Le monde est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux seuls gendarmes. Un homme d’armes est un corps. Il a besoin de cœur et de tête pour le diriger. Ceux qui doivent avoir le pouvoir sont ceux qui s’approchent du vrai et du juste car les peuples ont besoin de justice et de vérité. Ils n’ont pas besoin de héros qui proclament haut et fort qu’ils sont prêts à faire la guerre mais qui enverront les enfants des autres se faire tuer. Les peuples craignent les gendarmes coupés de dirigeants éclairés car ils peuvent très rapidement se transformer en machines à tuer.
Mais qu’est-ce que la vérité et qu’est-ce que la justice ? Ce n’est pas dans ce petit billet d’humeur qu’il s’agira de définir de tels concepts. Mais rappelons ici au moins quatre truismes, qu’il semble judicieux de rappeler en ces temps obscurs.
En premier lieu, la justice et la vérité demeurent au stade de l’idée noble si elles ne sont pas incarnées par des êtres capables de les mettre en œuvre. Or l’idée noble, qui n’est pas incarnée finit par provoquer le dégoût si ceux qui l’invoquent ne savent pas l’incarner.
En deuxième lieu, lorsque les idées nobles créent le dégoût, ce sont les idées barbares qui prennent le dessus car celles-là n’ont pas besoin d’être incarnées.
En troisième lieu, concernant la justice, rappelons-nous que les hommes du vulgaire pensent qu’il est facile d’être juste et difficile d’être injuste. Or l’homme sage sait que c’est l’inverse qui est vrai. La justice réclame une infinie sagesse et beaucoup de savoir. Nul ne doit la confondre avec ses intérêts.
Enfin, à propos de la vérité, certains distinguent celle qui est absolue de celle qui est relative. Il y a ceux qui croient à l’une et ceux qui croient à l’autre. Il ne faut, selon moi, pas les opposer. La vérité absolue doit rester un idéal mais il est des êtres plus vrais que d’autres et ceux-là sont ceux qui savent intégrer le plus grand nombre des vérités de l’autre en eux-mêmes et qui savent écouter et mesurer ce qui est, en enquêtant.
En conséquence, ne laissons pas le monde aux mains de gendarmes qui ignorent tous ces points et tentons de revenir à un peu plus de justice et de vérité pour traiter les conflits terribles que nous connaissons. Actuellement, le monde est traversé par ce que certains considèrent comme étant une des plus dangereuses crises que l’humanité ait jamais connue : la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Ont-ils raison et cette crise est-elle l’ultime difficulté ? Certains le disent, mais d’autres s’étonnent du fait que depuis 50 ans, nous sommes gouvernés par des dirigeants qui n’ont de cesse de nous parler de « crise ». Ils remarquent, à juste titre que depuis quelques années, la crise s’est transformée en scénario catastrophe (qui change avec l’humeur) et que celle-ci justifie, à chaque fois, de plus en plus de limitation de nos libertés. Pourtant la crise ne peut être permanente et l’urgence ne peut faire notre quotidien ni notre éternité : sinon elle change de nom et s’appelle quotidien, éternité et elle cesse de devenir urgence.
Concernant le dirigeant russe, certains le comparent à Hitler mais d’autres soulignent que comparaison n’est pas raison et que les occidentaux défendent ici leurs intérêts économiques et que lorsque le dictateur allemand a envahi la Pologne, la France était le seul pays d’Europe avec l’Angleterre, la Belgique et quelques autres à résister à la dictature. Aujourd’hui, en Europe, les choses sont inversées et partout dans le monde, les valeurs occidentales démocratiques sont adulées. Les dirigeants russes sont isolés. Alors qui croire ? Il ne s’agit pour moi, ni de défendre des autocrates et des tyrans, ni d’oublier que la Russie n’est pas une démocratie ou de la défendre. Il s’agit de rappeler quelques principes et de rappeler que nous devons chercher ce qui est juste et vrai sans rester les bras croisés.
Toutefois ne confondons pas urgence et quotidien et ne séparons pas ces bras (qu’ils soient ou non armés) de notre tête et notre tête de notre cœur. Ne confondons ni la justice avec nos intérêts ni la vérité avec notre vérité, et essayons de demander aux autres d’en faire de même, sans pour autant être dupes ou naïfs car la bêtise existe et les tyrans également.
Il y a un temps pour l’action et un temps pour la réflexion. Restons conscients et vigilants.
Essayons au moins de l’être, sinon l’obscurité et la barbarie prendront rapidement le dessus et les gendarmes se transformeront en machines de mort et de ténèbres.
Jean Jacques Sarfati
Agrégé et Docteur en philosophie
Académie de Versailles.
Université Paris Dauphine.