Par Myriem MAZODIER, inspectrice générale honoraire de l’Éducation nationale et de la recherche, membre de Galilée.sp et du Ciriec-France.
Ce billet d’humeur est issu d’une conversation entre amis le soir du 31 décembre 2024. J’avais imprudemment proposé que nous saisissions les gouvernements de tous les pays pour qu’ils interviennent en faveur des femmes afghanes. Mes amis m’ont rétorqué que ce serait sans effet et depuis je réfléchis à ce que nous pourrions faire.
Les historiens s’accordent qu’entre 4 à 5 millions de femmes africaines ont été arrachées à leur terre et déportées vers les colonies durant les siècles de la traite négrière transatlantique. A ce chiffre s’ajoutent les quelques 8 millions d’africaines victimes de la traite arabe. En France le 10 mai, une Journée nationale des mémoires de la traite et de l’esclavage et de leurs abolitions est dédiée au souvenir des souffrances infligées par l’esclavage et à ses abolitions. La journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2025 qui a pour thème « Pour TOUTES les femmes et les filles : droits, égalité et autonomisation » devrait faire à mon avis une place particulière aux 20 millions de femmes afghanes qui sont aujourd’hui privées de leurs droits fondamentaux et confrontées à des restrictions draconiennes qui les empêchent de participer à la vie publique, voire tout simplement de vivre.
Les écoles secondaires et les universités leur sont fermées, ce qui signifie que les jeunes filles n’ont pas accès à une éducation au-delà du primaire, bloquant ainsi leur développement personnel et professionnel. Le travail salarié leur est refusé, les privant ainsi de ressources autonomes. Elles ne peuvent pas pratiquer un sport et doivent porter des habits grotesques. Mais hélas ce n’est pas dans le monde une situation exceptionnelle. Ce qui l’est – car à ma connaissance même les esclaves de la traite n’y étaient pas soumises -, c’est l’interdiction de parler et de murmurer hors de leur domicile, de chanter même chez elles, d’être dans des locaux dotés d’une fenêtre qui permettrait à un homme de les apercevoir. Il semble que l’imagination des talibans et du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice n’ait pas de limite pour édicter des lois monstrueuses.
Alors, mariées à 7 ans, lapidées à 18, est-ce le destin des femmes afghanes ?
Que faire ? investigations menées, quasiment toutes les institutions ont condamné les talibans afghans, mais sans résultat notoire. Les Nations Unies ont multiplié les appels et les résolutions. En 2022, le Conseil des droits de l’homme a organisé des dialogues approfondis sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan, qualifiant les restrictions talibanes de « persécution sexiste » et d’ « apartheid de genre ». Le Rapporteur spécial de l’ONU, Richard Bennett, a recommandé en 2023 que ces actes soient enquêtés comme crimes contre l’humanité. Mais alors que la condamnation internationale de l’apartheid s’est traduite par toute une série de mesures concrètes : rupture des relations diplomatiques et économiques avec l’Afrique du Sud, qualification internationale en 1973 de l’apartheid de crime contre l’humanité, embargos commerciaux, boycotts culturels et sportifs, soutien financier et logistique aux mouvements anti-apartheid, la condamnation de la servitude des femmes afghanes n’a pas encore donné lieu à de réelles mesures judiciaires ou économiques. Il est vrai que l’Afrique du Sud était riche alors que l’Afghanistan ne l’est pas, que les talibans ne voyagent guère et se soucient peu des commentaires les concernant. En outre le facteur religieux absent du premier apartheid justifierait selon une anthropologie suisse[1] (dont le discours a fait scandale sur France Inter) que les occidentaux se taisent, car selon elle ils sont fondamentalement islamophobes.
[1] Julie Billaud anthropologue et professeure à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, a critiqué l’accueil par la France de 5 afghanes réfugiées au Pakistan car menacées par les talibans au pouvoir à Kaboul, Après avoir reçu de nombreux messages d’auditeurs scandalisés, la médiatrice de la radio a été contrainte de réagir.
Dans ce contexte, que pouvons-nous faire ?
- D’abord, ne pas nous taire, mais continuer à aider celles et ceux qui amassent une documentation sur les sévices subis par ces femmes,
- Ensuite, la diffuser sur tous les médias pour que personne ne puisse prétendre ne pas être informé,
- Enfin solliciter les autorités musulmanes présentes en France et en Europe pour qu’elles prennent position et affirment publiquement leur condamnation de cet apartheid de genre. Il y a chez elles un large consensus[1] contre l’interprétation extrémiste et misogyne des talibans, mais ces condamnations varient en intensité et surtout en visibilité. Pour exercer une influence sur les talibans, il faudrait que les institutions et personnalités musulmanes proclament à voix plus forte que l’islam authentique soutient les droits des femmes à l’éducation, au travail, et à la participation à la vie publique.
[1] Le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche (CEFR) par exemple estime que les interdictions contre les femmes ne reflètent pas la véritable essence de l’islam,