PETIT-DEJEUNER DU MERCREDI 13 NOVEMBRE 2019
AVEC CLAUDE TARLET
« Le rôle de la sécurité privée dans la sécurité des citoyens »
Notice Biographique de Claude Tarlet
Président de la Fédération Française de la Sécurité Privée (FFSP)
Autres fonctions :
- Président, Alliance Nationale des Activités Privées de Sécurité (ANAPS) (depuis 2013)
- 1er Vice-président de la Confédération européenne des services de sécurité (CoESS) (2008)
- Il a organisé le 1er Sommet Européen de la Sécurité Privée à Paris en 2008
- Président, Union des entreprises de sécurité privée (USP) (depuis 2003)
- Président, Syndicat National des Entreprises de Sécurité (SNES) (1996 – 2003)
- Élaboration du premier Livre Blanc de la Sécurité privée (1992)
- Entrepreneur (depuis 1979)
Formation :
- Diplômé de la 14ème promotion, Institut National des Hautes Études de Sécurité Intérieure
Membre du / de la:
- Conseil d’Orientation de l’Observatoire National de la Délinquance (2010)
- Président du Comité Sécurité du MEDEF
- Commission Nationale des Services auprès du Ministre de l’Économie et des Finances (2015-2019).
- Collège National et de la Commission Nationale d’Agrément et de Contrôle du CNAPS (2012-2019).
Après quelques mots d’accueil et de bienvenue, Gilbert Deleuil. Président du conseil d’administration de Galilée.sp, procède à une brève présentation de Claude Tarlet et lui cède aussitôt la parole.
CLaude Tarlet remercie Gilbert Deleuil pour son invitation, ses propos, et la possibilité qu’il lui offre de contribuer à apporter une meilleure compréhension du monde de la sécurité privée dans le cadre d’un échange très libre.
Les deux mondes de la sécurité privée.
Il souhaite apporter un éclairage aussi fluide que possible sur ce qu’il considère comme un enjeu fondamental, c’est-à-dire « ce que doit être la place de la sécurité dans une stratégie de sécurité intérieure du pays ».
Il le fait avec d’autant plus d’intérêt que la Fédération Française de la Sécurité Privée regroupe aujourd’hui, ce qui est mal connu, 18 organisations professionnelles distinctes. Elles portent, dans cette sphère économique de la sécurité privée des intérêts, des métiers très différents. C’est une erreur profonde de croire que la sécurité privée est pour l’essentiel encadrée par le code de la sécurité intérieure et ne concerne essentiellement que des activités employant de gros bataillons humains.
Quand on parle de l’environnement de la sécurité privée, on parle de 300 000 personnes qui interviennent certes pour partie dans un champ réglementé mais aussi dans un champ qui ne l’est pas.
Dans le champ réglementé, on trouve principalement les activités d’entreprises liées à la protection des ressources : sociétés de surveillance humaines, sociétés de sûreté aéroportuaire, entreprises de transport de fonds, les activités liées à la télésurveillance et une activité particulière, celle qui concerne la recherche de personnes… Ces activités réglementées relevent de conventions collectives différentes.
L’autre partie des activités, « l’autre monde », relève du champ non réglementé.
C’est celle du conseil, de l’audit, de l’intelligence économique, des installateurs de systèmes techniques perfectionnés (alarmes, protections techniques diverses, vidéo-surveillance, toutes les activités nouvelles liées aux systèmes intégrant l’intelligence artificielle, le cyber, les drones, le pilotage des datas notamment pour les entreprises, il y a aussi, ce qui est mal connu et en plein essor, la sécurité technique des bâtiments …). Toutes ces activités ne relèvent pas du champ réglementé.
La formation
Mais, il y a aussi le grand domaine de la formation. Avec environ 1 millier d’acteurs. Il s’agit de la formation qui permet d’acquérir des qualifications dans les différents métiers de la sécurité privée dans le cadre des RH mais également de la formation en direction du « middle management » voire des cadres dirigeants. La culture de la sécurité dans l’entreprise progresse mais est encore insuffisante alors que c’est l’un des premiers vecteurs de compétitivité et de croissance.
On trouve également des acteurs qui interviennent dans l’arène internationale comme pour la protection physique de personnes ou d’infrastructures. Ces activités sont regroupées dans une organisation professionnelle spécifique.
Enfin, on trouve aussi les services internes de sécurité de grosses entreprises (20 000 personnes) qui s’appuient sur des salariés mais peuvent recourir en complément à des entreprises de sécurité privée.
Claude Tarlet prend le temps de dire tout cela pour « montrer que l’économie de la sécurité privée dépasse très largement le cadre dans lequel très souvent on plante le décor ».
Pour une culture partagée : articuler le monde des technologies et celui des ressources
Afin de parvenir à une vraie vision stratégique de la sécurité, il faut intégrer toutes ces activités et organiser progressivement l’articulation entre le monde des technologies et celui des ressources. L’avenir est dans une solution globale. Il faut intégrer l’ensemble de ces activités dans une architecture d’ensemble. Les uns et les autres doivent se parler et imaginer ensemble des architectures opérationnelles qui permettent d’être de plus en plus efficace… Il faut créer cette culture partagée.
On parle de “l’homme augmenté” mais en fait il évolue dans un environnement qui change profondément par les pratiques, les technologies et par l’urgence des situations auxquelles sont confrontés aujourd’hui les acteurs de la sécurité intérieure du pays. La sécurité privée doit être elle-même en ordre pour être en capacité de jouer pleinement son rôle dans la sécurité globale du pays.
Bien évidemment, Claude Tarlet insiste sur le fait que dans cette stratégie de sécurité intérieure la sécurité privée peut certes constituer un appui mais ne peut en aucune façon entrer en compétition avec les acteurs publics (police, gendarmerie nationale, militaires, agents des douanes, policiers municipaux…). Elle a une place. Elle est originale. Elle est aujourd’hui ressentie comme nécessaire parce que « pour de multiples raisons l’Etat ne peut plus, ne souhaite plus ou n’a plus les moyens d’intervenir dans un certain nombre d’espaces ». Il y a donc une forte tentation de confier à ce secteur marchand de la sécurité privée un certain nombre de missions complémentaires.
Mais « le secteur de la sécurité privée est marchand par nature et n’obéit donc pas aux mêmes objectifs que la puissance publique. L’Etat est régalien, il a la responsabilité de la protection de l’ensemble de la nation ».
Le secteur de la sécurité privée est peuplé d’entreprises dont l’objectif est de développer des affaires, de réaliser des « résultats ». Le lien au citoyen n’est pas tout à fait le même. Par définition, la sécurité privée n’a pas de mission de service public. Quand on pose la question du continuum de la sécurité, on pose bien le problème sur le plan de la stratégie globale mais pas assez clairement sur le plan économique. Il faut que les entreprises privées trouvent leur intérêt à participer au dispositif, sinon elles ne s’engageront pas ou pas complètement.
La place et le rôle de la sécurité privée sont soumis à plusieurs évolutions indispensables.
Il n’est pas facile de se livrer à ce travail d’analyse en raison de la pression des évènements : attentats terribles de 2015, l’Euro de 2016, la prégnance d’une certaine violence dans la société (mouvement des gilets jaunes…).
En France, avec la perspective de l’organisation des JO et de la coupe du monde de rugby, l’Etat est aujourd’hui amené à considérer que la sécurité privée doit jouer un rôle plus important.
Pour jouer ce rôle encore faut-il que le monde de la sécurité privée ait une pensée globale. Il a un rôle complémentaire à jouer par rapport au rôle de la sécurité publique mais il faut que cela soit en partage.
La sécurité privée est mieux perçue aujourd’hui des partenaires publics pour la capacité opérationnelle qu’elle offre mais elle fait encore l’objet d’une certaine méfiance. Il reste encore des marges de progression en raison de mauvaises pratiques qu’il faut identifiées et éradiquer.
Mais les choses évoluent.
Nous évoluons vers des solutions où l’homme va devenir l’un des éléments de la réponse mais pas le seul
On voit bien que d’ailleurs, que les JO de Londres ont connu un moment difficile : les sociétés de sécurité privée se sont effondrées et il a fallu recourir à l’Armée. Le dispositif reposait presque essentiellement sur la présence humaine. Cette année aux jeux de Tokyo, c’est une autre approche, elle reposera presque sur le « tout technologique ».
En France, nous aurons à imaginer un équilibre entre l’approche technologique, et l’approche humaine avec de vrais spécialistes de la sécurité événementielle. Aujourd’hui, les entrepreneurs de la sécurité événementielle (au nombre de 50) viennent de créer une organisation professionnelle adhérente à la Fédération nationale de la sécurité privée. Cela témoigne d’une volonté de faire reconnaître un vrai métier avec ses spécificités propres. Ils veulent lutter contre une certaine domination des grandes sociétés, comme on l’a vu lors de l’Euro 2016 qui remportent plus facilement les marchés du seul fait de leur taille économique, qui rassure (« Thomas Cook » aussi était rassurant …), alors qu’elles n’ont pas d’expertise spécialisée. Cette situation conduit à « écraser les marges » dont on a besoin demain pour recruter, former, investir.
Mais il faut avoir conscience que la sécurité privée doit encore accomplir quelques efforts pour se mettre au niveau des attentes.
Nous avons bien deux mondes dans le domaine de la sécurité privée. Un monde des technologies à forte valeur ajoutée, en forte croissance.
Et un monde qui est en souffrance du fait d’une concurrence exacerbée entre acteurs, le monde des ressources. Ce décalage dans la capacité à être rentable peut être à la source de dérapages, bien évidemment pointés, nuisant à l’image.
D’autant que cette profession, celle des ressources, se cherche et voudrait offrir des parcours professionnels attractifs. Devenir agent de sécurité n’est pas aujourd’hui une perspective très séduisante. Ce pari n’est pas encore gagné. Nous avons 8 000 entreprises dont la concentration est plus faible que la moyenne européenne. De plus 77 % des entreprises sont des PME/PMI qui représentent la force vive sur laquelle on doit s’appuyer. Cela étant, il ne faudrait pas qu’il y ait des auto-entrepreneurs (2 000 en France), avec le risque inhérent des sous-traitances en cascade pour faciliter l’accès aux marchés. Ce n’est pas sain, même si ce n’est pas forcément la pratique générale. Il faut certes la liberté d’entreprendre, mais dans un métier aussi sensible que celui-là, un minimum de « surface » s’avère tout de même nécessaire. Ou alors si l’on admet qu’il puisse y avoir dans certaines fonctions, un travail indépendant comme c’est le cas pour la protection physique des personnes, ou des agences privées de recherche de personnes, il faut alors un meilleur encadrement juridique des activités qu’il ne l’est aujourd’hui. Le CNAPS, Conseil National des Activités Privées de Sécurité, organe de régulation nationale relevant du ministère de l’intérieur, est peut-être « trop ouvert » …
L’opinion publique, interrogée régulièrement, commence à être dans une relation plus confiante avec les acteurs de la sécurité privée.
Le dernier sondage sur la perception de la sécurité privée par l’opinion publique est assez positif.
L’opinion est aujourd’hui sondée sur « l’environnement de la sécurité » qui est en train de changer : les nouvelles technologies, les drones, la vidéo-surveillance, la reconnaissance faciale (dont le développement est inéluctable), le scannage corporel, les objets connectés (principale faille de sécurité qui puisse exister) …
L’environnement potentiel des prochains JO ce sera : dans l’air des drones, de la vidéo-surveillance intelligente liée à l’intelligence artificielle (pour faire du prédictif notamment…), probablement de la reconnaissance faciale (dont le développement est inéluctable), l’intelligence artificielles, les scanners corporels…
l’environnement dans lequel la sécurité privée va se retrouver n’aura plus rien à voir, y compris par rapport à l’Euro de 2016.
Pour l’Euro 2016, il a fallu mobiliser la sécurité privée. On a recruté des femmes pour les palpations. Mais l’enjeu de la féminisation perdure en matière de sécurité privée… On était dans une logique de prévention et de contrôle où les forces de la sécurité publique étaient prééminentes. Mais on entre maintenant dans une période où la sécurité privée sera beaucoup plus impliquée avant, pendant et après. Il va falloir imaginer, au-delà des déclarations d’intention des uns et des autres, de vraies plateformes opérationnelles de partage de l’information. Il ne s’agit pas d’un partage de responsabilité, mais d’un partage opérationnel des actions à mener. Ce partenariat, peut exister ponctuellement sur le terrain en fonction des hommes concernés, mais n’est pas institutionnalisé à l’échelle nationale. Cela nuit à l’efficacité.
Une sphère économique, généralement mal connue, en en pleine transformation
Pour les politiques l’appréhension fine de la sphère de la sécurité privée n’est pas toujours claire.
Il faut sans cesse expliquer, sachant que les métiers sont en train d’évoluer. Les modèles sont en permanence bouleversés et en complète transformation. De nouvelles formes d’activités émergent sur lesquelles on doit réfléchir.
Par exemple, le recours aux « data scientists » pour l’analyse prédictive afin d’ être davantage efficace sur le terrain …
La sécurité privée n’est plus et n’est pas l’image, qui colle à la peau, de « l’agent de sécurité » plus ou moins bien recruté, formé ou encadré … Cela existe encore mais la sécurité privée c’est aussi autre chose … C’est 300 000 personnes, 20 000 entreprises, entre 8 et 10 milliards de chiffre d’affaires, 7 ou 8 conventions collectives…
L’enjeu et la question complexe des conventions collectives
La difficulté de la sphère économique de la sécurité privée aujourd’hui c’est qu’elle repose sur une convention collective « prévention et sécurité » qui en réalité est traversée par de nombreuses autres. C’est le support de l’action sociale et donc un élément important de l’économie des entreprises.
Les entreprises de la sphère économique de la sécurité privée relèvent, en effet, de 6 à 7 conventions collectives différentes.
Certaines ont de fortes affinités avec la Fédération des industries électriques, la Fédération des activités numériques (Syntec) voire le BTP (sécurité bâtimentaire).
Or, le gouvernement a comme volonté de réduire le nombre des filières dans le pays. Nous avions 600 conventions (il y a un peu plus de deux ans), aujourd’hui nous en avons 362 ; pour l’avenir un rapport qui doit être remis prochainement en propose 82, tandis que l’Elysée en souhaiterait seulement 50…
L’enjeu pour la sphère de la sécurité privée sera d’« offrir une seule tête ». Cela va être compliqué, mais il va falloir y aller comme, on le voit pour l’artisanat (35 métiers et une seule convention collective…). Ce n’est pas simple : faut-il rester dans une filière de services et/ou ou se mixer avec une filière industrielle (« filière industrie et services de sécurité ») ? …
Le nécessaire développement des échanges entre sécurité publique et sécurité privée
Claude Tarlet profite de la présence au petit déjeuner de Thierry Leleu, président de l’INHSJ, l’Institut National des Hautes Etudes sur la Sécurité et la Justice, pour évoquer sa déception de voir programmer sa suppression dans le cadre des mesures d’économies gouvernementales. C’était pour lui l’un des rares lieux de partage entre des acteurs de la sécurité aux cultures et aux codes différents … C’était aussi l’un des rares lieux de rencontre entre les hommes et les femmes du public et du privé ! … Du reste, M Tarlet l’a dit au Premier Ministre…
Il s’agit de partager les expériences des uns et des autres, de gagner en éthique, en compétence, en capacité opérationnelle, en formation … Le monde privé en a besoin. Soyons innovants ! Soyons volontaires !…
En guise de conclusion, le problème préoccupant de la radicalisation religieuse dans les effectifs des entreprises
Il existe des points forts dans la sécurité privée. Mais il faut reconnaître qu’il y a aussi des points faibles et notamment celui relatif au problème de la manière dont nombre d’entreprises recrutent, forment et encadrent leur personnel.
Claude Tarlet dresse le constat préoccupant de la radicalisation religieuse dans les entreprises traditionnelles de main d’œuvre. Des « gens éminents sont dans le déni ». Mais « des chefs d’entreprises disent que ça ne va pas bien du tout » ! … Et l’entrisme concerne également les activités technologiques…
Dans les territoires, il convient de « partager davantage », travailler sur la « détection des signaux faibles » dans les entreprises…
Pour Claude Tarlet il s’agit d’un enjeu majeur, notamment dans la perspective des grands évènements à venir (JO …).
Enfin, Claude Tarlet constate que l’on entre dans un moment passionnant mais qui nécessite cependant une vision globale de la part des acteurs privés de la sécurité.