par Gilbert Deleuil
Les médias polarisent à nouveau en ce moment l’attention de « l’opinion publique » sur l’offensive ukrainienne qui ne vient pas ou pas suffisamment, les déconvenues de la France en Afrique, la coupe du Monde de Rugby, les catastrophes au Maroc et en Lybie, sans compter la litanie quotidienne des faits divers…
Le souvenir des émeutes « urbaines » du mois de juin s’estompe comme s’était estompé celui des émeutes de 2005…
Et pourtant ! 66 départements et 516 commune ont été touchés par ces extraordinaires violences contre respectivement 25 et 200 en 2005. Les centres urbains ont été très concernés mais, fait significatif nouveau, également des communes péri-urbaines, de petits communes et même des communes rurales. Comme si le mal s’était métastasé comme un cancer.
Le monde entier aura vu en direct, le spectacle désolant d’une France qui n’avait plus rien à voir avec son image de carte postale.
Occupant une position centrale par rapport aux autres grands pays européens, bénéficiant d’un climat tempéré, doté de paysages variés et d’un riche patrimoine culturel et historique notre pays fait plus envie que pitié, tout au moins vu de l’étranger. Les allemands ne disaient-ils pas « heureux comme Dieu en France » ?
Aussi, n’est-il guère étonnant que notre beau pays au riche passé voit déferler chaque année les touristes du monde entier (première destination touristique mondiale). Phénomène nouveau, la France est même devenue depuis peu la première destination des investissements étrangers privés en Europe. Notre pays est également très attractif pour les migrants du monde entier et plus particulièrement, et bizarrement, pour les ressortissants de nos anciennes colonies…
La France reste une grande puissance économique.
Avec plus de 57 % de sa richesse annuelle (PIB) consacrée aux dépenses publique, notre pays est considéré comme l’un des pays les plus égalitaires du monde et les mieux dotés en équipements et infrastructures publics.
Alors, comment expliquer ce qui s’est passé en ce mois de juin 2023 ?
Le point de départ de ces émeutes est le décès brutal et regrettable du jeune Nahel. Il n’était pas réellement « un ange », contrairement à ce que l’un de nos grands sportifs a hâtivement déclaré, mais il ne méritait certainement pas non plus ce qu’il lui arrivé. Entre les deux positions, la ligne de crête est difficile à tenir… Pour le Gouvernement comme pour tout honnête citoyen…
Une petite partie de l’opinion, minoritaire mais très « remontée », s’est immédiatement déchainée contre la police et les « violences policières ». Certains leaders d’opinion n’ont pas hésité à mettre de l’huile sur le feu…Dans un sens comme dans l’autre…
On peut trouver à ces évènements, d’ailleurs à juste titre, de multiples explications ou excuses de type « sociologiques » : la pauvreté, le chômage, la précarité sociale, les discriminations, les ménages monoparentaux, la démission des parents, la disparition des pères de familles, l’oisiveté
des jeunes (selon un rapport officiel) … La liste est longue…
Pourtant rien ne peut justifier les violences et les saccages que l’on a vus, touchant des équipements publics comme des biens privés
et blessant de nombreux fonctionnaires de police !
Les auteurs de ces actes doivent bien évidemment en rendre compte devant la justice. Cependant, c’est à juste titre que l’on doit déplorer les défaillances de l’autorité parentale comme l’affaiblissement généralisé de toute forme d’autorité. Avant la Justice, il y a la Police, mais encore plus avant l’École et, en premier lieu les parents ! …
Mais, cela entendu, ne nous voilons plus la face.
En réalité, il y a en France un grand malaise dans le rapport entre une partie de la population et la police. Et les policiers, pris individuellement,
n’y sont pour rien !
Pourtant notre police est très professionnelle et étroitement contrôlée. Les « bavures » sont extrêmement rares, surtout en comparaison des USA (sans compter les états non démocratiques qui noient facilement les manifestations dans des bains de sang). Nos policiers ne sont pas plus racistes que la moyenne d’une population qui l’est très peu. Tout au plus peuvent-ils se sentir un peu lassés d’une activité répétitive et d’une impression croissante de perte de sens de leur métier.
Le grand malheur de l’institution policière est d’être trop souvent instrumentalisée politiquement et de servir facilement de bouc émissaire.
Tout le monde devrait se rappeler que la tentative de mise en place de la police de proximité, après un travail approfondi de réflexion notamment dans le cadre des « assises de Villepinte », sous le gouvernement Jospin et sous l’égide de son ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement.
Il s’agissait de doter la police nationale d’une nouvelle « doctrine d’emploi » à la fois préventive, dissuasive et répressive dans un cadre territorial proche de la population.
Cette réforme, alors en phase de démarrage, a été méthodiquement stoppée et démantelée en 2003 par un gouvernement et une majorité issus d’une campagne électorale polarisée sur les questions de sécurité intérieure et jouant délibérément l’exacerbation du sentiment d’insécurité.
Il fallait, passer d’une police de proximité supposée laxiste à une police d’intervention qui s’affichait plus virile. Dès lors, on a assisté à la mise en place de mesures structurelles, souvent gesticulatoires, qui ne pouvaient qu’éloigner la police de la population : suppression des bureaux de police dans les quartiers (abandonnant ainsi le terrain aux délinquants), suppression des aides aux associations de quartiers, « militarisation » accrue de la police ( alignement des grades sur ceux de l’armée, abandon du costume-cravate pour l’adoption de tenues de type « commando »…), nouvelle doctrine d’action basée sur la projection temporaire de forces spécialisées (action/réaction) suppression du renseignement de terrain
par la disparition des Renseignements Généraux, « last but not the least », suppression de plus 13 000 emplois dans la police et la gendarmerie (justifiée par les gains supposés de productivité du recours aux nouvelles technologies telles que la vidéo surveillance et une meilleure organisation des services…). Sans compter une Justice courageuse mais maintenue dans la misère matérielle et de plus en plus dépassée ! …
Certes, quelques correctifs ont été laborieusement apportés : création du Renseignement Territorial (non sans solution de continuité avec les RG…), brigades de terrain, augmentation des effectifs (mais ceux de 2002 ne sont toujours pas atteints …).
Mais, au fil du renouvellement des effectifs, une culture policière nouvelle s’est imposée, étroitement liée aux profondes réformes structurelles intervenues au cours des vingt dernières années …
Où est passée la belle image du « Gardien de la Paix ?
Bien évidemment, aujourd’hui la cancer des violences, de l’insécurité et de l’économie de la drogue s’étant aggravé et généralisé à tous les territoires, la question de la police de proximité ne se pose plus du tout dans les mêmes termes qu’en 1998.
Mais sa philosophie fondée sur une approche ferme mais intelligente du concept d’autorité peut encore être inspirante.
Gilbert Deleuil,
Préfet honoraire, Président du conseil d’administration de Galilée.sp