Philopol du 18 janvier 2017
l’action publique dans l’économie
Ce troisième séminaire « Philopol » consacré à « l’action publique dans l’économie » s’est déroulé dans les locaux de l’OCIRP, rue de Marignan. Il a rassemblé près de 50 participants.
Avant de présenter les trois intervenants de la soirée et de leur donner la parole, Gilbert Deleuil, Vice-Président de Galilée.sp et organisateur des séminaires, a souhaité faire un rappel des principaux défis auxquels nos économies et nos sociétés ont été et sont encore confrontées : la financiarisation de l’économie, le déclin industriel, le chômage et la précarisation des emplois, les fractures territoriales, la concurrence des pays émergents ou à bas coût de main d’œuvre, le dumping social, l’évasion fiscale, la transition énergétique et environnementale.
Face à de tels constats et défis, comment réagir aux discours actuels de résignation, de dévalorisation du rôle de l’Etat et du service public ? Comment remédier au sentiment « d’impuissance publique » ressentie par les citoyens ? Comment l’Etat et le service public peuvent-ils faire face aux enjeux économiques et sociaux et répondre aux attentes des citoyens ?
Pour tenter d’ouvrir des pistes de réflexion et d’action, trois intervenants ont répondu à l’invitation de Galilée.sp :
Bruno Moschetto, Maître de conférences en sciences économiques à l’ESCP EUROPE, Secrétaire national du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) pour les questions économiques,
Véronique Riches-Florès, économiste indépendante, spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux,
Patrick Viveret, ancien Conseiller maître à la Cour des Comptes, philosophe et essayiste altermondialiste
Bruno Moschetto : Réflexions iconoclastes et souverainistes
Dès le début de son propos, Bruno Moschetto se pose en « briseur d’images » et pourfendeur d’idées reçues en articulant son exposé autour de 3 « foyers concentriques »
– Le monde
– L’Europe
– La France
Le monde
Evoquer le monde pour l’économiste qu’est Bruno Moschetto, c’est traiter la question de la mondialisation et de la libéralisation des échanges.
Les quatre libertés de circulation
On peut les regrouper en 2 catégories :
- les produits des facteurs de la production
– les biens qui représentent 80 % des échanges mondiaux
– Et les services, seulement 20 %
- les facteurs de la production
– les capitaux qui sont de 2 natures : techniques et/ou financiers
– les hommes et leurs migrations frontalières ou intercontinentales
Pour Bruno Moschetto, la libéralisation générale des échanges, si elle est quasi absolue pour les trois premières libertés citées ci-dessus, n’existe pratiquement pas pour les hommes en dépit des flux migratoires qui restent modestes par rapport aux stocks démographiques. De ce fait, la « plénitude » des trois premières libertés est annihilée par la quatrième qui neutralise l’ensemble.
Cet état de fait pénalise un certain nombre de pays avancés, dont le nôtre, d’où l’apparition de déséquilibres qui deviennent insupportables. Comment expliquer ces phénomènes ? Les capitaux sortent librement des pays avancés excédentaires en épargne à destination des pays émergents déficitaires en investissements ; c’est ce que l’on appelle les activités de délocalisation des entreprises utilisant une main d’œuvre à bas coût salariaux et protection sociale limitée. Il y a alors un effet boomerang des produits de consommation issus des entreprises délocalisées dans le sens où ces importations compétitives ont aussi un effet déflationniste, donc récessionniste
Le ré-équiIibre de ces échanges inégaux ne pourrait résulter que d’une immigration accrue en provenance des pays émergents – dont l’Afrique – . Du coup, la population de l ’Europe de 500 millions devrait théoriquement passer à 2 milliards et demi et les prix à la production s’uniformiseraient vers le bas – et la délocalisation à terme tuerait la délocalisation – en attendant cet « eldorado », il s’agit de voir comment les pays pénalisés ripostent.
Donald Trump, nouveau Président des Etats-Unis, vient de décider de stopper la création de « maquiladoras » au sud du Rio Grande. Mais qu’est-ce qu’une « maquiladora » ? Ce terme dérivé du terme hispano-mexicain maquila désigne un droit perçu par le meunier qui loue son moulin au laboureur venu y transformer ses boisseaux de blé en sacs de farine. Ainsi la « maquila » correspond à une retenue sur la valeur ajoutée produite par cette transformation.
Appliquée notamment à la construction automobile, la création de maquiladoras au Mexique a résulté de l’écart considérable des taux de rémunération horaire entre le travailleur mexicain (1$) et le travailleur américain (8 $), d’où l’avantage de transférer des capitaux de production au Mexique, puis de faire traiter les matières premières et les produits semi finis par les maquiladoras et de rapatrier les produits finis assujettis seulement à la taxe sur la valeur ajoutée obtenue au dehors et destinés à la consommation américaine à bas coût.
En voulant mettre un terme à cette prolifération des maquiladoras, Donald Trump ambitionne de créer de l’emploi au Michigan au détriment du Mexique en vertu de son slogan « America first » il donne ainsi le « la » et on peut penser que d’autres pays suivront un tel mouvement de protectionnisme. Cela se fera au prix d’une inflation par les coûts mais l’essentiel c’est que la demande soit au rendez-vous en devenant solvable aussi appartiendrait-il aux banques commerciales de financer cette demande.
L’Europe
Premier problème : le « Brexit ».
Retour rapide sur ce qui a précédé le « Brexit » intervenu le 23 juin 2016. Le Premier Ministre conservateur David Cameron a organisé un referendum afin de calmer les demandes virulentes de Nigel Farage, leader de l’UKIP (UK Independence Party), parti anti-immigration et eurosceptique, alors que lui-même et son gouvernement faisaient campagne pour le maintien du Royaume Uni au sein de l’Union européenne. Pourquoi ce referendum a-t-il été « perdu » par le gouvernement britannique ? Parce que les électeurs britanniques étaient contre la libre circulation intra-européenne des personnes et non pas contre l’existence du marché unique pour les marchandises et les capitaux. Quels étaient les motifs de cette hostilité à l’immigration intra-européenne ? Les ressortissants d’Europe de l’Est, Pologne en tête, étaient par leurs bas salaires particulièrement compétitifs par rapport aux salariés britanniques non protégés par les minima sociaux, donc par la mise en jeu de l’offre et de cette flexibilité, les salaires étaient tirés vers le bas, d’où la volonté de mettre un terme à cette concurrence « faussée », à ces échanges inégaux.
Les conséquences probables de ce « Brexit ».
Le Royaume Uni pourrait demander une forme de maintien du marché unique pour la libre circulation des biens des services et des capitaux, ce qui ne devrait pas pénaliser les économies des pays membres à pouvoir d’achat élevé. Le rejet de la libre circulation intra- européenne des travailleurs ne devrait concerner que les pays à main d’œuvre très compétitive. Allons-nous nous battre pour sauver le soldat polonais, et ce, alors même qu’il nous tire dessus lorsqu’il se camoufle en travailleur détaché ?
Ces deux aspirations (maintien de la libre circulation pour les biens, les capitaux, les services versus rejet de la libre circulation des personnes) répondent à des logiques différentes et négociables pour les autres membres de l’UE, dont la France.
Il ne faut pas pour autant espérer que les activités du Stock Exchange vont se délocaliser au Palais Brongniart, compte tenu de l’habilité des traders de la City et des habitudes des marchés. Depuis la création de l’euro, le marché des actifs financiers de nature monétaire s’est fixé et développé à Londres. Seules les activités de compensation des actifs financiers de nature non monétaire – en fait les produits dérivés des actions et des obligations – pourraient ne plus bénéficier du « passeport européen ». Nul doute qu’elles pourraient trouver un havre réglementaire, le Brexit n’est donc ni un problème pour la City, ni une chance pour Paris.
Deuxième problème : la compétitivité allemande
Cette compétitivité constitue un dégât collatéral compte tenu du déficit récurrent de notre balance commerciale et de l’excédent symétrique et insolent de celui de l’Allemagne. La France est considérée comme étant à la traîne de notre voisine d’Outre-Rhin et ce parce que ses prix ne sont pas compétitifs. A la réflexion, ainsi que nous le rappelle l’Organisation internationale du travail (OIT) dans les conclusions de son rapport pour 2011, ceci est totalement faux puisque l’Allemagne, par ses prétendues performances économiques, tire l’ensemble de celles de ses partenaires vers le bas et tout particulièrement celles de la France condamnée à l’austérité et ce par le truchement de deux artifices :
– Le premier artifice ou avantage comparatif : l’Allemagne, à l’instar de la Chine, atelier du monde, est devenue l’atelier de l’Europe. Comment ? Tout simplement en procédant à des achats destinés à sa chaîne de production dans des pays à bas coût, ceux de son « Hinterland », c’est-à-dire ceux de l’Est, et en les incorporant dans des produits destinés à des pays au pouvoir d’achat élevé ceux de l’Europe de l’Ouest et tout particulièrement la France. Du coup, ses performances en matière de compétitivité/prix résultent de celles des produits made by Germany et non plus in Germany selon la formule imaginée par Jacques Sapir.
– Le deuxième artifice ou avantage comparatif résulte de ce que l’on appelle pudiquement de nos jours les dévaluations internes qui ne sont plus possibles compte tenu de l’adoption de l’euro en tant que monnaie unique. C’est au titre de ces « dévaluations internes » que la baisse généralisée des salaires et des retraites est imposée par les gouvernants, et plus particulièrement dans le secteur tertiaire, et qu’elle est accepté par les populations. Ainsi, une coupe de cheveux pour homme coûte 12 € en Allemagne contre 24 € en France soit 50% de plus Mais quel est le lien entre le prix de ce service et la compétitivité des prix industriels à l’exportation ?
Un simple calcul permet de l’identifier en effet dans les pays à structures comparables telles que celles de l’Allemagne et de la France, la production du secteur primaire (agriculture) est équivalent à 10% du total, celle du secteur secondaire (industrie) est équivalent à 20% du total et celle du secteur tertiaire (les services) à 70% du total. Si les prix de ces derniers sont inférieurs de 25% aux nôtres, alors, le tour est joué !
En effet, toute chaîne de production va incorporer des produits relatifs au secteur tertiaire pour un coût moyen pondéré inférieur de 17,5% résultant de 70% (assiette) x 25% (taux). Autrement dit, c’est parce que l’ouvrier de la construction automobile allemand paie sa coupe de cheveux 12 € et tous les services à moins 25% que les produits allemands à l’exportation sont inéluctablement compétitifs.
On peut en déduire que cette composante de la demande globale – la demande d’exportation pour accroître nos parts de marché – nous est strictement fermée.
Alors, comment augmenter notre taux de croissance ? Exclusivement en relançant notre demande de consommation et d’activité, exclusivement en relançant notre demande d’investissement et plus particulièrement la composante investissement public, mais celle-ci se heurte nous dit-on à un plafond de verre au plan national, celui du taux d’endettement par rapport à la production intérieure brute devenu une espèce de loi d’airain budgétaire depuis Maastricht avec un taux limité normalement à 60% du PIB et qui a dépassé aujourd’hui les 100%.
La France
Une dette souveraine est une réalité, et comme toute dette, elle est amortissable, qu’elle soit le fait des particuliers ou des entreprises à l’exception des emprunts perpétuels lesquels sont rares pour les entreprises (Canal de Suez) alors que cela était courant pour les Etats au XIXème siècle.
Le service d’une dette souveraine implique et le paiement d’un taux d’intérêt et le remboursement du principal, généralement d’une façon échelonnée (semestre ou année).
Le paiement de l’intérêt correspond au coût du financement de l’emprunt obligataire pour son émetteur et à la rémunération du portage par les souscripteurs des titres ; De ce fait, ce coût rentre dans les dépenses de fonctionnement du budget et comme l’ensemble de celles-ci, ce coût est payé par la totalité des contribuables notamment tout redevable de la TVA (y compris les SDF), alors que les revenus symétriques des obligations (Emprunts et Bons du Trésor) sont perçus par une minorité de contribuables : les rentiers. Cela dit, pas de dette pas de rente, pas de rente pas de rentiers, alors que personne n’aspire à les euthanasier sauf à contribuer à rompre l’équilibre économique et financier général.
Dire que la France est ou sera en faillite est une absurdité, puisque du binôme – paiement des intérêts et remboursement du principal -, c’est fondamentalement le premier qui compte pour les prêteurs. En effet, les créances des rentiers n’ont pas vocation à être amorties car ce serait la fin de leur existence. En conséquence, l’essentiel pour les détenteurs de créances souveraines, c’est que l’Etat débiteur paie régulièrement les intérêts intégrés dans les dépenses de fonctionnement, ce qui lui permet de lever les capitaux nécessaires aux échéances successives du remboursement du capital.
A ce titre une dette souveraine amortissable est en réalité par son renouvellement quasi automatique, assimilable à une dette perpétuelle (pratique ancienne) comme l’est d’ailleurs en principe tout Etat (théorie de la succession d’Etats )
Les Etats membres de la zone euro, endettés dans leur propre monnaie (l’euro) – dont la France – ne peuvent être mis en faillite en dépit de la doxa prépondérante puisque leurs résidents contribuables sont les garants implicites de leur dette, et à ce titre corvéables à merci tant que l’impôt peut être levé pour produire les euros manquants, soit résultant de majorations fiscales destinées à accroître les recettes publiques et par là à diminuer les revenus d’une minorité de contribuables soumis à l’impôt sur le revenu, soit résultant de plans d’austérité destinés à réduire les dépenses publiques et donc les revenus de tous les résidents, contribuables ou non.
Cette situation n’était pas celle du Mexique des années 80 et de ses pareils, lesquels étaient endettés dans une monnaie qui n’était pas la leur, le dollar ; dollars qu’ils ne pouvaient normalement obtenir que par un accroissement du volume de leurs exportations alors que le prix des hydrocarbures était en chute libre et que les taux d’intérêt libellés en dollars calculés ou indexés à taux variable sur le Libor, selon la technique des euros crédits, avaient doublé du fait de la politique anti inflationniste de Paul Volcker, passant de 7,5% à 15%. L’effet ciseau pour les mexicains et leurs pareils était insupportable.
Certes notre dette libellée en euros est détenue en majorité par des non-résidents qualifiés d’étrangers, mais la localisation du détenteur ne change en rien l’obligation de l’émetteur. Si les non-résidents se sont portés acquéreurs de notre dette, c’est qu’ils l’ont bien voulu et qu’ils ont confiance en notre signature. Si d’aventure ils avaient moins confiance, ils vendraient leurs titres, lesquels seraient mécaniquement achetés par les résidents, et ce d’autant plus facilement que notre balance des capitaux est équilibrée et qu’ils pourraient vendre leurs actifs financiers émis par des non-résidents.
En définitive, la localisation de notre endettement est un faux problème, que la dette publique soit détenue par des résidents ou des non-résidents.
La nationalisation de l’euro pourrait-elle être une solution ?
Cela impliquerait une gestion pragmatique de l’euro. Bien que la banque centrale sise à Francfort soit européenne, les billets émis par chacune des banques centrales nationales ne le sont pas. En France, la définition de l’euro témoigne d’un ancrage national. L’article 1er du Chapitre 1er du Code monétaire et financier stipule que « la monnaie de la France est l’euro, et l’euro est divisé en 100 centimes » on peut en déduire que l’Euro est la monnaie de chaque Etat membre avant d’être celle de la zone euro. Pour chaque Etat membre, ceci est illustré par le fait que les pièces de monnaie ont une face nationale et que les billets ont un code national qui précèdent leur numéro, par exemple U pour la France, X pour l’Allemagne, Y pour la Grèce. La monnaie de la France, comme toute celle des autres pays de la zone, a donc bien gardé son ancrage territorial et national.
Ainsi, pour ce qui concerne la France, rien n’interdirait de convertir son unité monétaire actuelle, l’euro, en euro franc. Une banque commerciale française dont le déposant résident ou non souhaiterait convertir ses avoirs en compte en billets se verrait offrir des billets portant explicitement la mention euro franc, marqués du signe distinctif existant : U ; ceux-ci cohabiteraient au sein de la zone euro avec d’autres euros nationaux. Cela pourrait donner lieu à des dépréciations ou à des appréciations qui tempèreraient le passage d’une « euro monnaie » à une autre sans que cela nécessite l’établissement d’un contrôle des changes.
Les risques d’un tel passage procèdent de la définition de la monnaie. Pour ceux qui la détiennent – qu’ils soient résidents ou non -, il s’agit de créances sur l’appareil bancaire du pays concerné : des créances sur les banques commerciales pour les avoirs en compte, des créances sur la banque centrale pour les avoirs en poche. Ces créances ont pour contrepartie des crédits sur chacune des économies nationales ; en matière monétaire, l’essentiel se ramène aux territoires nationaux. Ainsi, pour un pays donné, le passage de l’euro à l’euro national ne change pas fondamentalement la nature et le montant de ses dettes. Ce qui est vrai pour les avoirs monétaires le serait aussi pour les avoirs obligataires, en particulier les créances souveraines. A l’échéance, celles-ci seraient payées en euros nationaux à leur valeur de remboursement non modifiée par la mutation monétaire.
En revanche, la valeur de ces créances souveraines serait appelée à fluctuer sur les marchés secondaires. Face à une dépréciation significative de la valeur de ces créances, les détenteurs seraient conduits à constituer des provisions compensatoires. Rien n’interdirait de penser que ces provisions pourraient être reprises en cas d’appréciation ultérieure de la valeur de ces mêmes créances.
Les avantages de cette formule
En dehors de l’impact éventuel de l’inflation – tant que les détenteurs d’avoirs en euros nationaux ne les convertissent pas en euro euro -, leur pouvoir d’achat sur le marché national ne change pas. Seuls les détenteurs non-résidents d’euros nationaux pourraient voir éventuellement la valeur de leur créance monétaire ou obligataire se déprécier sur les marchés.
Ainsi, l’euro zone redeviendrait une zone monétaire soutenable et durable. Dans ce nouvel univers monétaire, chacun retrouverait sa compétitivité sur les marchés de biens et de services sans avoir à rendre compte à une quelconque Troïka. En cas de difficultés, celles-ci auraient été par avance résolues et éliminées par l’adoption de changes multiples en lieu et place d’une monnaie unique, ainsi que le souligne Joseph Stiglitz dans son ouvrage « l’Euro : comment la monnaie unique menace l’Europe ».
Conclusion
Grâce à une telle mutation, la France conserverait l’euro comme monnaie nationale, mais en revanche, elle sortirait de l’union économique et monétaire (UEM), ce qui implique qu’elle rapatrierait ses réserves publiques de change de Francfort à Paris et qu’elle céderait ses avoirs correspondants à la détention du capital de la banque centrale européenne (BCE) puisque celle-ci serait alors remplacée par la Banque de France.
La France ferait d’une pierre trois coups puisqu’elle récupérerait ses souverainetés cambiaire, budgétaire, et monétaire.
- cambiaire : sa monnaie fluctuerait librement sur les marchés,
- budgétaire : les contraintes bruxelloises n’auraient plus lieu d’être,
- monétaire : en cas d’un retour significatif de l’inflation, la dette serait effacée à hauteur du taux de celle-ci et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Véronique Riches-Flores : les raisons d’un reflux de l’action publique
Des constats
Depuis 40 ans, la place de l’Etat n’a cessé de refluer. Pourquoi ? Pour Véronique Riches-Flores, ce recul est le résultat de 4 facteurs :
- Une dynamique démographique très « porteuse » : synonyme de jeunesse, d’investissements, d’ouverture des frontières. La 2ème moitié du 20ème siècle est celle du « baby boom ». La population mondiale est passée de 2 milliards (années 50) à 7 milliards (années 2000). C’est une époque d’explosion de la population de jeunes actifs, avec des progrès significatifs en matière sanitaire et de santé. Au-delà de l’économique, il faut aussi considérer l’impact politique de cette génération.
Au début des années 80, le capitalisme occidental est en panne de croissance ; « essouflé » il cherche alors à se régénérer par l’ouverture des frontières. L’objectif est triple : en s’ouvrant aux produits de pays sous-développés à faible coût de main d’œuvre, le monde occidental permettrait à de nouveaux pays producteurs de se développer et aux consommateurs du monde développé de bénéficier d’un pouvoir d’achat accru, procuré par l’accès à des produits de moindre prix. En retour, l’ouverture des frontières, permettrait au capitalisme mondial de trouver de nouvelles sources de croissance, auprès de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le monde émergent.
On assiste à un essor considérable de la base productive mondiale reposant sur un capitalisme auto-alimenté par une ressource quasiment inépuisable en travailleurs. Le processus de développement repose ainsi quasi intégralement sur le développement de l’offre. Dans cette configuration, on se passe très bien de la puissance publique et de tout ce qui pouvait gêner le fonctionnement de cet épanouissement collectif.
- L’ère du crédit de masse et de la financiarisation de l’économie mondiale alimentée par deux facteurs de soutien : le boom de l’épargne mondiale, la multiplication des flux de capitaux (mondialisation). Dans les années 1990 à 2000, les « baby boomers » entrent dans la deuxième moitié de leur vie active. C’est le temps de l’épargne, de la constitution d’un patrimoine (achat d’une maison…). L’épargne, c’est aussi la capacité de financement, l’écrasement des taux d’intérêt.
Avec la concurrence et l’explosion de la base productive (Asie), l’inflation disparaît, la pression est mise sur le coût du capital, des « bulles » apparaissent.
On est alors face à un modèle de développement basé sur un essor considérable de l’offre, qu’il faut absorber. Après la déréglementation économique des années quatre-vingt, il s’agit de déréguler la finance mondiale…jusqu’au moment où l’excès de dette devient insoutenable et où les « bulles » explosent.
- La disparition du communisme et des garde-fous contre un capitalisme débridé qui a suivi l’effondrement du bloc communiste ont probablement leur part de responsabilité dans ces excès du modèle capitaliste et de son pendant, le recul de la puissance publique, notamment en matière économique.
Dans un premier temps, le niveau de vie d’une bonne partie de la planète s’améliore, les investissements permettent une meilleure répartition de l’emploi. Mais en parallèle, la dette, elle, ne cesse de croître jusqu’à dégénérer en 2008 en crise des « subprimes » qui n’est que la partie émergée de l’iceberg…
C’est un moment où on a besoin des Etats pour renflouer les « caisses » d’un système à l’agonie (2008-2009), mais qui ne marque pas pour autant le « retour » de la puissance publique dans le « jeu » économique et financier…
- La crise de la dette et crises souveraines:
Les Etats étant considérés comme vivant au-dessus de leurs moyens, sont mis au « régime » : c’est le temps de la compression des dépenses publiques, des politiques de rigueur, voire d’austérité. C’est surtout en définitive le temps de la réduction de l’effort d’investissement public, particulièrement en Europe, quand bien même la France est relativement épargnée. Or l’investissement public, est non seulement source de croissance de l’activité mais plus encore de croissance des gains de productivité nécessaires pour stimuler la croissance de l’investissement privé. Les politiques d’austérité ont ainsi non seulement considérablement pesé sur la situation économique européenne et sa capacité à sortir de la crise mais ont considérablement amoindri la rentabilité du capital productif et donc l’incitation à investir.
Après quarante années de développement économique tiré par l’essor de l’offre, la puissance publique, le pouvoir de décision des Etats, la capacité visionnaire des responsables politiques, ont en définitive disparu. « On » a accompagné le système, « on » n’a plus joué de rôle décisif dans le développement de l’économie. Les politiques ont perdu le sens…. politique, ils ont perdu le sens de l’Etat et de la responsabilité de l’Etat dans la vie économique.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Constats et projections.
Nous sommes confrontés à deux problèmes majeurs :
- Le vieillissement démographique mondial
- La raréfaction des ressources naturelles et les enjeux climatiques
– Le vieillissement démographique mondial :
La population mondiale est passée de 2 mds d’habitants en 1950 à 7,4 milliards aujourd’hui, soit une augmentation annuelle moyenne de 80 millions d’habitants au cours des 65 dernières années. Cette expansion est toutefois largement derrière nous. D’ici 2050, la croissance démographique devrait considérablement ralentir, en effet ; elle ne serait plus que de 56 millions par an en moyenne, soit une progression presque moitié moindre que par le passé, de 0,8%/an en moyenne au lieu de 1,4 %. S’il existe une menace démographique aujourd’hui, ce n’est donc pas tant celle du nombre que celles du vieillissement de la population mondiale et du ralentissement de la croissance démographique qui l’accompagne, en particulier des personnes en âge de travailler. Ce constat doit s’analyser comme :
– La raréfaction de la ressource en travail et en épargne
– Un frein à la croissance, un manque « d’appétit » pour la prise de risque que requiert la décision d’investissement dans l’économie réelle, un problème de répartition des ressources (inactifs/actifs, jeunes/vieux)
– Une préférence pour le repli sur soi (protectionnisme)
– Une moindre capacité à satisfaire les besoins des générations à venir (9,5 milliards d’habitants à l’échelle mondiale à l’horizon 2050.
Les conséquences de cette rupture démographique sont considérables, pointant néanmoins deux questions majeures :
1- celle de notre capacité à satisfaire les besoins des générations à venir (9,5 milliards d’habitants à l’échelle mondiale à l’horizon 2050. À supposer que le niveau de vie de ces nouveaux venus progresse comme celui de ceux qui les ont précédés ces quinze dernières années, c’est à un doublement minimum des besoins qu’il faudrait subvenir au cours des 33 prochaines années qui nous séparent de 2050.
2- Celle de la survivance du modèle capitaliste : la convergence du poids des différentes classes d’âge dans la population totale est assez largement incompatible en effet avec le fonctionnement du modèle capitaliste. A la lumière de ses différents « avatars » au cours des siècles passés, le capitalisme pourrait se transformer en une « machine à esclavage ».
– La raréfaction des ressources naturelles et enjeux climatiques majeurs
D’ores et déjà, le système actuel est confronté à des défis majeurs et la question est de savoir s’il sera ou non en capacité de satisfaire les besoins des populations de la planète. Ces besoins vont exploser et ils seront difficiles, voire impossibles à satisfaire si aucun changement n’intervient dans nos modes de vie et de consommation actuels.
La tentation du repli sur soi est grande. Le regard sur le monde des « baby boomers » devenus « papy boomers » a complètement changé : l’ouverture des frontières qui a marqué leur jeunesse, le monde ouvert dans lequel ils ont vécu une bonne partie de leur vie, est désormais perçu comme hostile, menaçant, d’où le retour en force du protectionnisme.
Face aux risques majeurs de conflits liés à l’accès à l’eau et/ou à d’autres ressources naturelles (l’air, par exemple…) Une reprise en main de l’économie par le politique est urgente et l’action publique, soutenue par une véritable vision de la part des responsables politiques, est plus que jamais nécessaire.
Le réveil du politique
Il y a urgence à refonder notre modèle de croissance « à tous les étages » (du national à l’international en passant par l’Europe). Ce moment de crise profonde peut être aussi l’occasion de redonner du sens à la construction européenne, de lui donner une nouvelle impulsion par l’investissement, en réussissant la transition environnementale, en rééquilibrant les ressources des différents pays membres de l’Union européenne en permettant aux pays du sud de l’Europe, sévèrement touchés par la crise de 2008, de sortir « par le haut », en mettant en œuvre un « new deal » ambitieux.
Patrick Viveret : « allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».
(Romain Rolland, citation reprise par Antonio Gramsci, dans « Cahiers de prison »).
Patrick Viveret débute son intervention par une citation en forme d’oxymore : « il est trop tard pour être pessimiste » (d’après Yann Arthus Bertrand). Plus nous sommes dans des phases critiques pour le devenir de l’humanité, plus nous avons l’obligation de mobiliser les énergies créatives.
Cela nous renvoie aux années 30, lorsque Freud écrivait « Malaise dans la civilisation » et qu’il évoquait les deux forces contraires Eros et Thanatos. La grande question, c’est celle de l’alliance des forces de vie face aux logiques mortifères qui s’expriment sous des formes différentes.
Un cycle se termine…
… Et ce n’est sans doute pas un hasard si les deux pays qui ont été aux avant-postes de l’ultra-libéralisme (Grande Bretagne et Etats-Unis) sont aujourd’hui les premiers à « basculer », parce que les effets d’insoutenabilité produits par ces politiques conduisent d’un côté au « Brexit » et de l’autre à l’élection de Donald Trump. Du coup, on assiste à un grand retour de l’action publique, mais sous forme régressive et inquiétante.
Il faut à la fois comprendre d’où vient l’échec de ce que Joseph Stiglitz appelle le « fondamentalisme marchand », qui avait été dénoncé avant lui par Karl Polanyi dans son ouvrage « la grande transformation » lorsqu’il évoquait les « sociétés de marché ».
Des rappels historiques et des mises en perspective…
Qu’arrive-t-il lorsqu’on passe des économies de marché – qui ont leur intérêt et leur légitimité, à condition de rester dans l’ordre économique – à des processus culturels et sociétaux qui se trouvent marchandisés ? C’est la substance même des sociétés et des cultures qui est attaquée et du coup, le fondamentalisme marchand crée les conditions d’émergence d’autres fondamentalismes : religieux, identitaire. Pour Stiglitz, Il y a un lien systémique entre fondamentalisme marchand et fondamentalisme identitaire. Il s’agit de bien repérer, identifier ce lien pour pouvoir l’expliquer et surtout le combattre, sinon on risque de ne traiter que les symptômes sans traiter les causes. Ce qui peut entraîner deux types de régression : politique et émotionnelle.
Il peut être intéressant de relire le Keynes des années 30 dans son essai « sur la monnaie et l’économie », plus particulièrement le chapitre intitulé « perspectives économiques pour nos petits enfants » où l’on trouve cette phrase : « nous ne vivons pas une crise économique, mais une crise de l’économie » et où l’auteur évoque aussi une « dépression nerveuse collective ».
Enfin, au chapitre des auteurs « visionnaires » de l’immédiat après crise de 29, Patrick Viveret cite encore Georges Bataille dans son essai « la notion de dépense » paru en 1933 et Wilhelm Reich et son concept de « peste émotionnelle » qui désigne l’enchevêtrement d’histoires mythiques, de peurs collectives, de rancoeurs ressassées, qui saisissent les peuples, et qui aboutissent à des contradictions qui n’ont plus grand’chose à voir avec la rationalité des intérêts d’un groupe humain ou d’une classe sociale.
Ainsi, comment comprendre que les ouvriers allemands de cette époque d’entre-deux guerres aient pu se tourner vers le fascisme et le nazisme, alors même qu’ils en seront les principales victimes…
De la même façon, on ne peut pas comprendre l’élection de Donald Trump ou le Brexit si on ne voit pas que les phénomènes émotionnels qui sont liés au rapport fondamentalisme marchand/fondamentalisme identitaire sont bien présents.
L’auto-régulation purement économique des 40 dernières années arrive à des seuils d’insoutenabilité qui conduisent à l’entrée dans un nouveau cycle. Dès lors, allons-nous vers de nouvelles grandes régressions voire des conflits, ou allons-nous – en utilisant justement ces moments critiques – vers ce qui serait « la grande transition » ?
Sortir de l’impasse…
Nous avons impérativement besoin de nous orienter vers cette seconde voie de la grande transition, notamment pour des raisons écologiques. Le croisement entre l’enjeu démographique et l’enjeu écologique devrait permettre d’adopter des modèles de développement fondé sur la sobriété « écologique » et une transformation de nature émotionnelle. Si l’essentiel des buts d’une vie relève de la croissance et de l’accroissement des biens matériels, si l’essentiel des rêves des plus jeunes, c’est la compétition en vue de la croissance matérielle, on aboutit à des impasses. Pour en sortir, il est nécessaire que la nature même des buts de vie change !
Cette problématique n’est pas nouvelle, puisque dès 1848, John Stuart Mill, dans ses « principes d’économie politique » développait le concept de « l’état stationnaire », c’est-à-dire le moment où l’on arriverait à double saturation : d’un côté une saturation de la croissance matérielle, de l’autre une saturation de la croissance démographique. Cette perspective peut-être vue sous un angle positif, à condition de changer la notion de progrès, en passant d’un raisonnement fondé sur le progrès de nature matérielle à un progrès sur les rapports entre les hommes et les femmes, un progrès culturel, moral, écologique.
Affronter deux grandes questions : la grande mutation / la grande extorsion
La grande mutation pourrait s’articuler autour de trois « R » (envisagés d’un point de vue « sonore » !) :
– Les ères qui renvoient à l’histoire de l’humanité
– L’air qui renvoie à l’écologie
– L’aire, avec un bouleversement par rapport au territoire, réalité « physique » (local, national, continental, mondial) et au territoire « virtuel », qui renvoie à la révolution numérique, et à ce qui l’accompagne, à savoir une contraction de l’espace et du temps, sans oublier l’apport de la physique quantique et l’idée que nous sommes des êtres « vibratoires » dans un univers « vibratoire ».
Il faut changer de regard sur la « révolution » numérique, trop souvent synonyme d’adaptation à de nouvelles machines et d’angoisses chez des personnes qui se sentent menacées, par un mouvement dont elles ont l’impression qu’il les dépasse.
Si on associe le phénomène de « métamorphose vibratoire » à la beauté et à l’amour, alors on touche à une notion essentielle, celle de pleine humanité, comme alternative à la « sous humanité » (qui est encore le destin de plus d’un milliard d’êtres humains qui vivent dans des conditions infra-humaines) et à la « post humanité » (le transhumanisme, par exemple).
La grande transition, c’est celle qui permet l’avènement d’une humanité « debout » qui ne se contente pas comme perspective d’une croissance matérielle par ailleurs impossible à assumer, tant pour des raisons écologiques que démographiques.
Et cela, pour Patrick Viveret, constitue un enjeu vraiment passionnant. C’est l’enjeu sur lequel les traditions de sagesse disent que l’humanité « a rendez-vous avec elle-même ».
Revisiter les mythes et le sens des mots
Pour mieux vivre cette grande mutation, il peut être intéressant et utile de revisiter deux mythes essentiels : celui de l’arche de Noé et celui de Babel. Que disent ces deux mythes ? Qu’il y a risque de catastrophe quand se conjuguent 3 grands éléments :
– La fermeture des cœurs / la méchanceté
– L’avidité / le repli
– Le dérèglement de la langue
La langue qui est par excellence le vecteur de l’échange, de la communication entre les êtres humains, le vecteur de la paix, des forces de vie (« Eros ») devient le vecteur de la fermeture.
Le sens des mots
Il est remarquable de voir que dans le cas du mythe de Noé, le mot hébreu « Teva » a une double signification : celle « d’arche » (traduction grecque et latine), mais aussi celle de « contenant », de contenant sémantique, donc il s’agit du « mot » et par extension, de la « langue ».
Du coup, on est face à un problème lié à la langue, comme dans le mythe de Babel.
Lorsque l’avidité et la fermeture des cœurs produisent le dérèglement de la langue, on assiste à la naissance de ce que George Orwell appelait la « novlangue » dans son roman « 1984 » et c’est ce qui se passe dans le domaine économique.
Un exemple ? Prenons le mot « valeur » : en latin, « valor », c’est la force de vie. Et en grec, la force de vie, c’est… Eros ! Mais si on transforme ce mot en « value for money », le résultat est bien différent. Et on peut ainsi arriver à augmenter un PIB, sans prendre en compte les souffrances des salariés « guettés » par le « burn out »…
Il faut donc replacer nos économies dans la question de la création de valeur, y compris la création de valeur ajoutée, mais au sens de « force de vie », ce qui implique de revisiter nos indicateurs de richesse pour en finir avec ces définitions réductrices du mot « valeur ». De ce point de vue, les conclusions du rapport de la Commission Stiglitz en 2009 sur la mesure de la performance économique et du progrès social sont particulièrement intéressantes file:///C:/Users/mamie/Downloads/ecofra10d.PDF
Même remarque à propos du mot « bénéfice » : initialement ce mot est synonyme d’activité bénéfique, source de bienfait. Ça ne veut pas dire « solde monétaire ».
Si nous voulons sortir des menaces de déluge, les traditions de sagesse nous ouvrent la voie : il faut rouvrir les cœurs, sortir de l’avidité et redonner aux langues leur pleine dimension.
Le retour du politique
Nous avons besoin de retrouver le sens du politique et d’une action publique, à condition bien sûr que ce même politique ne soit pas celui du repli, de la domination ou de la guerre, mais celui qui retrouve le sens du mot « pouvoir », verbe auxiliaire qui s’écrit en lettres minuscules et qui n’a de sens qu’avec des compléments, autrement dit, un « pouvoir » de création démultiplié par la coopération. Mais si « POUVOIR » s’écrit en majuscules, alors il s’agit d’un substantif qui se suffit à lui-même, synonyme de « pouvoir/conquête », de domination et c’est l’épuisement de la forme actuelle de démocratie compétitive qui produit les effets de régression démocratique à l’œuvre un peu partout dans le monde.
Alors, oui au retour du politique, mais à condition que ce retour ne soit pas « organisé » autour de l’obsession de la rivalité. Lorsqu’un pilote de chasse devient spationaute, son regard change : il passe d’une logique de rivalité, voire de guerre à un sentiment lié à la découverte de la beauté mais aussi de la fragilité écologique ET anthropologique de la terre. Notre espèce est capable de créer les conditions de notre propre destruction et elle n’a que l’embarras du choix pour le faire !
Le vrai réalisme politique, celui d’un Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères allemand, c’est celui de la grande question des moyens dont l’humanité dispose pour se défendre face à ces forces de destruction issue de ses propres rangs, contre sa barbarie intérieure, contre sa propre part d’inhumanité.
Grande mutation vs grande extorsion
Le politique ne peut réussir la grande mutation que s’il mène la lutte contre la grande extorsion, c’est-à-dire l’évasion fiscale, les mafias, les paradis fiscaux. Si l’on récupérait les milliards envolés vers ces paradis fiscaux, les Etats pourraient soutenir l’économie, réduire la fracture sociale, procéder à des investissements massifs dans les infrastructures, l’écologie, l’éducation…
Organiser la résistance
Il nous faut rentrer en résistance contre la grande extorsion et récupérer à la fois du « politique » et du « monétaire », par exemple en reprenant l’idée originelle d’un euro monnaie commune et non monnaie unique.
Le politique doit retrouver sa capacité d’influence et nous avons aussi besoin de penser le politique à l’échelle mondiale puisque toutes les questions posées ont de fait une traduction mondiale. C’est l’alternative entre la mondialisation et la globalisation financière et ce que Aimé Césaire et Edouard Glissant ont appelé la mondialité.
Oui, la question démographique est mondiale, oui la question écologique est mondiale, oui, la question de la guerre ou du dialogue des civilisations est mondiale. Mais cette perspective de la mondialité n’est pas contradictoire avec la capacité des souverainetés au niveau local, régional, continental… Elle permet au contraire d’exprimer pleinement la logique de subsidiarité.
C’est la grande question, la grande affaire de la citoyenneté mondiale, la grande aventure qui est devant nous, l’avenir du « Frater » au sens de famille humaine.
Il existe de fait une gouvernance mondiale, mais elle est de nature oligarchique. Il faut engager une action « constituante » au niveau mondial pour que la Déclaration universelle des droits de l’Homme » devienne le socle juridique sur lequel les autres socles juridiques doivent se reconstruire. Une charte écologique viendrait compléter ce dispositif.
On pourrait alors créer un Conseil Mondial de la Résistance, en s’inspirant de ce qui a été créé en France au sortir de la deuxième guerre mondiale, et qui serait capable de porter l’imaginaire d’un nouveau pacte social et écologique au niveau mondial.
Patrick Viveret a terminé son intervention en faisant référence aux « Créatifs culturels », un mouvement né aux Etats-Unis mais qui s’est implanté dans de nombreux pays, dont la France. Ce mouvement est « au cœur d’une transformation active de la société dans un sens plus humain » ainsi que l’indique la 4ème de couverture du livre qui leur est consacré. Des informations détaillées sur ce mouvement peuvent être consultées sur le site de l’éditeur Yves Michel.
Prochain rendez-vous PHILOPOL
« Vivre la laïcité aujourd’hui »
Jeudi 23 février de 18h à 20h30 à l’OCIRP Rue de Marignan PARIS
Inscriptions auprès de Gilbert Deleuil gildeleuil@gmail.com