Notre monde contemporain n’est pas exceptionnel ! Nous cheminons entre des tendances collectives opposées dont chacune est utile. Alors, comment nous situer ?
Les remises à plat au nom de la clarté et du direct
Notre époque est friande de remises à plat, de réseaux entre pairs, de chaînes d’information en continu pour coller au plus près de l’événement ; nous cherchons la « réalité de terrain », nous voulons des organigrammes plus plats pour avoir des chaînes de décision plus courtes et plus efficaces.
En management, c’est une « école » qui s’est beaucoup développée dans les années 1990 (premières chaines d’information en continu dans le paysage audiovisuel français, entreprise libérée de Tom Peters, organigrammes matriciels cherchant à donner un cadre au travail transversal, gestion par projet etc).
Ce mouvement culturel rencontre une aspiration de beaucoup de personnes à avoir plus d’autonomie, plus de liberté ; elle se consolide par nos pratiques quotidiennes de fréquentation des réseaux sociaux. Bien des seniors, à l’occasion du confinement, ont d’ailleurs « sauté dans » le monde numérique avec Zoom ou d’autres systèmes grand-public de visioconférence.
Les interconnexions sont démultipliées : les datas s’échangent par devant et sous le manteau, les lanceurs d’alerte et les auteurs de fake-news sont mis au même niveau.
Il y a un nivellement qui, progressivement, se met en place et fait œuvre de rabot. Si ça marche c’est parce que les illusionnistes peuvent s’accrocher à certaines de nos illusions (et réciproquement).
Les épaisseurs de l’incertitude et de nos histoires
Nos histoires, personnelles, familiales, sociales et notre « grande histoire » collective nous parlent autrement. Ce sont d’autres récits, entremêlés, qui posent questions et demandent du temps pour y voir un peu plus clair.
La science par exemple. Depuis les « Temps modernes », nous vivons dans une culture rationaliste, nous y sommes maintenant habitués et c’est même devenu notre « référentiel » pour tout. Comme si tout pouvait être rationnel et scientifique !
Comment en sommes-nous arrivés là ? Cela aura pris plusieurs siècles ! Avec la science, le XIXème siècle occidental fut celui d’un développement spectaculaire des techniques industrielles. Le XXème siècle occidental fut celui de la course à l’énergie, de la recherche d’une maîtrise de l’énergie et en même temps de l’effroi face à l’atome qui souffle et détruit en un instant une population et un milieu de vie (Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima).
Avec la crise du Covid-19, nous pouvons voir que la connaissance n’est pas une donnée, c’est une recherche. C’est une production évolutive des humains, découverte par une conscience en mouvement : une intuition, des expériences, une formule qu’on teste, des retours en arrière, des controverses, une percée conceptuelle, des stagnations et des accélérations. C’est le lot de la connaissance scientifique (connaissance d’un virus, mesures de sa propagation, recherches de gestes barrières-médicaments-vaccins-tests pour se protéger…).
Les « connaissances générales » qui, progressivement, s’assimilent et forment un socle culturel, suivent le même parcours, lent, des tâtonnements, des mises en parole, de la digestion, de l’apprentissage, de la réflexion, du débat.
Nous situer résolument à la croisée de ces deux tendances
Continuer à être humain, c’est se mettre en quête. C’est ne pas se glisser dans des rails préfabriqués ; c’est ne pas tout prendre au pied de la lettre ; c’est débroussailler puis semer et récolter ; c’est se tenir soi-même informé et se poser des questions.
Continuer à être humain, c’est ne pas se laisser berner par la société de consommation, celle du prêt à manger, du prêt à porter, du prêt à la consommation, du prêt à penser.
Continuer à être humain, c’est assumer la dimension politique de la vie en société. Dans notre démocratie républicaine, c’est voter et pas s’abstenir, c’est utiliser ses droits et assumer ses devoirs, c’est répondre de ses actes ; c’est débattre en s’écoutant ; c’est ne pas se laisser manipuler par les illusionnistes des masses – populisme ou intelligence artificielle – qui sont des versions contemporaines des tyrans et des dictateurs.
Oui, l’Humanité est pétrie d’oppositions ! C’est le chemin sur lequel elle avance et cela depuis « la nuit des temps ». Cette « grande histoire » se construit dans le secret de nos histoires personnelles ; c’est là que nous sommes le monde, c’est là que nous sommes en lien.
Dans notre 21ème siècle, nous avons une nouvelle donne : notre avons collectivement conscience que notre monde est limité, fait d’interdépendances et que nous devons préserver la vie et la planète
Il nous appartient de nous construire ensemble, avec créativité, c’est-à-dire avec des ET, pas des OU.
ET, c’est la « conjonction possible des opposés » dans notre psyché, où « l’ontogénèse rejoint la phylogénèse » avec Carl-Gustav Jung.
ET, c’est le levier majeur de notre créativité individuelle et collective.
ET, c’est la pensée complexe, « une pensée qui relie en contextualisant » et « en se situant dans l’incertain ». Elle est « herméneutique, c’est-à-dire condamnée à l’interprétation » avec Paul Ricoeur et Edgar Morin.
Catherine Gras,
Présidente du Conseil d’orientation de Galilée.sp