Petit-déjeuner avec Arnauld d’Yvoire du 14 novembre 2018
Alain Arnaud, Président de l’UPR de Galilée.sp « Economie sociale et solidaire » accueille Arnauld D’Yvoire pour une intervention suivie d’un débat sur un sujet complexe, passionnant… et brûlant, qui a pour titre : « Réformer le système de retraite : pour quelles raisons ? Comment ? Pour arriver à quoi ? ».
Le parcours du conférencier [1] est présenté par Dominique Guézélou, membre de Galilée.sp. : Arnauld D’Yvoire est un fin connaisseur du sujet dont il a suivi l’évolution depuis une quarantaine d’années, tout d’abord comme responsable du service Prévoyance de la CFE-CGC, puis, à partir de 1990, en tant que Secrétaire général de l’Observatoire des retraites.
Si l’on veut parfaire ses connaissances en matière de retraite en France, mais aussi dans le monde, rendez-vous sur le site de l’Observatoire des retraites (OR) : Une véritable « encyclopédie » du monde de la retraite !
La présentation d’Arnauld D’Yvoire se déroule en trois temps :
- la présentation du système français de retraite,
- l’évocation des perspectives étayées par des données chiffrées,
- le projet de réforme en cours d’élaboration.
Un peu d’histoire…
Le système est caractérisé par trois blocs de régimes et trois modèles de gouvernance, deux modes de calcul et un seul mode de financement.
Les régimes spéciaux
Le premier modèle fut celui des régimes spéciaux et principalement le régime de retraite des fonctionnaires, unifié sous Napoléon III. Au 19ème siècle, il s’agissait d’attirer et de fidéliser une main d’œuvre dans les métiers de la fonction publique en offrant la perspective du maintien de son niveau de vie à l’âge de la retraite
Le régime général et les régimes « alignés »
Au cours des années 20, apparaît un 2ème bloc constitué par le régime général et les régimes alignés (commerçants, artisans, mais pas les professions libérales) inspiré du modèle des régimes spéciaux mais de manière moins favorable.
Les régimes complémentaires
Enfin le 3ème bloc des régimes complémentaires des cadres (agirc créé en 1947) et non-cadres (arrco, créé en 1961) fonctionne selon un système par points, fixés initialement sur les évolutions des salaires.
Les modes de gouvernance
Les régimes spéciaux sont des « régimes d’employeurs », ce sont eux qui décident des modalités de calcul. Ainsi, les fonctionnaires n’ont pas de « caisse de retraite » à proprement parler.
Du côté du régime général (Sécurité sociale), l’Etat a progressivement « repris la main » au détriment des conseils « élus », issus de la création de la sécurité sociale en 1945, et dont le rôle était consultatif… Voire « décoratif »…
Les régimes complémentaires sont gérés par les organisations professionnelles de leurs bénéficiaires, organisation qui les ont créés. S’agissant des salariés, la gestion est paritaire. Les grandes décisions sont négociées entre les organisations patronales et salariales. La gestion relève des conseils d’administration également paritaires.
Mais cette spécificité pourrait disparaître avec la réforme…
La capitalisation
Arnauld D’Yvoire évoque les étapes historiques qui ont précédé la création de la sécurité sociale après-guerre :
- Les assurances sociales des années 30 fonctionnent par capitalisation mais répondent à des normes strictes en termes d’investissements (ceux garantis par l’Etat) ;
- Une loi de 1941 adopte le financement en répartition et créé une sorte de minimum vieillesse pour les vieux travailleurs salariés pour répondre à leur grande paupérisation du fait de la guerre.
- En 1945, le choix de laisser filer l’inflation (le franc perd 90 % de sa valeur entre 1944 et 1948) ruine ceux qui avaient épargné pour leurs vieux jours et rend inéluctable le maintien de la répartition pour la Sécurité sociale qui succède aux assurances sociales.
- Les partenaires sociaux créent le régime complémentaire des cadres, l’Agirc, en 1947, puis de nombreux régimes complémentaires pour les non-cadres en répartition, seul moyen de servir immédiatement des retraites aux anciens dont l’épargne avait disparu.
Le système par répartition
La « solution-miracle » semble donc être le système de répartition. La période des trente glorieuses est si faste que l’Agirc n’appelle pas la totalité des cotisations et limite ses réserves à une année de fonctionnement. L’obligation de les placer pour moitié au moins en fonds d’Etat au rendement nul ou négatif, la crainte que l’Etat ne vienne « piquer » ces réserves comme il l’avait fait avec les assurances sociales, expliquent ce choix des partenaires sociaux.
Dans cette période faste, nombre de grandes entreprises complètent les retraites de leurs personnels pour les aligner sur la situation plus favorables des retraités du secteur public.
Le premier choc pétrolier et ses conséquences
Mais le premier choc pétrolier, puis la politique économique suivie au début des années 80, fragilise l’économie française, alors même que la démographie se retourne sous l’effet de l’allongement de la durée de vie et de la chute de la natalité. Dans les années 90, les partenaires sociaux prennent conscience de la nécessité de baisser le rendement des régimes complémentaires. Ainsi, si, en 1947, un cadre, avec 100 francs de cotisation, « achetait » 15 francs de retraite annuelle, aujourd’hui, avec 100 euros de cotisation, il achète… 6 euros de retraite annuelle.
On a agi sur les deux « leviers » à la disposition des partenaires sociaux : hausse des cotisations et du prix d’acquisition du point de retraite, moindre revalorisation du point et donc diminution des pensions versées…
Une succession de réformes
Plusieurs réformes se succèdent :
- 1993 (Balladur-Veil) pour les salariés du régime général et les régimes « alignés », indexation des retraites non plus sur les salaires mais sur les prix, passage d’un calcul sur les 10 meilleures années de salaire à un calcul sur les 25 meilleures années.
- 2003 (Raffarin-Fillon) pour les salariés et la fonction publique avec l’augmentation du nombre de trimestres, création de l’information des actifs
- 2008 (Fillon-Bertrand) les régimes spéciaux sont « touchés » (SNCF, EDF….)
- 2014 (Ayrault-Touraine) allongement au fil des générations de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Création du GIP « Union retraites » et du RGCU (Répertoire de gestion des carrières unique) qui doit entrer en vigueur au plus tard en 2022. Renforcement de la coopération entre les régimes.
Quelles perspectives ?
Pour Arnauld D’Yvoire, les perspectives (à l’horizon 2070) restent conditionnées à la croissance – préalable aux projections les plus optimistes -, à des facteurs démographiques (naissances, durée de vie), au marché de l’emploi… L’équilibre du régime nécessite soit d’augmenter les cotisations, soit de baisser les retraites, soit d’allonger l’âge auquel on peut partir à la retraite.
Dans les projections du rapport du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) 2017 (plus pessimistes que celles de 2016), l’équilibre ne peut être atteint qu’en 2040, et ce, dans la perspective la plus optimiste; ce délai pourrait être ramené à 2035 dans le rapport 2018 à condition de bénéficier d’1,5 point de croissance.
Réformer…. Pourquoi faire ?
Le projet de réforme en cours, très « impactant » reste malgré tout encore flou. Un seul régime absorberait les 42 régimes obligatoires et les régimes complémentaires Agirc-Arrco obligatoires. Le régime de cotisation serait unique et un euro de cotisation devrait rapporter la même retraite à tout le monde En revanche certaines catégories pourraient cotiser moins (les indépendants) ou plus (les militaires par exemple).
Source : site de la réforme des retraites
Le taux de cotisation serait fixé à 28 %, taux de cotisation actuel pour les salariés du secteur privé, étant entendu qu’aujourd’hui, les taux des régimes spéciaux sont largement supérieurs. Les salaires devraient être couverts jusqu’à trois fois le plafond SS (soit 10.000 €/mois, ce qui concerne 92 % de la masse salariale et qui couvre près de 98 % des salariés). L’âge de départ à la retraite resterait fixé à 62 ans, mais cela reste ambigu, puisque le système des décotes serait probablement maintenu.
Rien ne changerait pour les retraités actuels et ceux partant dans les cinq ans. Ensuite, la conversion des droits acquis de l’ancien régime vers le nouveau système devrait se faire sans perte, « promis, juré » !
Mais dans ce nouveau dispositif, des questions subsistent, qu’elles soient « périphériques » (cas de Monaco ou de la Nouvelle-Calédonie) ou plus « centrales » comme par exemple ce qui pourrait se passer pour les régimes Agirc-Arrco qui couvrent les salariésaujourd’hui jusqu’à 8 fois le plafond de la sécurité sociale : les engagements actuels et les droits acquis par et pour les affiliés pourront-ils être tenus et maintenus ?
La question des pensions de réversion
S’ajoutent à ces questions celle des pensions de réversion car le régime qui s’applique aujourd’hui est très différent pour les fonctionnaires où il n’y a pas de conditions de ressources et pour les salariés, où les pensions de réversion ne bénéficient qu’à environ 30 % des conjoints survivants, du fait de règles très sévères (non cumul…) dans le régime général. Les conditions de réversion sont meilleures dans les régimes complémentaires.
L’assurance a été donnée de ne pas toucher aux actuelles pensions de réversion : mais cela signifie-t-il qu’on ne touchera pas aux pensions en cours de service ou celles concernant les personnes partant dans les 5 ans à la retraite ? La question de la cristallisation ou de la conversion des droits reste posée. En 2012, les taux de cotisations des salariés du privé étaient de 25 % contre 63 % pour la fonction publique. Comment pourra-t-on équilibrer tout cela ? Certains envisageraient de transformer rétroactivement les primes de la fonction publique en régime de points, ce qui semble difficile à faire. Pour les régimes à points, la conversion est plus aisée.
Les autres mesures
Les régimes actuels comportent bien d’autres règles, par exemple en ce qui concerne les majorations pour enfants, qui varient sensiblement d’un régime à un autre.
L’avenir des réserves des régimes de retraite
Dans les régimes de base, on a des dettes, et donc pas de réserves. Par contre, dans les régimes complémentaires, on a des réserves plus ou moins importantes qui représentent à peu près 150 milliards d’euros, ce qui au final représente à peine une année de versement des retraites et relativise singulièrement cette apparence de « trésor de guerre »…
Sur cette question, les « recettes » à appliquer divergent. D’aucuns pensent qu’il est important et indispensable de pouvoir compter sur des réserves pour parer à des « chocs » qui peuvent se produire à tout moment, d’autres pensent au contraire qu’un régime de retraite a surtout besoin d’atteindre et de maintenir un équilibre, qu’il n’a pas besoin d’avoir de réserves et qu’il conviendrait plutôt de les utiliser immédiatement pour boucher les trous immédiatement.
Le groupe de travail mené par Jean-Paul Delevoye, Haut Commissaire à la réforme des retraites poursuit sa réflexion, ses consultations. A l’heure actuelle, on dispose finalement assez peu d’informations précises sur l’architecture globale de ce nouveau système de retraite. Le projet de loi devrait venir devant le parlement dans le courant de l’année 2019.
Comme on peut l’imaginer, l’intervention d’Arnauld D’Yvoire a suscité de nombreuses questions et des échanges de points de vue nourris de la part des participants à ce petit déjeuner.
[1] « CV express » d’Arnauld D’Yvoire : Né le 29 mai 1951 à Châlons en Champagne. Maîtrise de Droit de la Faculté d’Orléans (1973), Institut d’Etudes politiques de Paris (1974), admissible à l’ENA, (1975), Assistant parlementaire du Sénateur-maire de Gien (45) (1977-1978), Secrétaire puis chef du service prévoyance de la CFE-CGC (1978-1990). Secrétaire général de l’Observatoire des retraites (depuis 1990), organisme créé par les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco pour suivre les évolutions européennes et internationales, faciliter la connaissance des régimes de retraite, encourager la réflexion et développer les contacts avec la recherche et l’université.
En annexe :
Le document en format PDF réalisé par Arnauld D’Yvoire, utilisé comme support pendant son intervention et disponible ici
Compte-rendu établi par Yanne Dejean-Henry et Anne-Marie Perret (Galilée.sp)