En 2017, avec Catherine Gras nous publiions « Pour une nouvelle philosophie de l’action publique » (Editions Franel), ouvrage dans lequel nous dénoncions entre autres l’impuissance publique et appelions à un autre modèle d’action publique dans le strict respect des valeurs républicaines. Le constat d’impuissance portait notamment sur la sécurité, la justice, l’économie et plus largement la cohésion socio-culturelle du pays, de la nation.
Presque 5 ans plus tard, les « lignes idéologiques » ont un peu bougé mais le tableau n’est pas très différent.
Ce tableau pourrait tenir simplement en quelques séries de chiffres :
- Lors des dernières élections locales de 2020 la France a connu l’un des taux d’abstention le plus bas de son histoire à 58,6 % au second tour,
- Le pourcentage de voix accordé aux partis considérés d’extrême droite, au premier tour de la prochaine élection présidentielle se situe autour de 30 %,
- Le taux d’exécution effective des OQTF (obligation de quitter le territoire français) pour les ressortissants algériens en 2020 était de 0,2 %…
- Le pourcentage des Français approuvant les récentes mesures de restriction sévère de délivrance de visas pour les ressortissants des pays du Maghreb : 87 %
Quel commentaire faire ?
La France est en proie à une sérieuse crise civique, à une profonde crise des partis de Gauche comme de Droite et connaît, à côté d’une stabilité à un bon niveau de l’actuel président de la République, une importante montée des personnalités considérées comme appartenant à l’Extrême Droite. Le total des voix des partis de Gauche comme de Droite qui ont dirigé la France de 1958 à 2017 n’atteint pas 40 % !…
Il y a donc un désaveu massif de la politique conduite dans certains domaines de l’action publique par les partis traditionnels.
Aujourd’hui le parti des travailleurs n’est plus le Parti Communiste ou le Parti Socialiste mais le Rassemblement National !
Que s’est-il passé ?
La Gauche traditionnelle, pas celle d’un Jean-Pierre Chevènement, a cessé de défendre les intérêts du Peuple le jour où elle a décidé de s’aligner sur la politique néo-libérale de la construction européenne. Depuis le président Giscard d’Estaing, la Droite, en dehors de Messieurs Seguin et Pasqua, a toujours suivi cette ligne. Et n’oublions pas que, à ces époques, même Jean-Marie Le Pen défendait en économie une ligne très libérale…
Les conséquences de cette politique d’alignement constant ont été la dévitalisation des services publics, les délocalisations d’entreprises, la désindustrialisation du pays, la perte de souveraineté économique, un fort niveau de chômage, un creusement des inégalités et la prolétarisation des classes moyennes…
En outre, il convient de préciser que les restrictions budgétaires consécutives au respect des critères « sacrés » de Maastricht ont conduit à ne pas consacrer les moyens budgétaires nécessaires à la conduite des politiques publiques régaliennes.
Pendant ce temps-là, la Gauche s’est repositionnée sur des thématiques sociétales qui attiraient à elle les couches « supérieures », « les fameux bobos ? », mais ignoraient les couches populaires…
Quid des questions régaliennes ?
Même si traditionnellement les questions régaliennes sont davantage portées par la Droite que par la Gauche, et peut être à cause de cela par le jeu des « marqueurs » partisans, à l’arrivée le constat est identique : les gouvernements successifs semblent avoir tous contribué à l’affaiblissement de nos politiques régaliennes.
Qu’il s’agisse de la défense nationale, de la sécurité intérieure, de la justice, de la régulation de l’immigration, de la politique de développement des territoires ou de l’éducation nationale, que l’on doit rattacher aux politiques régaliennes, la grande majorité des citoyens fait un constat désenchanté. C’est le moins que l’on puisse écrire…
Au total qu’il s’agisse de l’économie ou du régalien, c’est le même sentiment d’impuissance publique, voire d’insécurité généralisée, plus ou moins instrumentalisée mais réel, qui domine.
Souvenons-nous, sans avoir peur de l’exagération : la Grèce Antique, son inventrice, a connu la fin de la Démocratie dans des conditions similaires ; la République romaine a cédé la place à l’Empire dans un contexte de désordres ; Bonaparte n’a eu qu’à se baisser pour reprendre le pouvoir des mains du Directoire en proie aux dissensions et à l’impuissance…
Il est difficile de penser que nous en sommes là aujourd’hui, et « comparaison n’est pas raison », mais nous ne pouvons qu’appeler à un sursaut républicain permettant de concilier le retour de la puissance publique (avec des services publics forts) avec le respect des valeurs, universalistes, auxquelles nous sommes attachées : Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité.
Il ne sert à rien de stigmatiser un camp en faisant appel à des principes moraux que l’on a soi-même bafoués. Il s’agit de traiter enfin sérieusement, avec engagement, courage et détermination les causes mêmes qui sont à l’origine de son apparent succès.
C’est un enjeu de société, peut-être même de civilisation. Mais peut-être pas celui que d’aucuns, à l’extrême Gauche comme à l’extrême Droite, croient !…
Gilbert Deleuil
Président du conseil d’administration
Galilée.sp