelables qui rendront le développement économique possible et l’accès des populations les plus pauvres à l’énergie et à une vie plus digne.
D’une logique « d’aide publique au développement » qui a montré ses limites, on passe désormais à celle d’une responsabilisation des dirigeants et citoyens des pays du sud pour prendre en main leur avenir. Michel Camdessus explique : « Cela n’enlève rien cependant à l’obligation pour notre pays d’accroître son effort dans ce domaine, compte tenu des immenses besoins non seulement humanitaires mais aussi simplement humains (éducation des filles en particulier) des pays en développement qui ne peuvent être satisfaits que par des financements concessionnels. Le don doit garder toute sa place dans le financement du développement. J’ajoute que des financements de ce type peuvent avoir un effet de catalyse essentiel pour déclencher les financements privés plus importants. Enfin, il nous revient de tenir parole ; rien ne me semble plus pernicieux en matière de relations internationales que les promesses non tenues ».
Par leur dimension planétaire, les défis sont gigantesques mais enthousiasmants pour qui souhaite s’investir dans l’action.
Faisant écho aux propos stimulants de l’invité de ce petit déjeuner, Catherine Gras, Présidente de Galilée.sp, a remercié Michel Camdessus en soulignant l’importance de sa contribution à la réflexion menée par notre association sur les mutations en cours, non seulement au sein du service public et de la fonction publique, mais aussi dans nos sociétés.
Ce ne sont pas les projets à mettre en œuvre qui manquent. A nous de prendre conscience et CONFIANCE pour relever les défis et passer à l’action !
« Il n’est rien d’utile dans la société humaine qui ne tienne aux chances de développement offertes à l’individu. »
(Albert Einstein).
(cité dans « Rapport de synthèse du Secrétaire général sur le programme de développement durable pour l’après-2015 » page 7)