Le paysage politique français contemporain paraît complétement chamboulé comme l’a révélé avec éclat la présidentielle de 2017.
Le logiciel républicain français peut nous aider à penser le nouveau cours des choses.
Il nous aide à comprendre pourquoi la France, malgré les fréquentes alternances politiques, entre la Droite et la Gauche, reste probablement l’Etat le plus social-démocrate du monde. Avec un niveau de protection sociale très élevé, des prélèvements obligatoires qui représentent environ 55 % du PIB ! Les luttes sociales et les combats politiques des partis de Gauche ont joué un rôle central, cependant l’apport de la démocratie chrétienne et du gaullisme social y a aussi contribué. Cette conception du rôle de l’Etat a même été gravée dans le marbre républicain : Programme du conseil national de la Résistance, « Les jours heureux », adopté à l’unanimité en 1944 ; Préambule, très social, de la constitution de la IVème République repris dans celui de la Constitution de 1958. Ainsi, notre République est constitutionnellement laïque et SOCIALE…
Dès lors, la Droite n’est plus la représentante de la seule classe dominante. « La bourgeoisie », détentrice des moyens de production selon la définition marxiste, a longtemps pu conserver le pouvoir grâce à son alliance avec une grande partie de l’ancienne et puissante paysannerie ainsi qu’avec les restes de l’ancienne aristocratie catholique. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’exode rural et l’industrialisation du pays, la Droite a perdu rapidement sa base sociale rurale. Elle s’est composé un visage plus social et urbain, en s’appuyant sur les gaullistes et les chrétiens-démocrates. Sans cela, et c’est le principal enseignement de Tocqueville sur la Démocratie, notre système démocratique l’empêcherait d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir…
Dans ce contexte, le petit jeu du « mieux disant social » est devenu très compliqué. Cela explique aussi pourquoi les partis de Gauche, faute de profondes réformes de structure, paraissent être entrés dans un « cycle d’obsolescence non programmé à l’avance ». L’abandon des classes populaires a profité au populisme d’Extrême Droite. C’est ainsi que le Rassemblement national s’est doté d’un projet politique, certes très national (nationaliste ?) et très social et populaire (un projet « national-socialiste » au sens initial des termes).
Cela étant, après les « Trente Glorieuses », la Gauche et la Droite républicaines ont cautionné le virage économique néo-libéral pensé par l’Ecole de Chicago et mis en pratique par Margaret Thatcher et Ronald Reagan au début des années 1980. L’Europe et la France ont emboité le pas avec l’Acte unique européen de 1986 et le traité de Maastricht de 1992. Cette idéologie nouvelle a permis la mondialisation accélérée de l’économie et l’émergence de nouvelles économies. Mais elle a aussi complètement déstructuré le modèle social-démocrate européen (délocalisation des emplois, « déménagement » du territoire, chômage structurel de masse, creusement des inégalités sociales, arrêt de l’ascenseur social, précarisation des emplois, difficultés d’intégration des migrants, violences …).
A rebours de la doctrine de la lutte des classes marxiste, longtemps chère au PC et au PS, la Gauche ne semble plus être, aujourd’hui, la représentante attitrée de la classe ouvrière ni même, plus largement, des couches populaires. Les points de clivage idéologique ont eu tendance à se déplacer du social au sociétal et à l’écologie.
Cela faisait un moment déjà que la Gauche présentait un visage sociétal assez accusé (féminisme, décolonisation, antiracisme, abolition de la peine de mort, décentralisation, cause LGBT…). Ceci en contraste avec une Droite longtemps restée très conservatrice, même si quelques conquêtes doivent être mises à son actif, souvent à l’encontre de sa propre base électorale (contraception, IVG …). Aujourd’hui, avec le surgissement du wokisme, issu de l’extrême gauche universitaire américaine, on assiste à une radicalisation du traitement des « questions sociétales ». Une nouvelle étape est franchie où le racialisme remplace l’antiracisme, le décolonialisme succède à l’anti-colonialisme, le néo-féminisme le féminisme, le migrant le prolétaire etc…
Or, cette idéologie nouvelle ne correspond pas à notre conception de la République. Notamment parce qu’elle est différentialiste et donc communautariste (et non égalitaire) et que le racialisme apparaît comme un nouveau racisme. Globalement, malgré de bonnes intentions, elle représente une attaque frontale du principe d’universalité cher aux Lumières… Elle semble imprégner des fractions plus ou moins importantes de partis comme les Insoumis ou les Verts et même certains secteurs du PS. Seuls de courageux intellectuels, traités de « réactionnaires » et le PCF tentent de résister.
Dès lors, rien d’étonnant à ce que la Gauche soit si basse dans les sondages. Si elle ne retrouve pas sa base sociale populaire et son inspiration républicaine universaliste, sa raison d’être principale, sa disparition paraît inéluctable. Il ne restera alors que quelques petites formations extrémistes, wokistes, différentialistes et vaguement écologistes… A moins que la Gauche ne soit plus là où on la cherche encore…
Attention toutefois à un possible retour de bâton, car les inégalités sociales, comme l’a montré Thomas Piketty, se sont profondément creusées. Les « Gilets Jaunes » en ont été la flagrante manifestation.
Chronique de Thomas Piketty parue dans Le Monde du 11/12/21
Pour finir, avec un fond commun (Siècle des Lumières) mais des détours historiques différents, les démocraties occidentales et la République française partagent aujourd’hui un très grand nombre de valeurs et de principes.
On peut aisément voir que le concept français de république est très large et qu’il intègre celui de démocratie en le dépassant. Il va aussi plus loin ! Il est aussi laïque et social !
C’est pour cela que nous devons
tant chérir et défendre notre République !
Gilbert Deleuil
Préfet honoraire
Président du conseil d’administration de Galilée.sp