Du droit à la sécurité au droit de la sécurité :
lever l’équivoque
Invité de Galilée.sp pour ce petit déjeuner, Marc Antoine Granger a été présenté par José Razafindranaly, membre de l’association et président de l’UPR (Unité de Partenariat et de Recherche) Sécurité et Justice.
Présentation de Marc-Antoine Granger
Marc-Antoine Granger, Docteur en droit, est Maître de conférences en droit public à l’université de Besançon –Franche-comté (UFR STGI). Il est membre de l’Association française de droit constitutionnel (AFDC) et de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD), ancien chargé de mission auprès du service juridique du Conseil constitutionnel.
Parmi de nombreux ouvrages et/ou articles juridiques traitant principalement des questions liées à la sécurité, il est l’auteur remarqué d’une thèse primée en 2011 par le Conseil constitutionnel.
Une thèse primée par le Conseil constitutionnel
Cette thèse, intitulée « Constitution et sécurité intérieure, essai de modélisation juridique » est publiée aux éditions LGDJ-Lextenso dans la collection « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », t. 138. Ci-après, quelques extraits de la présentation de la thèse de Marc Antoine Granger par l’Editeur LGDJ : « Par une entreprise inédite de modélisation juridique, cette thèse offre une « grille de lecture » qui, pour tout dispositif policier (vidéo-protection, relevé ou contrôle et vérification d’identité, garde à vue, sonorisation de lieux ou de véhicules, etc.), indique les limites constitutionnelles d’ordre substantiel à observer. Son principal intérêt réside dans sa fonction prédictive : elle constitue un atout essentiel pour qui cherche à étudier, à élaborer ou à contrôler une mesure de police » (note de l’éditeur LGDJ « Librairie générale de droit et de jurisprudence)
Il fait partie des enseignants-chercheurs du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté (CRJFC), une unité de recherche pluridisciplinaire, qui rassemble des chercheurs en droit privé, droit public, histoire du droit et science politique. Par-delà les cloisonnements traditionnels des disciplines académiques du droit, ses membres travaillent ensemble autour de thématiques inscrites dans les enjeux du développement social et humain.
Du droit à la sécurité au droit de la sécurité : lever l’équivoque
Marc-Antoine Granger nous a fait parvenir un résumé de son intervention que nous reproduisons ci-après :
Après avoir précisé l’objet de l’étude – soit la dimension policière de la sécurité intérieure – et rappelé les évolutions contemporaines de la politique publique de sécurité, l’intervenant a entendu lever ce qu’il dénomme « l’équivoque sécuritaire ». L’équivoque figure dans la consécration d’un droit à la sécurité, car elle ne résiste pas à l’analyse juridique. Le droit à la sécurité n’existe pas. En revanche, l’existence d’un droit de la sécurité ne fait aucun doute.
Droit fondamental et portée normative
En premier lieu, M. GRANGER a montré que si la sécurité est consacrée par le législateur comme un droit fondamental (art. L. 111-1, al. 1er, du code de la sécurité intérieure), ce droit est dépourvu de toute portée normative.
D’une part, ce droit ne bénéficie d’aucune consécration supralégislative. En particulier, le droit à la sécurité ne doit pas être confondu avec le droit à la sûreté qui a valeur constitutionnelle (art. 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789) : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
D’autre part, le droit à la sécurité n’est pas un droit subjectif qui pourrait être revendiqué devant un juge. Finalement, la sécurité a une apparence : c’est un droit. La sécurité a une réalité, c’est un devoir de l’État. C’est d’ailleurs ce que prévoit justement le deuxième alinéa de l’article L. 111-1 du code de la sécurité intérieure.
En second lieu, M. GRANGER s’est intéressé au droit de la sécurité intérieure en tant que discipline scientifique, c’est-à-dire en tant qu’objet d’étude et d’enseignement et en tant que corps de règles juridiques. Ce droit de la sécurité intérieure est un droit récemment et partiellement codifié. En outre, ce droit est en partie intégré dans une stratégie plus globale de sécurité nationale. Il est apparu bien difficile de tracer précisément la frontière entre la sécurité intérieure et la sécurité nationale.
Pour mémoire…
*L’intégralité de cette communication sera publiée prochainement dans un ouvrage de référence dirigé par M. José RAZAFINDRANALY, Président de l’Unité de partenariat et de recherche « Sécurité et Justice » de Galilée.sp.
Pour compléter et illustrer les propos de Marc-Antoine Granger
On trouvera ici un article de Driss Aït Youssef sur « la sécurité, un droit fondamental » dans lequel l’auteur fait référence aux travaux de Marc-Antoine Granger sur ce même thème. Driss Aït Youssef est l’auteur d’une thèse de doctorat en droit sur le thème de la sécurité appliquée aux Libertés.
La vision hugolienne : extraits du texte de 1875 « le droit et la loi »
« Le droit et la loi, telles sont les deux forces; de leur accord naît l’ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. Le droit parle et commande du sommet des vérités, la loi réplique du fond des réalités; le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible; le droit est divin, la loi est terrestre. Ainsi, la liberté, c’est le droit; la société, c’est la loi. De là deux tribunes; l’une où sont les hommes de l’idée, l’autre où sont les hommes du fait; l’une qui est l’absolu, l’autre qui est le relatif. De ces deux tribunes, la première est nécessaire, la seconde est utile. De l’une à l’autre il y a la fluctuation des consciences. L’harmonie n’est pas faite encore entre ces deux puissances, l’une immuable, l’autre variable, l’une sereine, l’autre passionnée. La loi découle du droit, mais comme le fleuve découle de la source, acceptant toutes les torsions et toutes les impuretés des rives. Souvent lapratique contredit la règle, souvent le corollaire trahit le principe, souvent l’effet désobéit à la cause; telle est la fatale condition humaine. Le droit et la loi contestent sans cesse; et de leur débat, fréquemment orageux, sortent, tantôt les ténèbres, tantôt la lumière. Dans le langage parlementaire moderne, on pourrait dire le droit, chambre haute ; la loi, chambre basse.
L’inviolabilité de la vie humaine, la liberté, la paix, rien d’indissoluble, rien d’irrévocable, rien d’irréparable; tel est le droit.
L’échafaud, le glaive et le sceptre, la guerre, toutes les variétés de joug, depuis le mariage sans le divorce dans la famille jusqu’à l’état de siège dans la cité; telle est la loi.
Le droit: aller et venir, acheter, vendre, échanger.
La loi: douane, octroi, frontière.
Le droit: l’instruction gratuite et obligatoire, sans empiétement sur la conscience de l’homme, embryonnaire dans l’enfant, c’est-à-dire l’instruction laïque.
La loi: les ignorantins.
Le droit: la croyance libre.
La loi: les religions d’état.
Le suffrage universel, le jury universel, c’est le droit; le suffrage restreint, le jury trié, c’est la loi.
La chose jugée, c’est la loi; la justice, c’est le droit.
Mesurez l’intervalle.
La loi a la crue, la mobilité, l’envahissement et l’anarchie de l’eau, souvent trouble; mais le droit est insubmersible.
Pour que tout soit sauvé, il suffit que le droit surnage dans une conscience.
On n’engloutit pas Dieu.
La persistance du droit contre l’obstination de la loi; toute l’agitation sociale vient de là.