Réseaux : transversalité et partage
Pour ce premier petit déjeuner de l’année 2016, Christophe Assens, avait répondu à l’invitation lancée par Catherine Gras, Présidente de Galilée.sp et de Laurence Fiessinger, Présidente de l’UPR VLAN (Unité de Partenariat et de Recherche/Vers Les Administrations Nouvelles).
Docteur en sciences de gestion et Maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, Directeur adjoint du LAREQUOI (Laboratoire de recherche en management), Christophe Assens est spécialiste de management public et des réseaux, deux sujets qui intéressent particulièrement Galilée.sp.
La publication en septembre 2015 d’un ouvrage intitulé « les réseaux de service public : menace ou opportunité pour l’action publique » (ici photo) dont Christophe Assens a assuré la coordination, a constitué le point de départ de son intervention. Le livre couvre le champ des 3 fonctions publiques.
Notons à ce propos que Catherine Gras est l’auteur de l’un des chapitres intitulé « La fonction publique au 21ème siècle : une galaxie de réseaux interconnectés » (p. 111 à 123).
La pomme Ariane…
L’ouvrage présente également des expériences innovantes menées dans le cadre de réseaux « publics-privés », telle celle de « la pomme Ariane ». Un laboratoire de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) – entité publique – a invité, et incité « les acteurs privés à se regrouper pour défendre le bien commun de leur filière d’activité ». Cette initiative avait pour finalité de « préserver à la fois les intérêts économiques d’une filière, les enjeux écologiques d’un pays et les attentes citoyennes des consommateurs » (cf. p 61 op. cit. Etude de cas n° 6 au chapitre « un réseau d’innovation public-privé »).
Les 3 formes de capitalisme, la création et la redistribution de richesses.
- Le capitalisme de marché : Les biens privés sont liés à l’économie de marché : propriété exclusive, consommation exclusive,
- Le capitalisme d’Etat : les biens d’intérêts généraux ou biens publics, appartiennent à tout le monde…. Et à personne. Ces biens sont gérés par la puissance publique (rôle des fonctions « régaliennes »).
- Le capitalisme de réseau : entre ces deux « modèles » extrêmes, se situe le « capitalisme de réseaux » avec deux dimensions :
- L’une liée à la notion de biens communs avec une logique de territoire. Le territoire fédère des acteurs, des communautés, travaille en réseau…
- L’autre relevant plus d’une logique de « biens de club ». dans ce « modèle », la propriété est collective, la richesse est partagée à partir d’un capital social, relationnel. Mais tout le monde n’accède pas au « club »…
De l’utilité des réseaux
L’alimentation, les problèmes de la production agricole à l’échelle mondiale – une démographie galopante, et de moins en moins de terres cultivables -, le réchauffement climatique, l’agriculture et le développement durables figurent parmi les défis majeurs que l’humanité tout entière doit relever.
La question se pose alors de savoir si l’innovation technologique peut à elle seule résoudre ce qui ressemble de fait à la quadrature du cercle… Et lorsqu’on passe en revue les « modèles » existants, la perplexité grandit encore : quid de l’utilisation des pesticides et de leur nocivité reconnue ? Des technologies dépassées qui trop souvent portent atteinte à la biodiversité (OGM) ? Cette course technologique sans fin ne saurait être la bonne réponse à ces problèmes.
A ce stade de la réflexion, les réseaux peuvent prendre le relais et jouer un rôle-clé dans la recherche de solutions durables. « Dans un contexte de crise de légitimité des institutions, le réseau a le mérite de représenter un modèle alternatif : au-delà de la partie visible et de la frénésie qui entoure « les autoroutes de l’information », il permet de se poser la question du sens et des valeurs partagées dans des organisations où le lien social a une importance fondamentale – y compris pour créer de la valeur économique ! ». (cf. extrait interview Assens sur site internet Manpower).
Et l’administration publique ?
Le réseau peut-il trouver sa place dans un modèle qui repose sur la verticalité, le pouvoir hiérarchique, le corporatisme ? Ces obstacles sont-ils surmontables ? Christophe Assens pose clairement ces questions dans l’introduction de l’ouvrage « les réseaux de service public… » : « Comment construire un réseau en évitant les écueils du corporatisme public ; comment articuler le pouvoir hiérarchique vertical et les réseaux de fonctionnaires ? » (p. 12).
Sylvie Trosa, Administrateur civil hors classe du ministère des finances, auteur de l’un des chapitres « éclairages » du livre (« Castes, réseaux, corps » p. 79 à 83) apporte des éléments de réponses en faisant appel à son expérience en matière de comparaisons internationales et en se fondant sur les expérimentations de « décloisonnement » menées dans les fonctions publiques australiennes et canadiennes pour promouvoir la transversalité dans l’administration et les services publics. Dans le modèle français, l’un des obstacles à l’établissement de réseaux « ouverts » réside dans le « sentiment de chaque corps d’être intrinsèquement supérieur aux autres » ‘p. 82-83).
Deux forces s’opposent :
- celle de l’ouverture et de la transversalité. La force du « personnel branding »
- celle de l’inertie des corps et des statuts.
La question est : comment faire entrer du « personnel branding » au sein de la fonction publique ? Avec quels risques et quelles conséquences ? Les corps intermédiaires (par exemple les syndicats) risquent d’être fragilisés. Il faut alors trouver les bonnes modalités d’action afin de vivre « sereinement » cette transition.
La démocratie participative
Pour illustrer ce thème, Christophe Assens prend l’exemple de l’ancien maire de Parthenay , Michel Hervé (+ photo du livre « de la pyramide aux réseaux). Ce chef d’entreprise favorable à « l’auto-gestion » avait tenté d’introduire de la démocratie participative et de développer le numérique dans la gestion de la commune. Alors qu’il avait tenté et réussi l’expérience au sein de son entreprise, il n’a finalement pas été suivi, compris, et n’a pas été réélu, sans doute du fait d’un trop grand décalage entre discours et réalité. Les corps intermédiaires n’ont pas été pris en compte. Ce qui a fonctionné en entreprise n’était pas forcément transposable dans le cadre d’un mandat électif. Ce qui en question ici, c’est aussi le pouvoir et les contre-pouvoirs. L’absence totale de pouvoir est une utopie. Il s’agit d’organiser différemment les pouvoirs et les contre-pouvoirs. Le réseau ne pourra se développer que si un nouvel équilibre est trouvé. Cela nécessite de recourir à un management que Christophe Assens définit comme « ambidextre ».
Autre expérimentation, citée par Christophe Assens, dans le secteur de la santé cette fois. Le réseau FREGIF (Fédération des Réseaux de Santé Gérontologiques d’Ile de France a mis en place une structure en réseau qui « se présente comme une solution de coordination » entre les différents acteurs : hôpitaux, ARS, conseils régionaux… (cf. p 37) . Dans cette expérience innovante, c’est le secteur des soins qui s’est adapté au patient et non l’inverse. (cf. chapitre 3 « un réseau de réseaux dans la santé » p 35 à 42).
Colbertisme versus fédéralisme
En France, il n’existe pas de culture fédéraliste de réseaux. Cela constitue un réel frein au développement de ce mode de fonctionnement. Néanmoins, sous l’influence des réformes territoriales successives (création des intercommunalités…), mais aussi de l’Union européenne, les structures rentrent peu à peu dans la logique de réseaux.
Par contre, ce nouveau type d’organisation reste trop souvent incompréhensible pour un grand nombre de citoyens. L’autonomie et l’interdépendance créées par les réseaux ne sont pas faciles à gérer et provoquent 2 réflexes opposés :
- il faudrait aller vers plus de fédéralisme (Union européenne)
- il faut revenir à la souveraineté, retourner au nationalisme
Dans les 2 cas, les schémas « classiques » sont remis en cause et le défi n’est pas facile à relever…
Dans un essai à venir « On est tous ego : du bon usage des réseaux », Christophe Assens pose la question de savoir si les réseaux pourraient remplacer les institutions. Il pense que les réseaux fonctionnent dès lors qu’on respecte les institutions et qu’on agit en complémentarité. Question de dosage…
Pas de réseau sans confiance !
Pour Christophe Assens, la confiance se présente sous 3 formes :
- La confiance « intutitu personae » : Cette confiance est liée à l’identité.
- des diasporas régionales aux diasporas mondialisées.
« Certaines entreprises développent leurs réseaux autour de cette logique identitaire, où les membres se font spontanément et naturellement confiance – donc peuvent collaborer très rapidement et très efficacement. L’exemple des diasporas – la diaspora chinoise à Aubervilliers par exemple, composée de personnes toutes issues de la même région – peut être citée. Ces diasporas ont ceci de particulier qu’elles sont en mesure de collaborer très rapidement, dans un climat de confiance innée pour leurs membres ».
- La famille : « Les Italiens se méfient de toutes les institutions et ont tendance à recréer des univers propres, autour du lien du sang – le noyau de la structure familiale est le centre de gravité de la société italienne. On va retrouver cette logique de réseaux familiaux dans l’entreprise ou dans un autre cadre, celui des mafias par exemple ». (cf interview Assens/Manpower)
- La confiance relationnelle: se construit au gré des échanges entre partenaires sur une base « gagnant-gagnant ». (cas des Etats-Unis)
- La confiance institutionnelle : Dans ce schéma, il existe un gardien, un garant du respect des règles du jeu. En France, le centre de gravité, en matière de confiance, c’est l’Etat.
« Il est difficile de sortir de ces cadres idéologiques, souvent nationaux, qui enferment l’acception du réseau.
Pourtant, cette notion et sa logique peuvent apporter des solutions nouvelles dans un monde complexe, en permettant de résoudre les tensions « social / économique », « local / global », « individuel / collectif ».
Dans quel monde vivons-nous ?
Christophe Assens constate qu’au 20ème siècle (ce n’est pas si lointain !), la vie sociale était régulée/réglée par les institutions ; au 21ème siècle, la vie sociale est désormais plus régulée/réglée par les réseaux. Pour lui, les réseaux sont des « réducteurs d’incertitude » (sic) et en tissant du lien social par l’économie, ils permettent de retrouver des points de repère, de se rassurer.
Si les réseaux ne sont pas suffisants pour créer une « nouvelle société », il est indéniable qu’ils « font société », qu’ils fabriquent des micro-sociétés. Reste la nécessité de complémentarité, d’articulation entre réseaux et institutions. Toujours cette question d’équilibre à trouver !
De nombreux échanges avec les participants ont suivi cette intervention. Dans sa conclusion, Catherine Gras a salué le soin apporté par Christophe Assens, en tant que chercheur, enseignant et praticien, pour allier théorie et pratique dans cet univers complexe des réseaux. Elle a aussi rappelé que pour bien fonctionner, les réseaux « obéissent » à des impératifs incontournables :
- la prise de conscience qu’on a besoin les uns des autres
- la nécessaire confiance qui doit s’instaurer entre partenaires
- le besoin d’égalité, ou comment passer de l’ego… aux égaux !
Un extrait de la préface d’Alain Juillet pour l’ouvrage « Les réseaux de service public : menace ou opportunité pour l’action publique ? » clôturera cette première rencontre de l’année dans le cadre des petits déjeuners de Galilée.sp : « Sachant que seul on peut aller vite mais qu’en groupe on peut aller loin, la confrontation pacifique avec d’autres, en interne ou en externe au service public, ne peut que faire progresser l’ensemble car ce sont les réseaux qui apportent les idées, lancent les évolutions et les portent vers la réussite… » (cf. p.7)