par Paul-Hubert DES MESNARDS, ingénieur et pianiste, ancien consultant en créativité et innovation
Dans le Billet d’humeur du 17 décembre dernier, « Faut qu’on parle », j’annonçais quelques expériences vécues de dialogues constructifs.
Je suis en effet un fervent adepte des démarches participatives : j’ai animé nombre de groupes de travail diversifiés, avec parfois des antagonismes, y compris pour Galilée.sp.
Et je me suis souvent fait traiter de naïf, d’idéaliste. Pascal Lamy, à l’époque numéro 2 du défunt Crédit Lyonnais, à qui je présentais mes démarches, m’avait dit : « Vos méthodes ont une vulnérabilité, c’est le facteur humain ». Il avait raison, elles reposent sur des personnes, c’est leur faiblesse mais aussi leur force. N’est-il pas préférable de faire participer plutôt que d’imposer ?
Mais il y a des cas où « ça ne marche pas » !
Déjà avec les « fous » : pervers narcissiques, paranoïaques, manipulateurs, … Inutile d’insister, cela relève de la psychiatrie. Heureusement je n’en n’ai pas rencontré beaucoup.
Et aussi lorsque ce que j’appelle « les démons du facteur humain » sont à l’oeuvre.
Premier « démon » : l’idéologie, qui prime sur l’intérêt commun. Des exemples ? « C’est la faute à … les immigrés – qu’il faut chasser, … les riches – qu’il faut faire payer … ». J’ai aussi peu rencontré de tels cas, mais mon expérience s’est limitée au milieu des entreprises et des organisations, pas aux milieux politiques.
Deuxième « démon » : la posture, posture que l’on se sent obligé de tenir, vis-à-vis … des adhérents, des électeurs, … Un exemple ?
Un de mes confrères (formé par moi) devait animer un groupe d’élus d’un territoire sinistré (vous savez, la désindustrialisation, …) pour faire émerger des projets de reconquête. Première réunion, catastrophique : chacun campe sur ses positions, derrière sa posture, rien n’émerge de concret. Il a eu l’idée de leur demander de venir à la réunion suivante accompagnés d’une personne de leur entourage, conjoint, enfant, … Et l’ambiance a totalement changé, est devenue constructive, et ils ont pu aboutir à un projet de communication qui a été mis en œuvre.
Un autre exemple ?
La direction d’un grand groupe industriel décide de créer un pôle réunissant, autour d’une usine principale, trois autres usines, de façon à mettre des moyens en commun afin de réduire les coûts de fonctionnement. Le directeur de l’usine principale, chargé de mener le projet, décide de le faire de façon participative, en créant des groupes de travail par secteurs, animés par des animateurs internes, formés et assistés par moi. (NB : manière d’utiliser le consultant différente de la manière habituelle, dans laquelle on attend de lui LA solution !). Il y avait trois syndicats représentatifs. Deux d’entre eux engagent vivement les salariés à participer aux groupes de travail. Le troisième publie des tracts incitant vivement au boycottage de cette « manipulation ». Mais son délégué va trouver le directeur pour lui dire qu’il ne peut pas faire autrement, vis-à-vis de ses instances dirigeantes, et lui garantit qu’il ne fera rien de négatif vis-à-vis du projet !
Un exemple de l’apport des méthodes participatives.
Une entreprise nationale de transport ferroviaire, que je ne citerai pas par déontologie, se trouve confrontée à un problème lancinant : la fermeture d’une desserte ferroviaire déficitaire pour cause de fréquentation insuffisante et son remplacement par une desserte sur route par un autocar. La manière « habituelle » de mener le projet, très inspirée de la culture de l’entreprise (que j’appelle « culture d’ingénieur » – cela dit sans stigmatiser cette catégorie professionnelle dont je fais partie !) : le chef de projet travaille tout seul, il consulte, il se documente, et il met un point d’honneur à élaborer le projet dans ses moindres détails (fréquence et horaires des dessertes, et jusqu’à la couleur des sièges du car !). Et lorsqu’il présente le projet aux décideurs (le Conseil Régional), c’est un tollé de protestations : les maires qui « perdent » leur gare, les écologistes qui crient à la pollution, …. Et pourtant, j’ai eu connaissance d’un cas où l’affaire avait été menée différemment : en concertation (et même plus, en co-construction) avec toutes les parties prenantes, en commençant par un partage des enjeux avant de concevoir une solution. Et même les écologistes ont validé le projet.
Alors, pourquoi ne le fait-on pas plus souvent ?
Déjà lorsque cette « culture d’ingénieur » – que je préfère finalement appeler « culture du perfectionnisme solitaire » est à l’œuvre.
Mais aussi en raison de préjugés tels que « C’est une perte de temps », « Ils n’accepteront pas », … Et pourtant « ils » acceptent lorsqu’on sait leur présenter les enjeux ! Là je vois un manque de courage …
Et comment ça marche ?
Mon expérience – j’ai été très marqué par un séminaire qui avait démarré dans une ambiance hyper-conflictuelle pour terminer dans une sérénité studieuse – m’a amené à tirer les enseignements suivants :
- Ne pas chercher immédiatement le consensus sur la solution (consensus qui est d’ailleurs souvent illusoire)
- Chercher plutôt le consensus, ou au moins l’accord, sur la démarche
- Mettre en évidence les enjeux, les buts finaux, l’intérêt commun, avant de chercher les solutions
- S’écouter, y compris en prenant le point de vue de l’autre
- Se respecter mutuellement
- Eviter la censure
- Ne pas se braquer sur une idée (au risque de faire de l’idéologie), mais développer le projet pour argumenter sur des faits
- Et le tout en respectant un processus organisé
NB : on remarquera que certaines de ces règles du jeu ressemblent à celles de l’expérience « Faut qu’on parle » (cf. le dernier billet d’humeur)
Mais, si je l’ai toujours fait avec succès en milieu professionnel, est-ce que ça peut marcher en politique sur des sujets de société ?
Cela me semble difficile au niveau national, où les « démons » (idéologie, posture) sont à l’œuvre.
Mais, « sur le terrain », je dis oui sans hésiter.
Déjà l’expérience relatée au début est concluante.
Et je voudrais relater une expérience menée par la Communauté de Communes de l’île de Noirmoutier qui a organisé des groupes de travail sur des sujets liés à l’environnement. Pour une fois j’étais simple participant et je me suis retrouvé au milieu de gens de terrain (une maraîchère, des commerçants, des élus locaux, …), tous guidés par un processus, et cela a très bien fonctionné.
C’est pour moi la clé de l’avenir.
Et rappelons-nous :
Écouter n’est pas approuver
Respecter n’est pas flatter
Compromis n’est pas compromission