Compte rendu de la première table ronde
Intervenants:
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Pascal Brindeau, député du Loir-et-Cher, parlementaire en mission auprès du ministre de la Fonction Publique sur la gestion des carrières des agents publics
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Jean-François Verdier, directeur général de l’administration et de la fonction publique
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Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’Union Générale des Fédérations de Fonctionnaires CGT
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Denis Stokkink, président du think tank européen « Pour la solidarité
Animation: Annie Chemla-Lafay, membre fondateur de Galilée.sp
Annie Chemla Lafay, membre fondateur de l’association Galilée.sp a ouvert cette première table ronde.
Annie Chemla Lafay : l’objectif de cette première table ronde est de dresser un bilan sur la situation actuelle des séniors dans la Fonction publique. Où en est-on ? Quelles sont les actions prévues aujourd’hui pour remédier aux problèmes rencontrés par les séniors dans la Fonction publique ?
Pour répondre à ces questions, nous avons le plaisir d’accueillir quatre intervenants aux parcours, expériences et horizons divers : Denis Stokkink président du think tank européen Pour la solidarité, Pascal Brindeau député de la troisième circonscription du Loir et Cher en mission auprès du ministre de la Fonction publique sur la gestion des carrières des agents publics, Jean François Verdier directeur générale de l’administration et de la Fonction publique et Jean Marc Canon secrétaire général de l’UGFF-CGT.
Pour introduire cette table ronde, il est important de constater les nombreux préjugés auxquels sont confrontés les séniors, notamment l’idée selon laquelle ils seraient moins dynamiques, moins enclins à la mobilité et moins aptes à s’adapter aux évolutions et aux changements. Par une mauvaise utilisation des séniors, il s’est développé chez eux un sentiment de fin de carrière voire même d’inutilité.
Pour nuancer ce présupposé, je souhaite raconter une petite anecdote. La décision de la fin de redevance télé a obligé 1000 agents à se reconvertir. Face à cette situation, une enquête avait été réalisée. A la question « qui est prêt à partir », les séniors étaient les plus motivés.
Monsieur Stokkink, 2012 est l’année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle. Quels sont selon vous les freins rencontrés par les séniors dans leur carrière au sein de la Fonction publique ? Que faudrait-il faire pour valoriser voire revaloriser le potentiel des séniors ?
Denis Stokkink : je souhaite tout d’abord remercier l’association Galilée.sp de m’avoir invité pour ce colloque. Je désire également souligner l’initiative de cette association où le maitre mot doit être l’innovation, à la fois économique et sociale. En effet, l’innovation sociale est au cœur de la stratégie Europe 2020. Il est nécessaire de mobiliser les intelligences pour répondre aux nouvelles exigences du monde de demain. Le vieillissement représente un enjeu européen, enjeu pris en compte depuis 2001 et le sommet de Bruxelles.
Quand est-on vieux ? Et par là quand s’arrête-t-on d’être jeune ? Le sondage Eurobaromètre s’intéresse à la perception par les citoyens européens du vieillissement dans nos sociétés. Ainsi, les Européens considèrent globalement que l’on reste jeune jusqu’à 42 ans et que l’on parvient à un stade avancé de la vie à partir de 64 ans. Et entre les deux ? Il existe un flou certain entrainant de nombreuses discussions.
En effet, le problème clé se situe dans la tranche d’âge des 50-65 ans et des mutations au cours de cette période dans l’emploi. L’emploi des 50-65 ans, selon les statistiques, est différent des autres tranches d’âge sur deux points. Premièrement, en terme de quantité d’emploi, le taux d’emploi des 50-65 ans est plus faible que celui des 30-50 ans constituant ainsi une situation étrange : pas à l’emploi mais pas encore retraité. Deuxièmement, en terme de qualité d’emploi, les emplois des 50-65 ans sont parfois considérés comme des « placards » en attente de la retraite ou bien sont à des responsabilités moindres que par le passé.
Ce constat est d’autant plus étonnant que la tranche d’âge des 50-65 ans est constituée pour la plupart de personnes en bonne santé, disposant d’une expérience importante mais aussi désireux de partager et de transmettre leurs compétences. Ce paradoxe permet de souligner que le problème des séniors est politique et sociale non technique. Il est ainsi nécessaire de réfléchir sur la quantité des emplois accessibles pour les séniors et sur la qualité même de l’emploi.
Concernant le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 59 ans, il existe de nombreuses disparités au sein de l’Union Européenne. Dans l’ensemble de l’Union Européenne, ce taux est de 60,9%. Il est particulièrement élevé en Suède (80,7%), mais reste faible en Pologne (45,8%) et en Slovénie (46 ,9%). En France, il est de 60%. Pour les 65 ans et plus, le taux d’emploi reste faible dans l’Union Européenne (4,7%). Les taux les plus importants se trouvent au Portugal (16,5%) et en Roumanie (13%) et les plus faibles en France et Slovaquie (1,6% chacun). L’idée est ici de regarder ailleurs ce qu’il se fait pour prendre les meilleures idées.
L’année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle fait du vieillissement un véritable enjeu européen. L’idée des années européennes a été mise en place en 1983 par la Commission. Le principe est de mettre en évidence un thème particulier chaque année et le décliner dans différentes politiques européennes. L’année européenne 2012 a pour objectif de répondre à trois défis, à travers le vieillissement actif : c’est permettre aux séniors de rester dans le monde professionnel et faire partager leur expérience, de continuer de jouer un rôle actif dans la société et de mener une vie aussi saine et enrichissante que possible.
Pour conclure, il y a un véritable travail d’intégration de l’âge et du vieillissement à faire à tous les niveaux. Il s’agit d’une lutte contre le jeunisme ambiant, d’une éradication de tous les signaux stigmatisant l’âge dans l’emploi et, au contraire, de l’instauration d’une réelle égalité de traitement entre les générations et d’un réel bien-être des plus âgés au travail. Objectiver les compétences des âgés et utiliser ces compétences et leurs capacités dans les sociétés.
Annie Chemla Lafay : monsieur Brindeau, vous avez un rôle particulier auprès du ministre de la Fonction publique. En effet, vous êtes chargé d’une mission sur la gestion des carrières des agents publics et vous rendrez votre rapport à la fin du mois de février 2012. Quel constat faites-vous sur la situation des séniors dans la Fonction publique ? Quelles sont vos propositions pour remédier aux problèmes rencontrés par les séniors ?
Pascal Brindeau : tout comme monsieur Stokkink, je souhaite remercier Galilée.sp pour son invitation. Pour répondre à la question posée, je souhaite insister sur trois écueils dans lesquels il ne faut pas tomber lorsque l’on souhaite analyser la situation des séniors dans la Fonction publique.
Le premier écueil à éviter serait celui de considérer que la question de l’utilisation des potentiels des séniors dans la Fonction publique est parfaitement ciblée. Les séniors sont une catégorie difficile à définir. La problématique est en fait beaucoup plus large et ne correspond pas exclusivement à une catégorie d’âge précisément déterminée. En effet, changer la perception que l’on a sur les travailleurs âgés c’est travailler sur l’ensemble des générations dans la Fonction publique. Cela peut être illustré par le tutorat qui doit être perçu non simplement comme une relation entre ancien et jeune mais comme une relation mutuelle entre un agent avec moins d’expérience ou une expérience différente et un autre possédant des compétences et savoirs à transmettre.
Le deuxième écueil à éviter serait celui de considérer que la question des séniors est d’essence technique. Le sujet des séniors est éminemment politique. C’est la conséquence de deux réformes : la réforme des retraites constituant une décision politique pour augmenter la durée de vie au travail et la Réforme Générale des Politiques Publiques que j’appelle la double peine pour les générations qui ont aujourd’hui entre 53 et 55 ans, avec une responsabilité majeure pour les pouvoirs publics. J’appelle la RGPP double peine car les règles du jeu pour ces générations ont évolué en cours de partie à cause de la réorganisation de l’Etat.
Le troisième écueil à éviter serait celui de considérer que, parce qu’on est sur des réformes structurelles, on serait sur des réformes de long terme. Or en réalité les séniors représentent une question urgente. 33% des agents publics seront partis dans 3 ans à la retraite. Ne pas traiter cette question entrainerait une perte de savoir, d’expérience, de matière et de potentiel et nous n’aurions pas le temps de la remplacer.
Ainsi des mesures doivent être prises rapidement. Une proposition, qui sera plus détaillée dans mon rapport, serait de passer d’une gestion des carrières à une gestion des personnes dans la Fonction publique générale. Or aujourd’hui, il y a trois Fonctions publiques encore très cloisonnées. Je suis favorable à une Fonction publique générale. Il est toujours difficile pour les fonctionnaires de vouloir passer d’une fonction publique à une autre ou bien d’une collectivité à une autre. Les propositions formulées dans mon rapport ne sont pas révolutionnaires car ce qui est important c’est de généraliser les mesures. La prise en compte des séniors est le volet humain de la RGPP et la condition de son acceptation.
Annie Chemla Lafay : Monsieur Verdier, vous êtes directeur général de l’administration et de la Fonction publique et êtes donc bien placé pour répondre aux problèmes rencontrés par les séniors dans la Fonction publique. Quelles sont les pistes d’action relatives à l’emploi des séniors dans la Fonction publique ? Quel chemin doit-on suivre ?
Jean François Verdier : je souhaitais tout d’abord également remercier l’association Galilée.sp pour son invitation. La question qui se pose ici porte sur la définition même des séniors. Quelles sont les barres d’âge ? A partir de quel âge devient-on sénior ? L a question s’était posée pour la sécurité routière et le contrôle des personnes âgées et de leurs aptitudes à la conduite. Robert Rochefort avait alors réalisé une étude sur cette question. Selon lui, la définition de la vieillesse devait être fondée sur trois critères : social (les liens sociaux, familiaux ; la personne âgée est seule), sanitaire (l’état de santé et le niveau de dépendance ; la personne âgée a de sérieux ennuis physiques) et psychologique (la capacité à se projeter ou non dans l’avenir). Par cette étude, une personne est considérée comme âgée à 75 ans.
Or la tranche d’âge qui pose problème et fait débat est celle des 50-55 ans. Deux problèmes principaux se posent : celui des conditions d’emploi des séniors mais aussi celui de la coexistence des générations. En effet, avec l’allongement de carrière, il y aura demain la coexistence de trois générations : la génération du Baby boom, la génération X et la génération Y.
La réflexion menée au sein de la direction considère que les séniors sont, plus qu’une question politique, une question culturelle. L’enjeu est de retarder l’âge d’entrée en séniorité. Pour cela, il y a trois axes majeurs d’action.
Le premier est de considérer que l’entrée en séniorité est d’autant plus tardive que la vie active est dynamique. Ainsi, il est important dans cette idée de valoriser la mobilité, le parcours professionnel mais aussi de favoriser la flexibilité et l’accès à des emplois divers.
Le deuxième est de constater que l’entrée en séniorité est d’autant plus tardive que les conditions de travail sont bonnes. Avoir travaillé dans de bonnes conditions de travail retarde l’entrée en séniorité. Cela constitue le troisième pilier du développement durable, à savoir l’engagement sociétal qu’il est important de développer. Par exemple, lutter contre les réunions tardives.
Enfin, le troisième axe d’action est à opérer au niveau de la dimension culturelle des recruteurs. On pense souvent les séniors comme étant incapables de comprendre et d’utiliser Facebook, comme étant plus lents et plus chers. Il faut lutter contre ces représentations. Comment ? Par un travail dans la formation des Gestionnaires des Ressources Humaines ou bien par la mise en place de tutorats inversés sur le long terme. Même à 65 ans on peut y arriver.
Annie Chemla Lafay : Monsieur Canon, vous qui êtes secrétaire générale de l’UGFF-CGT, voyez vous des choses inquiétantes dans les pistes d’action engagées pour les séniors ? Avez-vous des propositions en réaction à celles-ci?
Jean Marc Canon: comme mes prédécesseurs, je tiens à remercier Galilée.sp pour l’invitation à ce colloque. Je souhaiterais souligner quelques éléments importants dans la Fonction publique. Ces éléments, à partir d’enquêtes d’opinion, illustrent notre expérience syndicale sur le terrain.
Tout d’abord, il est intéressant de constater que toutes catégories confondues, les agents publics estiment que la Fonction publique a mal évolué depuis quatre-cinq années. En effet, fin 2010, 32% des agents de catégorie A se sentaient bien informés dans le cadre de leur activité tandis que 27% seulement étaient satisfaits par leurs conditions de travail. Ce qui est inquiétant, c’est qu’en moyenne, après cinq ans d’ancienneté, 70% des agents estiment travailler dans de bonnes conditions et ce taux tombe à 45% après 15 ans d’ancienneté. A l’évidence, ces chiffres traduisent la diminution du sentiment de bien être et de satisfaction en fonction de l’avancement de carrière. Ils traduisent également des interrogations sur la Fonction publique, des doutes mais aussi du mécontentement.
Ce mécontentement est d’autant plus fort car de nombreux agents se sont engagés pour servir l’intérêt général et par là exercer une activité qui fait sens. Or, cet engagement est dilué. Il faut donc apporter des réponses. Celles-ci passent par une réflexion sur la place et le rôle des dirigeants administratifs.
En effet, nous avons besoin d’une réforme mais il faut que le personnel participe à celle-ci. Le personnel doit se sentir acteur des reformes en cours. Or aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette configuration. Pour autant, et je tiens à le préciser, nous avons besoin de plus d’expérience et de compétence et non l’inverse.
Quelques éléments sont importants à rappeler. En 1986, un agent de catégorie A gagnait en moyenne 75% au dessus du SMIC. Le même cadre aujourd’hui gagne 15% au dessus du SMIC. De même, un cadre dirigeant hors échelle C3 gagnait en 1986, 5,6 SMIC. Aujourd’hui il ne gagne plus que 3,8 SMIC. La rémunération constitue aussi un élément de réflexion pour avoir une Fonction publique attractive.
Pour conclure, la CGT ne méconnait pas le sujet des hauts fonctionnaires. Beaucoup trop sont mis sur le côté à cause de l’allongement des carrières et de l’augmentation de la durée de vie. Il faut dans le cadre de positions statutaires apporter des réponses. Pour la CGT, nous devons avoir une Fonction publique avec trois versants. Pourquoi ? Pour agir au compte de l’intérêt général. En effet, il faut accroitre les possibilités de passerelles entre ces différents versants. Même pour les séniors et cadres dirigeants, il faut leur donner des possibilités de rebond par le décloisonnement.