Nous vivons dans un monde de réponses.
Un très beau mot lorsqu’il débouche logiquement sur son compère en étymologie, la responsabilité.
Un mot hélas dévitalisé, si on le prive de son alter ego en miroir, la question.
Le sémantisme indo-européen, *spend-, désigne la libation dont est sanctionné tout acte religieux et juridique. Ainsi l’offrande liquide authentifie-t-elle le serment prêté devant les divinités tutélaires, qui prémuniront contre le danger.
Le latin classique fait évoluer le sens vers le pacte de sécurité que deux contractants s’engagent à respecter, en se prenant mutuellement comme garants. Telle la caution qu’apporte le sponsor, de sa propre volonté donc spontanément.
*Sponsus, le fiancé épouse sa promise et scelle les épousailles, au cours desquelles *sponsio et *re-sponsio sont échangées. Réponses à un engagement solennel, en correspondance avec l’oracle qui a répondu favorablement.
Parce qu’une réponse engage celui qui la donne, parce qu’il est responsable de son contenu et surtout de ses conséquences, il ne s’agit pas d’un échange à la légère.
Cela supposerait-il donc que l’on prête une oreille plus attentive à la question qui l’a induite ?
Quelle drôle d’idée !…
Le spectacle assez lamentable que présente le brouhaha des échanges médiatiques ferait bien plutôt croire à une riposte généralisée…
Vous pouvez répéter la question ?
Le latin *quaerere, sans étymologie connue, englobe une pluralité de nuances : « demander avec insistance, chercher à se procurer un objet, un avantage, toujours concret, nécessaire à la vie ou à l’activité, rarement un renseignement ».
Le questeur est chargé des enquêtes criminelles, financières, s’enquiert du Trésor. Juge d’instruction, il enquête, par le questionnaire, la perquisition, recourant parfois à la question, torture mentale ou physique pour obtenir l’aveu, dont sont passés maîtres les inquisiteurs.Tout sauf exquis… Le réquisitoire ou l’acquittement ?
Acquérir, acquêt, conquérir, conquistador. Entre autres mots.
Dans l’inconscient collectif, à l’insu même de ceux qui s’y prêtent, la question n’échappe pas à ce filigrane d’insistance, voire de torture. Comme s’il s’agissait d’une intrusion dans l’intime.
Et pourtant on assiste au grand déballage, sans retenue ni pudeur sur la scène publique et médiatique, de ses propres états d’âme, ou des petites vilénies d’autrui, de la trivialité sans intérêt du quotidien. Ah mais oui, sans difficulté !
Répondre à de vraies questions, en quête de sens, d’engagement, de projet, d’idéal, voire d’utopie ? Ah mais non ! Cela supposerait, en amont de la question, de s’interroger sur soi-même, sur l’humain en chacun, sur l’humanité, minuscule et majuscule.
J’interroge donc je suis, je réponds donc je suis responsable. Telle est la difficile conciliation entre liberté individuelle et équilibre collectif.
Albert Camus, toujours lui, répétait : « L’homme n’est rien en lui-même, il n’est qu’une chance infinie, mais il est le responsable infini de cette chance. »
Co-acteur au quotidien des questions essentielles et des réponses à tenter de leur apporter.
Encore faut-il accepter de se laisser perturber, dérouter d’évidences qui semblaient aller de soi, de convier l’inquiétude et le doute.
« Ni responsable ni coupable », la formule d’une élue de la République a fait florès depuis 1985, invitant à un dédouanement obscène de toute responsabilité passée et présente.
Et pourquoi pas future ? Question rhétorique…
Annick Drogou
Galilée.sp