Le verbe latin *nuntiare, « faire savoir, faire connaître », s’inscrit dans le registre de la langue officielle, avec la solennité qu’impose la proclamation publique d’un oracle prononcé par les augures, prêtres patentés de la société romaine. Ou encore celui de la sentence judiciaire, de l’édit juridique, de la décision politique. Ainsi en est-il du nonce apostolique, prélat-ambassadeur du Saint-Siège.
Le verbe latin, affecté de préfixes ou de suffixes, ouvre un vaste champ lexical contrasté dans les nuances positives ou péjoratives qu’on y repère.
L’annonce conserve un caractère officiel, à plus forte raison quand elle revêt, avec majuscule, l’aura d’un message divin adressé par un ange à une vierge, dans la mythographie chrétienne. La peinture a largement puisé dans ce fonds de l’Annonciation.
On énonce, avec une exigence de clarté, les termes d’un problème, son éventuelle résolution est à ce prix.
On prononce un mot, une phrase, le nom d’un interlocuteur, des vocables étrangers, en apportant le plus grand soin à cette diction, ne serait-ce que phonétique. Il en va de la compréhension mutuelle. Véritable casse-tête pour les étrangers, concernant de nombreuses langues, quand la lecture ne correspond que de très loin à la phonétique…
Notablement moins honorable, le plus souvent clandestine et perverse, est la dénonciation de sinistre mémoire.
En revanche, renoncer pose les termes d’une réflexion ambivalente. Son préfixe re- stipule la répétition, on y verrait donc la réitération d’une annonce, d’une prise de position. « Re-noncer », affirmer derechef.
Or l’acception la plus courante fait du renoncement une contrainte assortie de déception. Faute de mieux, malgré soi.
La situation mondiale, dans nombre de domaines, nous place face à la double signification, même paradoxale, du verbe renoncer. Tant dans le domaine immédiat de la pandémie que dans celui – à peine plus éloigné – du réchauffement climatique. Ainsi s’opposent, dans une dramatique cacophonie, les égoïsmes individuels et les contraintes collectives. On brandit la liberté, le droit de faire tout et n’importe quoi, face à la discipline responsable, au contrôle à assumer en commun pour assurer la libération de chacun dans un avenir entrevu, plus vivable et clément. Les enjeux en sont vitaux.
Or, qui est aujourd’hui capable de renoncer, dans ses actes et dans les débats publics, à investir l’autosatisfaction de s’écouter parler plus fort que les autres, d’avoir raison, d’être apparemment écouté, sinon entendu, dans le brouhaha ambiant ?
Qui est prêt à renoncer momentanément à ses désirs et à ses plaisirs, en s’imposant une autodiscipline salutaire ? Qui consent à renoncer à sa « vie d’avant », comme si un miracle, venu d’ailleurs, pouvait magiquement faire que le désagrément n’ait jamais eu lieu ?
Et voici le paradoxe. Ne s’agit-il pas justement de se libérer par la contrainte, de s’affranchir de fausses illusions, d’incoercibles pulsions, de réflexes antérieurs qui ont prouvé leur nocivité ? Réfléchit-on assez à une libération concertée, d’autant plus pertinente qu’elle est antinomique d’un libre-arbitre échevelé, revendiqué sans préoccupation d’autrui, de la vie en commun, du partage de l’espace, de la préservation d’un avenir ? À quoi sommes-nous prêts à renoncer, abandon utile, pour annoncer en retour un possible demain, pour recevoir en retour une lucidité en actes ?
Certes, le pari est risqué, la perte et le gain, perdre pour gagner. Apparent paradoxe, hautement signifiant, dont dépendent la survie, la vie d’après. Le dilemme est cruel : d’un côté, des précautions drastiques qui s’avèrent inexorables, de l’autre, des libertés acquises, autorisant la non-coercition, bouger, sauter, danser, se toucher, s’embrasser, se caresser. Animal social, l’humain a besoin de gestes et de contacts physiques. Il s’est progressivement habitué, hors de proportions, à la facilité de l’eau, de la lumière à toute heure, à la rapidité des escapades tous azimuts. À ne rendre de comptes à personne, en somme. Il découvre avec horreur le prix à payer.
Une crise inédite, un imbroglio infernal. Sommes-nous si éloignés de la prononciation d’avis d’experts autodécrétés ? Un ballet incessant et sans pudeur de proclamations contradictoires et non moins péremptoires, qui viennent dans l’heure battre en brèche ce qui vient d’être proféré. Mais l’erreur ne saurait être humaine, n’est-ce pas ? C’est la faute à une divinité qui, dans sa versatilité bien connue, a induit en confusion les augures. En l’occurrence, un virus facétieux qui se joue de la fragilité de ses victimes en endossant des oripeaux divers. Un humour bien macabre…
Annick Drogou
Galilée.sp