Nous vivons une époque bien compliquée ! Serions-nous en train de vivre une période de « grande bascule » ? …
Enumérons les grands défis du moment : crise sanitaire ; guerre en Europe ; crise économique ; crise sociale ; explosion des violences ; transition écologique ; montée en puissance des systèmes politiques illibéraux et anti-démocratiques ; discrédit de la politique…
Ces défis impactent gravement la plupart de nos grands services publics.
Ainsi en France, alors que le niveau des dépenses publiques apparaît parmi les plus élevés du monde (près de 60 % du PIB !), nous assistons à une crise généralisée : l’hôpital est entré dans le « coma », la justice est perçue comme étant aux abonnés absents ; les populations d’origine étrangère ne s’intègrent plus de manière harmonieuse au sein de notre société et sont prises en otage par l’islamisme et les xénophobes ; les policiers et gendarmes ne paraissent plus suffire à leurs tâches ; l’Armée ne semble pas préparée aux combats de haute intensité et l’on peine à envoyer du matériel en Ukraine ; tandis que l’Education nationale, pilier de la citoyenneté républicaine, ne satisfait plus personne, pas même les enseignants ! …
Rarement nos gouvernants se sont-ils trouvés confrontés à une telle concentration de grands défis et crises en même temps !
Cependant, essayons, en évitant les simplismes, d’y voir un peu clair dans les ressorts de ces crises afin d’esquisser de « nouveaux horizons ».
REPRENDRE EN MAIN NOTRE DESTIN COLLECTIF
La difficulté des gouvernants est d’autant plus grande que toutes ces crises semblent de nature internationale et globale.
Plus de quarante années de néo-libéralisme et de mondialisation ont conduit à cette situation déconcertante d’étroite interdépendance des pays et des économies. Une guerre dans un pays européen tel que l’Ukraine, par un effet de dominos, fait craindre la famine en Afrique, la pénurie d’énergie en Europe occidentale, l’inflation généralisée et, probablement, une récession économique mondiale. La pénurie de masques au début de la pandémie de la Covid avait déjà alerté sur la nécessité de renforcer l’indépendance économique nationale (« la souveraineté économique »).
Cela passe nécessairement par la réindustrialisation de notre économie, la relocalisation d’entreprises, la restauration de notre potentiel agricole et agro-industriel ainsi que par un effort massif en matière de recherche et de formation.
Le Commissariat au plan, fort opportunément recréé, devrait jouer un rôle majeur. Ainsi d’ailleurs que le CNR (Conseil national de la refondation ; à ne pas confondre avec le Conseil national de la Résistance ! …). A condition, qu’il s’agisse pour l’un comme pour l’autre de véritables outils et non de faux semblants et que l’on réussisse à créer un minimum de consensus national (ce qui n’est pas gagné !). Le parallèle entre la situation actuelle et celle de l’immédiat après-guerre est tentant, mais les conditions sont-elles vraiment les mêmes ? A cette époque, les partis politiques étaient forts et crédibles, les syndicats peu nombreux et puissants, le CNPF (Conseil national du patronat français) était un interlocuteur patronal de poids, les grandes banques ainsi que les principaux moyens de production étaient nationalisés, la haute fonction publique était au diapason et suppléait l’instabilité politique de la IVème République …
Il ne faut pas s’y tromper, derrière la question du retour à une certaine souveraineté économique, heureusement revenue dans l’air du temps, il s’agit de reprendre en main notre destin collectif et de redonner du sens à la politique et à la démocratie.
Le nazisme et le fascisme sont nés sur le terreau de la crise économique, du chômage et de la faiblesse des Etats démocratiques. Un Etat, ou un groupement d’Etats tel que l’Union européenne, qui ne peut contrôler ni les flux financiers, ni les flux de marchandises, ni les flux de services, ni la localisation des entreprises, ni les flux de migrants n’est qu’un Etat impotent, dans l’incapacité de satisfaire les attentes de sa population. A fortiori lorsqu’il délaisse les grands services publics et s’appauvrit par les délocalisations, l’évasion fiscale et une croissance économique bridée durant des années par une monnaie surévaluée et des contraintes budgétaires absurdes ! Quelque part, il n’est donc plus réellement démocratique ! Faut-il donc s’étonner que les citoyens se détournent des urnes et des partis traditionnels ?…
DE NOUVEAUX COMBATS IDEOLOGIQUES A MENER
Cela étant, même si l’on reconnaît le bien-fondé pour la démocratie d’un retour à un certain interventionnisme public, qu’il soit national ou européen, nos sociétés sont actuellement traversées par de dangereux courants idéologiques qui nous imposent de livrer un difficile combat sur ce même terrain idéologique.
Certes, le combat contre l’idéologie néo-libérale, née dans les cerveaux peu fertiles de l’Ecole de Chicago et mise en œuvre avec zèle par Margaret Thatcher ainsi que Ronald Reagan au début des années 80, paraît en passe d’être gagné. Le risque maintenant est d’éviter de tomber d’un extrême à l’autre, d’un excès de libéralisme à un excès d’autoritarisme ! C’est ce que l’on connaissait déjà depuis quelque temps en Europe avec la Pologne ainsi que la Hongrie et que l’on découvre aujourd’hui avec effarement en Suède et en Italie… C’est aussi en France même l’amer constat de la forte poussée continue de l’extrême droite.
La guerre en Ukraine, livrée par un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU entre en contradiction avec toutes les règles du droit international actuel laborieusement, chaotiquement, mais patiemment élaborées au fil des siècles et surtout au lendemain de la désastreuse Deuxième Guerre Mondiale. On ne le dit pas assez, mais elles sont un héritage des Lumières notamment au travers de l’œuvre d’Emmanuel Kant (« Vers la paix perpétuelle », 1795). L’établissement de la Paix internationale, comme pour la paix civile sur le plan national, passe par le respect de principes moraux et politiques (la raison, la vérité, la justice, le respect de la souveraineté et l’intégrité des Etats …). Ces principes dans le même esprit que ceux contenus dans la « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen » de 1789 et la « Déclaration universelle des droits de l’Homme » de 1948, sont universalistes. La Charte des nations unies de 1945 a promu un édifice universaliste destiné à assurer la Paix entre les Nations et à régler pacifiquement les conflits.
Or, l’universalisme des valeurs est justement ce qui est le plus souvent contesté par une coalition hétéroclite d’obscurantistes voulant nous ramener à l’Age de Pierre (le Moyen Age était plus civilisé, surtout dans sa deuxième partie…) : les « autocratophiles » (désolé pour cet affreux néologisme !…) de tout poil dans leurs différentes déclinaisons, les islamistes et les wokistes radicaux !… Leur cible est l’occident et ses valeurs. Ainsi, le nouveau « tsar de toutes les Russies », c’est aujourd’hui le cas de le redire, ne rêve-t’il pas de créer une coalition réunissant tous les Etats autocratiques et illibéraux du monde pour lutter contre les valeurs dites occidentales ? C’est un véritable appel à la croisade. Heureusement que la Chine et l’Inde, pays de haute civilisation et conscients de leurs intérêts à long terme n’y prêtent pas une oreille trop complaisante !…
Certes, l’occident n’est pas exempt de reproches justifiés. Il a lui-même trop souvent bafoué ses propres valeurs. Mais est-ce une raison pour jeter toutes ces valeurs aux orties ! De jeter « le bébé avec l’eau du bain » ! …
Il est donc urgent de se mobiliser et réfléchir, sans tabous, à l’avenir de l’enseignement des Lumières.
Il en va de l’avenir même de la Civilisation que, pour paraphraser Paul Valéry, nous savons mortelle !
C’est le vaste chantier auquel Galilée.sp va s’efforcer, modestement, d’apporter sa pierre dans les mois à venir….
Gilbert Deleuil
Préfet honoraire
Président du conseil d’administration
Galilée.sp