Jean Racine fait apparaître en songe aux yeux d’Athalie sa défunte mère Jézabel. Une apparition saisissante de réalisme évoquée à l’Acte II, scène 5 de la tragédie.
» Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,/ Comme au jour de sa mort pompeusement parée./ Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté./ Même elle avait encor cet éclat emprunté/ Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,/ Pour réparer des ans l’irréparable outrage. «
Le mot fait florès dans nos sociétés contemporaines, où règnent les assurances en tous genres, où prévalent les revendications à la réparation de tout dommage, matériel, physique, financier, moral, politique, judiciaire. Où l’argent serait l’onguent miraculeux.
Le sémantisme ancien, *per, largement nourri, participe de l’idée de procurer, faire naître, mettre au monde. En sont issus, entre autres, les parents, l’appareil, la comparaison, la parure et ce qui dépare, le parement avec lequel on parade. Les fortifications qu’on a préparées en avant-poste et dont un suzerain ennemi s’empare impérativement. De quoi, pour le vaincu démantelé, se sentir vraiment désemparé.
Un incident, quelle qu’en soit la gravité, a mis à mal l’apparence antérieure, ou bien on prend conscience brutalement que le miroir ne renvoie plus l’image qu’on s’était forgée de soi. Et l’illusion est communément entretenue que tout peut se réparer, retrouver son état ancien, son éclat éteint par l’âge, l’usure, les atteintes et les blessures du temps. Comme si un coup de baguette magique, de fond de teint, de crème anti-rides, une couche de vernis, pouvaient faire que quelque chose n’ait pas eu lieu, qu’on n’ait pas vécu. Et la déception devant le résultat mitigé, voire désastreux, s’assortit de virulence et de vindicte envers une promesse mensongère.
Y a-t-il eu mensonge ? Ou plutôt adhésion infantile aux boniments des camelots de la supercherie ? Tels les discours transhumanistes qui tentent de faire gober le mythe de l’éternelle jeunesse, de l’immortalité. Un monde sans l’érosion du quotidien, qui s’aveugle sur l’échéance inéluctable de toute chose. Un monde nourri au nectar et à l’ambroisie, qui signifie justement en grec ancien ce qui ne concerne pas les mortels. Imposture d’escrocs qui délégueraient à l’obscénité de leurs fortunes accumulées le soin de les délester de la lucidité sur le délitement des choses.
Mais, à bien y réfléchir, l’élémentaire bon sens ne devrait-il pas inciter à considérer cette détérioration comme étant dans l’ordre du temps ? Les dieux antiques s’ennuient « à périr » justement parce qu’ils ont devant eux l’infini sans surprise, et que rien ne vient stimuler l’ardeur à vivre et à profiter du temps qui est imparti.
Harmonie d’un visage aux rides sereines, qui prouvent qu’on a vécu. Sagesse d’un corps qui apprend la lenteur.
Rien n’est foncièrement réparable, même si on prétend y puiser une source de dédommagement marchandisé. Même si on demande réparation, pour restaurer l’honneur bafoué, le parement moral.
Même la guérison n’est qu’une récupération partielle de la souplesse antérieure du corps, même si la cicatrice visible ou intime fait croire à une parenthèse refermée .
En revanche, elle sera une réparation, si on la prend comme une nouvelle préparation. Tout est dans l’accent aigu… Réparer, re-parer, se coudre une autre parure. Acceptation, sans résignation.
Vivre, n’est-ce pas se séparer de ce qu’on croyait définitivement acquis ? Se-parer, au sens propre, faire cesser d’être ensemble. Par le simple fait de naître.
Une expérience inédite et vivifiante dans la nouveauté que peut procurer le jour à venir.
Une nostalgie apaisée.
Annick Drogou
Galilée.sp